Aysha E Arar, Dear red bird, look at me in the eyes, 2024, exhibition view, Sans titre, Paris

Aysha E Arar – Dear red bird, look at me in the eyes

C’est par hasard qu’Aysha E Arar a découvert les cours de dessin sur le campus où elle suivait un cursus scientifique, non loin du village israélien où elle vit. Ses œuvres ont gardé de cette entrée en matière tardive une forme d’innocence et d’urgence. Aysha E Arar ne peint pas d’après la réalité mais d’après son imagination, nourrie notamment de sa culture palestinienne. Sans Titre, qui lui avait déjà consacré son stand à Artorama l’été dernier, montre son travail dans sa version brute, recréant l’atmosphère de son atelier. Les toiles aux couleurs sombres ne sont pas encadrées et leur vitalité déborde, hurle même, au point d’attirer l’attention des passants depuis la rue. On retrouve son trait délié chez Dvir qui diffuse également une vidéo dans laquelle l’artiste chante son aspiration à la liberté. Aysha E Arar aurait aimé rencontrer Picasso, dont elle a récemment visité le musée parisien, et qui aurait sans doute salué son talent.

Clemens von Wedemeyer, Social Geometry, 2024, video installation, animated, b&w, sound, 19  min, with Alexander Repp and Samuel RIcher, voice: Anne Clarck

Clemens von Wedemeyer  – ANTI-SYNERGY

On se souvient de 70.001, 2019, vidéo fascinante et ambiguë dans laquelle Clemens von Wedemeyer mettait en scène une foule de manifestants dans un monde virtuel, comme une illustration numérique des thèses d’Elias Canetti, Masse et Puissance. La galerie Wolff suit le travail du vidéaste et réalisateur depuis ses débuts : elle a ouvert en 2003 avec un de ses premiers opus, Occupation. Exposé dans de nombreuses institutions internationales, Clemens von Wedemeyer poursuit sa réflexion sur la visibilité des relations sociales, cette fois avec un film abstrait projeté au cœur d’un dispositif immersif sculptural, et dont le commentaire en voix off est lu par la chanteuse, musicienne et poète Anne Clark.

Grandad 1 (Ploughman), 2023, Béquille, râteau, chaîne, bois / Crutch, rake, chain, wood, 145 x 24x 33 cm

Jesse Darling – Solo Show

Jesse Darling chez Sultana, c’est un peu l’Angleterre à Paris, à travers ce qu’elle produit de meilleur : le Turner Prize, l’un des prix d’art les plus prestigieux, dont l’artiste britannique (basé·e désormais à Berlin) est lauréat·e 2023. Une partie des œuvres de son installation Come on England sont donc réunies dans le contexte, cette fois, de sa galerie. Faites d’objets pauvres et de métal soudé, ces pièces parlent de précarité et de l’inanité d’un système bureaucratique qui crée de la vulnérabilité. À ceux qui aiment les reliques, Jesse Darling propose aussi d’irrévérencieuses compositions sous verre à la façon de rébus liturgiques absurdes. Être consacré·e par le Turner Prize quand on critique l’autorité en général et l’institution muséale en particulier est en soi une performance, peut-être une des plus étonnantes à mettre à l’actif de cet artiste reconnu·e à l’international pour son inventivité. 

Courtesy of pal project © Romain Darnaud

J’ai fermé les yeux

On connaît Lucien Murat pour ses peintures hybrides, trash et kitsch (présentées chez Suzanne Tarasiève), qui donnent de la texture à la réalité virtuelle. Le voici en commissaire d’une exposition collective pensée comme un livre d’artiste à l’échelle d’une galerie. Le peintre a tracé à la main sur les murs un texte évoquant à la façon d’une lettre de rupture amoureuse l’aliénation des hommes oublieux de la Terre. Les œuvres (photos de Mari Katayama, peintures de Lucien Heintz et de Laurent Proux, sculpture de Jeanne Vicerial …) s’insèrent dans cet exercice émouvant de calligraphie littéraire, à lire à voix haute comme un manifeste d’écologie romantique. 

Courtesy of Parliament

Natacha Donzé – Memory Beacon 

Inquiète, incandescente et rare, la peinture de Natacha Donzé n’impose rien, elle préfère suggérer : des ombres, des signes, des affleurements puisés dans une iconographie classique et contemporaine, entre histoire de l’art, actualité et imaginaire de science-fiction. Ces images séductrices sont essentiellement nourries de visions d’effondrement, c’est sans doute ce qui confère de la profondeur à ces tableaux « interfaces » entre le réel et notre capacité de projection. Lauréate en 2023 du Swiss Art Award, Natacha Donzé est, selon la formule consacrée, une artiste à suivre de près.