Sammy BalojiThe King’s Order to Dance
Galerie Imane Farès
Jusqu’au 16 décembre

Au rez-de-chaussée, un terrarium dans un polyèdre de verre, une série de nouvelles photographies réalisées lors d’une résidence à Ypres – à la frontière belge entre l’Allemagne et les Alliés pendant la première guerre mondiale – et une pièce sonore, documentent l’intérêt de Sammy Baloji pour les questions liées à la guerre et à l’extractivisme. Mais c’est au sous-sol, dans la petite salle de projection, que réside la perle de cette exposition, le film Aequare. The Future That Never Was. Celui-ci établit un parallèle captivant entre le passé colonial et l’effondrement écologique, à travers un montage d’images d’archives et de plans de la forêt équatoriale congolaise, où siégea l’Institut National pour l’Étude Agronomique du Congo Belge. En voix off, le discours de propagande aux accents paternalistes alterne avec les vues silencieuses des infrastructures en déshérence et de l’aliénation qui en résulte. Mention spéciale du jury de la Biennale d’architecture de Venise 2023, un must see.

Credit : Sammy Baloji, …and to those North Sea waves whispering sunken stories (II), 2021

 

Mireille BlancGlaçage
Galerie Anne-Sarah Benichou
Jusqu’au 21 octobre

On connaît le protocole de travail de Mireille Blanc, qui sélectionne des photos anonymes, parfois personnelles. Ces clichés de la vie quotidienne, souvent soumis à un recadrage, et dont on devine parfois les contours (notamment grâce aux bouts de scotch reproduits en trompe l’œil) servent de prétexte à un exercice de peinture qui tente de redonner de la matière à l’image. Des motifs se répètent : celui du gâteau (d’où le titre de l’exposition) est devenu récurrent dans ses tableaux. Ce thème fait ainsi entrer entre les murs de la galerie du banal, de l’humour, un peu de sa réalité domestique et une sorte de sensualité, crème et nappage, qui établit un lien direct entre le voir et le savourer, suggère la jouissance du regard. On pense à cette histoire de l’ingestion des images sacrées si bien analysée par le livre de Jérémie Koering (Les iconophage, Prix Pierre Daix 2022). Quant à ces empâtements, ces tâtonnements, cette difficulté à représenter qui rend parfois le sujet indéfinissable, ils rappellent que toute création flirte avec la possibilité de l’échec. « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux ». La formule de Samuel Beckett, comme la peinture à première vue si familière de Mireille Blanc invite à se risquer au-delà du connu.

Crédit : Vue de l’exposition personnelle de Mireille Blanc « Glaçage » à la galerie Anne-Sarah Bénichou

 

Richard TuttleMy Best
Lelong & Co
Jusqu’au 7 octobre

On n’avait pas vu d’exposition de Richard Tuttle à Paris depuis dix ans. C’est la première que Lelong & Co consacre au travail de cet artiste américain contemporain des stars de l’art minimal (Donald Judd, Sol LeWitt, Frank Stella …), et que l’on a pu voir chez Yvon Lambert. Peinture, collage, sculpture ? Difficile de qualifier cette série de 26 planches (comme les lettres de l’alphabet) qui ceinturent les murs de la galerie. À mille lieux – quoique – des Tom Sayers paintings rigoureuses d’Ed Ruscha montrées l’an dernier chez Gagosian, chacune d’elle est une composition singulière, apparemment bricolée. Des morceaux de papier, de plastique, des bouts de cordon ou de carton, de tissu effiloché, y sont agrafés, punaisés, collés. Des touches de couleur y sont apposées ou pulvérisée au spray. Parfois un dessin tremblé apparaît. Chaque planche est différente. Chacune évoque un poème court, renvoyant à l’idée d’un lexique personnel et sensible. D’un amusement aussi, dont le caractère répétitif décliné ici semble démontrer que tout système, y compris celui qu’on choisit de respecter, peut être discrètement défié par l’imagination.

Crédit : Richard Tuttle, My Best O, 2022

 

Laurent Proux – Sunburn
Galerie Semiose
Jusqu’au 7 octobre

Une série d’incompréhensions et une somme d’évidences. C’est ainsi que se découvre l’exposition de Laurent Proux, dont la galerie Sémiose expose les tableaux récents réalisés dans le cadre de sa résidence à la villa Velasquez. On est confondu d’abord, par le monde qui semble séparer cette vue d’atelier de couture placée en introduction et les scènes de nus dans la nature qui la suivent. Laurent Proux a pourtant commencé par s’intéresser à l’univers du travail, aux espaces impersonnels, à peine empreints d’une présence humaine, parfois réduite à une guirlande kitsch punaisée au mur. Le monde dans lequel on vit, ses marges tristes. On ne peut pas dire que les toiles de Laurent Proux mettent à l’aise le regardeur, qu’elles soient du genre réconfortant, ni même séduisant. Cette façon d’appliquer la gouache au couteau, ces enchevêtrements de corps déformés, ces couchers de soleil de carte postale, ces visages distordus, peu aimables … Mais voilà, embrasement de couleur, apparition de la lumière, perfection classique de la composition, sa peinture respire. Elle vit, et nous appelle.

Crédit : Vue de l’exposition de Laurent Proux, Sunburn, à la galerie Semiose

 

Tarek LakhrissiTHE PRELUDE THE HOURS THE KISS THE END
Galerie Allen
Jusqu’au 7 octobre

Tarek Lakhrissi a d’abord élu la littérature et la poésie pour mode d’expression – son recueil Le Sang ! édité en 2022 par Lafayette Anticipations, est épuisé. Mais ce sont désormais les arts plastiques qui l’intéressent. On avait remarqué et aimé ses sculptures de verre, leur formes étranges affublées de cornes exposées sur le stand de la galerie à Liste art fair, à Bâle – et avant cela son installation Unfinished Sentence II, 2020 au Palais de Tokyo comme une écriture dans l’espace. Ce nouvel ensemble, The Prelude The Hours The kiss The End reprend à la façon de bas-reliefs des dessins plus anciens, où le thème du « freak » est envisagé dans un registre pop sulfureux, explorant à travers un dégradé de verts et de violets les avatars d’un corps mutant. Ces moulages en résine ont été réalisés selon les directives de l’artiste, qui reste dans le champ du conceptuel davantage que dans celui du faire, tout en revendiquant les détails volontairement imparfaits de ces icones queer, « entre ornement et menace », selon la formule du commissaire, Cédric Fauq. En 2024, on verra son travail au Migros Museum, à Zurich et à Kanal Pompidou, à Bruxelles (FAÇADE #3).

Crédits : A gauche, Tarek Lakhrissi, The End, 2023, Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris
A droite, Tarek Lakhrissi, The Prelude, 2023, Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris

 

Katharina Grosse – The Bedroom
Galerie Max Hetzler
Jusqu’au 21 octobre

On ne présente plus Katharina Grosse, dont l’œuvre Canyon a été installées en 2022 de façon permanente à la Fondation Vuitton, à Paris. En 2004, l’artiste avait repeint sa chambre à coucher de Düsseldorf à l’aérosol, recouvrant du sol au plafond ses objets personnels et son lit, « pièce archétypale », selon sa formule, de pigments pulvérisés. En renouvelant, cette fois-ci dans le cadre d’une exposition, ce geste fort de destruction-création, Katharina Grosse joue évidemment à déplacer les lignes entre l’intime et le public tout en intégrant l’architecture du lieu dans son tumulte de couleurs. Après avoir franchi plusieurs portes successives – celle donnant sur la rue, puis celle de la galerie elle-même – chacun se trouve ainsi invité à pénétrer dans sa sphère créative. Ce va et vient entre le dedans et le dehors est redoublé ici par le fait qu’un panneau peint dans l’espace principal a été déplacé dans la vitrine de la galerie de l’autre côté de la rue. Le rectangle blanc qu’il laisse au mur dessine une fenêtre de lumière dans l’installation, déplaçant le point de vue perceptif, dans un clin d’œil à l’histoire de l’art autant qu’à la réalité de l’atelier – d’où les œuvres sortent pour aller sur le marché.

Crédit : Installation view, Galerie Max Hetzler, Paris, 2023