La Première Pierre
Galerie Poggi,
135 Rue Saint-Martin, Paris 4
Jusqu’au 25 novembre
Exceptionnelle, la nouvelle adresse de la galerie Poggi, en vis-à- vis du Centre Pompidou, entérine son entrée dans le cercle restreint des enseignes de premier plan.
Le bâtiment (un ancien supermarché) est réparti sur trois niveaux : un espace d’exposition de plain-pied, les réserves au sous-sol, enfin des bureaux, un salon et un cabinet graphique à l’étage. Guillaume Aubry (Freaks Architecture) et l’architecte d’intérieur Joan Madera ont su mettre en valeur les grandes baies vitrées, l’escalier central hélicoïdal et les volumes du rez-de-chaussée, éclairés par des pavés lumineux. Les matériaux – tel que le marbre écologique de Bianco Bianco Home Design – et les détails de finition confèrent au lieu une dimension luxueusement contemporaine.
« La première pierre », évoque bien sûr les fondations d’un édifice, tout en ouvrant à une pluralité d’interprétations. Cette exposition inaugurale réunit la plupart des artistes de la galerie, dont certains ont conçu des œuvres spécifiques, et a bénéficié de quelques prêts, afin d’instaurer un dialogue entre art contemporain et art moderne, mais aussi avec des pièces anciennes, voire antiques et même préhistoriques – de petits tableaux en marqueterie de pierre du 17ème siècle à une meule du néolithique. Trois météorites rares semblent également avoir atterri dans la galerie … Des émotions immédiates naissent, à la façon de courts-circuits, de rapprochements heureux entre les œuvres.
Dès l’entrée, le parallèle qui s’opère entre les figures émaciées de Giacometti photographiées par Sophie Ristelhueber et les têtes sculptées de Julio Gonzàles souligne les liens invisibles qui parcourent l’histoire de l’art (petite référence érudite : Julio Gonzàles eut pour gendre Hans Hartung, que l’on retrouve un peu plus loin). Si la sélection comporte de nombreuses sculptures (silhouette recroquevillée de Stefan Papco Igor (Citizens series), 2012, bustes de Hugo Servanin, stèles en verre coloré et silicate de Kapwani Kiwanga ), elle inclut aussi un choix judicieux de peintures, notamment d’Anna-Eva Bergman et de Djamel Tatah. Loin d’être littéral, le propos adopte quelques détours conceptuels, telle cette barre de cuivre fichée dans une carapace de tortue fossilisée (En attendant la foudre, 2019, d’Evariste Richer) et s’autorise même de réjouissantes pirouettes comme ces Alien rocks en matériaux composites de Jonathan Bréchignac ou cette surprenante étude d’Un homme accroupi sur une pierre (1860), d’Eugène Delacroix.
Enfin, les visiteurs pourraient bien, en franchissant le seuil de la galerie, se placer à l’aplomb de l’aube des temps : passionné de minéralogie, Jérôme Poggi a en effet incrusté dans le sol en guise de talisman un éclat de pierre millénaire.
Henry Taylor – From Sugar to shit
Hauser & Wirth
26 bis Rue François 1er, Paris 8
Jusqu’au 7 janvier 2024
Forcément superlative, l’ouverture de la succursale parisienne d’Hauser & Wirth était très attendue.
La méga-galerie suisse (qui dispose d’une douzaine d’adresses dans le monde) a confié à l’architecte Luis Laplace le réaménagement d’un hôtel particulier de la fin du 19ème siècle à deux pas de l’avenue Montaigne. Les espaces d’exposition occupent le rez-de-chaussée et le premier étage de cet édifice qui en comporte trois, plus un sous-sol. Si la superficie du lieu ne prétend pas au gigantisme, la double hauteur – six mètres sous plafond – du rez-de-chaussée et l’escalier en colimaçon, agrémenté d’une peinture murale aux bandes géométriques noires et dorées de Martin Creed, évitent à ce bâtiment patrimonial rénové de sombrer dans la banalité du white cube. L’exposition d’ouverture, consacrée aux œuvres récentes d’Henry Taylor, célébré au même moment par une rétrospective au Whitney Museum of American Art à New York, est une ode à la peinture figurative, en dialogue ici avec les sculptures de l’artiste – comme cet arbre hiératique coiffé d’une coupe afro de cheveux noirs (One Tree per Family, 2023) qui s’épanouit sous la hauteur de cathédrale.
Laura Hoptman, Executive Director Drawing Center, n’a pas manqué de souligner les liens d’Henry Taylor avec le modernisme, les rapprochements que l’on peut faire avec la portraitiste Alice Neel et la connivence amicale qui le lie à David Hammons, autre artiste afro-américain que la Bourse de Commerce- Pinault Collection avait montré, pour son ouverture, en 2021. Henry Taylor, en résidence en France cet été afin de préparer cette exposition, adresse de son côté quelques clins d’œil à Paris et à l’histoire de l’art – faisant par exemple poser la danseuse et militante des droits civiques Joséphine Baker à genoux devant la silhouette du Louvre (Got, get, gone, but don’t you think you should give it back ?, 2023). Aussi génial que soit l’artiste, il ne peut pas produire des chefs d’œuvres à la chaîne. Cette exposition comporte cependant quelques peintures majeures – à vous de les trouver.
I See No Difference Between a Handshake and a Poem
Mendes Wood DM
25 Place des Vosges, Paris 4
Jusqu’au 25 novembre
Les amateurs d’art contemporain n’ont pas l’habitude de se rendre dans les galeries de la place des Vosges. Si Mendes Wood DM fait mine de s’y installer, elle se garde bien d’y avoir une vitrine, et c’est par la rue de Béarn que l’on pénètre dans son superbe bâtiment. Le lieu, qui abrita autrefois une clinique psychanalytique, était à l’abandon. Il renaît métamorphosé en une grande maison chaleureuse et cossue. La rénovation est signée de l’agence NeM, à laquelle on doit l’aménagement de la fondation Pernod Ricard. Coïncidence ? C’est également Fernanda Brenner (actuellement commissaire du 24e Prix Fondation Pernod Ricard) qui a conçu le group show inaugural de la galerie.
Créée à São Paulo en 2010 par Pedro Mendes, Matthew Wood et Felipe Dmab, l’enseigne a lancé en 2017 sa première antenne sur le Vieux Continent, à Bruxelles, et dispose depuis 2022 d’une adresse à New York.
En ouvrant en France, elle se rapproche des institutions locales avec lesquelles elle a déjà noué des liens. « I see no difference between a Handshake and a Poem », l’exposition en cours, réunit une quarantaine d’artistes autour d’un court métrage de Marguerite Duras tourné dans la lumière bleutée d’une aube parisienne et scandé par la voix crépusculaire de l’auteur. Si l’on perd le fil rouge de cette proposition pléthorique, on en apprécie la générosité et, au-delà des œuvres de ses artistes les plus identifiés (Lucas Arruda, Matthew Lutz-Kinoy, Sonia Gomes…), les focus qu’elle offre sur d’autres, comme ce mur de photos, spectaculaire et intimiste, de Mauro Restiffe. Par la suite, la galerie prévoit de dédier sa programmation exclusivement à des solos shows d’artistes qu’elle souhaite faire découvrir au public européen.