Interview avec les deux directeurs artistiques, Anna Labouze & Keimis Henni

 

Anna Labouze & Keimis Henni, directeurs artistiques de la 1re Contemporaine de Nîmes. Photo © Robin Plus.

Marie Maertens : Anna et Keimis, vous êtes les deux directeurs artistiques de cette nouvelle triennale et aviez répondu à un appel à projet de la Ville de Nîmes. Aviez-vous également envisagé cette candidature en lien avec les résidences Artagon, dédiées à la jeune scène et que vous avez fondées dès 2014 ? 

Anna Labouze & Keimis Henni : Il est vrai que des personnes de notre entourage nous ont conseillé de candidater en pensant que cela pouvait être intéressant avec notre profil lié à la jeune création. Puis nous avons proposé un projet s’appuyant sur une nouvelle génération d’artistes, qui a su convaincre la Ville de Nîmes, que nous ne connaissions pas spécialement auparavant.

Très dense, ce programme s’y développe dans divers lieus et vous y avez notamment invité 12 binômes d’artistes pour l’exposition principale intitulée « La Fleur et la Force ». Comment votre sélection s’est-elle faite ? 

Nous avons très tôt réfléchi à une manifestation conçue dans son ensemble, en essayant de répondre aux attentes de Nîmes, une ville ancrée dans sa romanité, son antiquité et un passé très fort, tout en ayant l’envie de s’inscrire dans son époque, notamment via la création contemporaine. C’est ainsi que l’idée de la « nouvelle jeunesse » est née. Au sein de ce désir d’observer une génération qui arrive, dans l’art mais aussi à Nîmes, nous avons essayé de trouver une thématique correspondant à la fois à la proposition artistique et au sens de cette nouvelle triennale pour la ville.

Vue de l’exposition « Monstera », La Vallée, Bruxelles, novembre 2022. © Monstera collectif.

Quels sont les principaux axes développés ?

Notre thème majeur tourne autour des préoccupations et des enjeux de la jeunesse actuelle, mais aussi des questions d’héritage et de transmission. Nous avons très vite pensé qu’il pourrait être pertinent de montrer des liens intergénérationnels et comment de jeunes plasticiens peuvent être marqués ou accompagnés par des figures plus avancées dans leur carrière ou avec qui ils partagent des affinités théoriques ou esthétiques. Plutôt que d’exposer des artistes seuls, starifiés, nous avons imaginé ces binômes, à partir d’une jeune scène que l’on suit et que l’on aime. 

Alassan Diawara, Sans titre, 2023. Photographie argentique couleur. © Alassan Diawara, ADAGP, Paris, 2024

Aviez-vous déjà travaillé avec certains artistes présentés ?

Nous avions déjà collaboré avec une moitié d’entre eux et nous souhaitions le faire depuis longtemps avec d’autres, comme Aïda Bruyère, Prune Phi ou Caroline Mesquita. Le point commun de tous est que leur travail aborde ces enjeux liés à la jeunesse et à la transmission. Même si cela n’est pas évident, s’affirme par exemple chez Jeanne Vicerial cette question de la renaissance de la jeunesse éternelle, qui l’a conduite à penser à un duo avec Pierre Soulages. Cela nous semblait presque impossible, mais nous avons pu le réaliser, comme le magnifique duo Neïla Czemak Ichti et Baya.

Baya, Danse des foulards, 1975. Gouache et aquarelle sur papier. © Baya, 2024 & Mennour, Paris.

 Les artistes faisaient leurs propres propositions de duos, mais je pense que vous aviez vous-même quelques idées en tête…

Oui dès le départ, nous avions la plupart des binômes comme Feda Wardak et Tadashi Kawamata. Nous avions imaginé des choses qui ont pu se confirmer lors de nos échanges et il y eut de belles surprises, comme Rayane Mcirdi ayant choisi le réalisateur Virgil Vernier, qu’il considérait déjà comme un mentor.

Quels sont les sujets que vous avez développés qui n’étaient peut-être pas si faciles à aborder à Nîmes, comme les questions intersectionnelles… 

Effectivement, en parlant des préoccupations de la jeunesse actuelle, certains sujets ne pouvaient pas ne pas être traités, tels que l’écologie, les questions féministes, queer et décoloniales. Ils devaient être représentés au sein de la manifestation, même de manière plus large. Mais nous avons fait très attention à notre discours, pour qu’il puisse être accessible et reçu positivement. Le but est aussi de laisser infuser ces préoccupations et qu’un public intergénérationnel et de tous horizons puisse se sentir concerné. Mais nous allons peut-être en bousculer certains… Nous avons tenté des décalages, comme ce binôme d’Aïda Bruyère et de Judy Chicago, placées au Musée des Cultures Taurines, soit pas nécessairement lié à des artistes féministes au premier regard… Cela nous intéressait de venir chatouiller à certains endroits…

Alassan Diawara, Sans titre, 2023. Photographie argentique couleur. © Alassan Diawara, ADAGP, Paris, 2024

 Pourquoi la Ville de Nîmes a-t-elle souhaité initier cet évènement ? 

Nous pensons que le projet est porté par la dynamique régionale, avec des villes comme Arles, Avignon, ou Montpellier qui donnent l’envie de s’y inscrire. Puis, le Carré d’Art fait partie des grandes entités muséales régionales et c’est à l’occasion de la célébration de ses 30 ans, l’an dernier, que la triennale a été annoncée par le maire et Sophie Roulle, l’adjointe déléguée à la Culture. Nîmes était déjà sur la carte de l’art contemporain et ce type d’événement permet de capitaliser d’autant plus les regards. Mais il ne s’agit pas d’une démarche tournée uniquement vers le tourisme, car le but est de s’adresser aux Nîmois et aux habitants de la région, avec lesquels nous avons développé une dimension participative. C’est la grande originalité de cette triennale : chaque projet associe un groupe d’habitants à sa création. 

Visuel officiel du Jeu. © Paulin Barthe / Ville de Nîmes.

 De quels projets êtes-vous particulièrement fiers ? 

Celui de Feda Wardak et Tadashi Kawamata, aux Jardins de La Fontaine, qui est une installation paysagère monumentale, ambitieuse et poétique. Mais il y a aussi la programmation associée, travaillée avec les acteurs locaux, comme l’ésban (l’école des beaux-arts de Nîmes), l’artist-run space Pamela, le CACN (Centre d’art contemporain de Nîmes)… Nous leur avons parlé de notre thématique en amont, afin qu’ils puissent y faire écho s’ils le souhaitaient. Dans le cadre de la dimension participative de l’exposition, nous avons par exemple collaboré avec les Compagnons du Devoir, notamment pour contribuer à la création de l’œuvre de Fada Wardak : un gigantesque aqueduc en bois. Mais aussi avec l’association Les Mille Couleurs, pour le projet de Rayane Mcirdi, nourri de témoignages de femmes d’un quartier de la Ville de Nîmes, ce qui a donné lieu à la réalisation d’un fanzine. Nous avons également invité des artistes et des compagnies à revisiter des souvenirs de jeunesse sous un prisme artistique : une boum, un jeu, une sortie théâtre, ou encore une kermesse, rythment ainsi la programmation. 

Feda Wardak, Lorsque l’eau raconte la gravité, Roubaix, 2022. © Feda Wardak, ADAGP, Paris, 2024.

 Quel premier bilan tirez-vous de cette expérience ?

Nous avons énormément appris de cette triennale. Nous qui n’avions jamais conçu d’exposition dans un musée, nous en avons réalisé cinq d’un coup et il en est de même pour les projets en espace public ! Certains ont failli ne pas voir le jour, mais ce sont au final réalisés comme celui d’Hugo Laporte et Katja Novitskova, dans un magnifique alignement des planètes ! Puis la triennale nous a déjà menés vers d’autres perspectives, notamment le duo Jeanne Vicerial et Pierre Soulages, que nous allons poursuivre au printemps au Musée dédié au peintre à Rodez, dans le cadre de ses 10 ans. Toutefois… aujourd’hui, nous sommes surtout très impatients de découvrir, dans quelques jours, à quoi va ressembler notre première triennale…

1re Contemporaine de Nîmes – Triennale de création contemporaine : « Une nouvelle jeunesse ». Du 5 avril au 23 juin