Pourvu Qu’iels Soient Douxces – Saison 3 – Épisode 29
↘ PROJET𝘚

– Débat : « Comment exposer la création émergente ? »
– Exposition : la Biennale de Lyon 2024

Extrait débat :

« En tant que critique, mais également en tant que commissaire d’exposition, nous sommes continuellement confrontés à ces questions : comment exposer la création émergente ? Dans quelles conditions financières, logistiques et temporelles ? Comment se construisent les expositions collectives ? Comment sont choisis les artistes ? Comment leurs travaux s’articulent-ils dans l’espace ? Comment profiter de ces projets pour permettre le financement de nouvelles productions sans pour autant tomber dans l’exposition type « fin de diplôme » ? Des questions, il y en a des dizaines, et nous les posons à chaque fois, à chaque exposition visitée ou à chaque projet curaté. »

Avec Camille Bardin, Grégoire Prangé, Alexia Abed et Claire Luna.

Transcription :

Camille Bardin :

Bonjour à toutes et à tous, on est ravi.e.s de vous retrouver pour ce nouvel épisode de Pourvu Qu’iels Soient Douxces. Ce soir au micro de ce studio, quatre membres de Jeunes Critiques d’Art, un collectif d’auteurs et d’autrices libres et indépendant.e.s. Depuis 2015, au sein de JCA, nous tâchons de repenser la critique d’art comme un genre littéraire à part entière et pensons l’écriture comme un engagement politique. Pour Projets, on a souhaité penser un format qui nous permettrait de vous livrer un petit bout de notre intimité, en partageant avec vous les échanges qu’on a officieusement quand on se retrouve. Pourvu Qu’iels Soient Douxces, c’est donc une émission dans laquelle on vous propose un débat autour d’une problématique liée au monde de l’art, puis un échange consacré à une exposition. Aujourd’hui, nous sommes quatre membres de JCA à échanger. Claire Luna.

Claire Luna : 

Bonsoir.

Camille Bardin :

Grégoire Pranger.

Grégoire Prangé :

Bonsoir.

Camille Bardin : 

Alexia Abed.

 

Alexia Abed : 

Et bonsoir.

 

Camille Bardin : 

Et moi-même, Camille Bardin. Pour inaugurer cette nouvelle saison de PQSD, on a choisi de s’intéresser à l’événement de cette rentrée de l’art contemporain, la Biennale de Lyon, qui s’est ouverte le 21 septembre dernier et qui courra jusqu’au 5 janvier 2025. Une biennale intitulée « Les voix des fleuves Crossing the water », qui se déploie dans toute la ville de Lyon, au MAC, aux Grandes Locos, à la Cité de la Gastronomie, et j’en passe, mais qui se poursuit aussi jusqu’à Villeurbanne, où l’IAC présente « Jeune création internationale », une exposition qui réunit une dizaine d’artistes françaises et français, internationales et internationaux, et dont on parlera plus spécifiquement ce soir. Mais avant cela, on a choisi de parler de la manière dont on montre la jeune création et les artistes émergents et émergentes. Je n’en dis pas plus, je laisse la parole à Grégoire pour nous introduire le sujet.

 

Grégoire Prangé :

Oui. Donc, l’exposition à l’IAC, et plus généralement la Biennale de Lyon, nous ont donné envie d’extrapoler un peu et nous intéresser aux expositions d’art émergent ou de jeunes créations, non pas du point de vue des artistes, comme nous l’avons déjà fait par ailleurs, mais cette fois-ci du point de vue des commissaires. À peine le sujet était-il lancé que déjà, nous doutions, ne sachant comment le rendre pertinent, et redoutant surtout de tomber dans les truismes abscons, les procès d’intention, le guide des bonnes pratiques ou l’accumulation de jugements faciles. Comment sortir le sujet du « y’a qu’à faut qu’on » ? Nous n’en trouvions pas immédiatement la formule, et tout cela nous semblait de plus en plus casse-gueule, si bien qu’hier encore, nous hésitions. Pourtant, ce sujet fait partie des principaux échanges que nous avons hors micro. En tant que critique, mais également comme commissaire d’exposition, nous sommes continuellement confronté.e.s à ces questions : comment exposer la création émergente ? Dans quelles conditions financières, logistiques et temporelles ? Comment se construisent les expositions collectives ? Comment sont choisi.e.s les artistes ? Comment leurs travaux s’articulent dans l’espace ? Comment profiter de ces projets pour permettre le financement de nouvelles productions sans pour autant tomber dans l’exposition type « fin de diplôme » ? Des questions, il y en a des dizaines, et nous nous les posons à chaque fois, à chaque exposition visitée ou à chaque projet curaté. Les contextes, espaces, moyens, artistes ou partenaires changent, mais ces questions demeurent. S’il n’y a évidemment pas de guide des bonnes pratiques, chaque situation demandant bien souvent de réinventer un modèle, cela ne doit cependant pas nous empêcher de réfléchir collectivement à ces sujets, ce que nous allons essayer de faire ce soir, à partir de nos expériences diverses. Bon. Comme le sujet est hyper large et les questions hyper nombreuses, j’ai envie de commencer en vous posant une question plus précise.

 

Camille Bardin : 

Ouais.

 

Grégoire Prangé :

Lorsque vous, personnellement, vous lancez dans un projet d’exposition avec de jeunes artistes, quel est ou quels sont vos objectifs ? Pourquoi le faites-vous ? Qu’en souhaitez-vous ? Pour vous, pour les artistes et pour les publics ? Qui commence ?

 

Camille Bardin : 

Alexia, tu voulais commencer ?

 

Alexia Abed : 

Oui. Ben pff. Comme tu le dis, Grégoire, le sujet de l’émergence en est un grand dans JCA. Et je pense qu’il est aussi intimement lié à la nature même du collectif, en tout cas, en tant que critique. Et je me permets aussi un petit rappel des sujets de débat qu’on a abordés dans les épisodes précédents des PQSD : « Émerger : certes, mais à quel prix ? », « S’exposer : peut-on percer avec une expo ? », « Exposer une scène artistique fausse bonne idée ? » Bon, avec tout ça, on va encore en reparler avec, comme tu le souhaites, la casquette des commissaires. Et donc, je me sens pas hyper légitime et à l’aise avec ça, étant donné que, en gros, j’ai fait qu’une seule… Enfin, j’ai monté qu’une seule expo, de A à Z, et c’était éprouvant.

 

Alexia Abed : 

Oui mais ne serait-ce qu’en tant que visiteuse c’est important.

 

Claire Luna : 

Même en tant que critique d’art. 

 

Alexia Abed : 

Et j’en visite aussi. Évidemment, j’ai un avis sur la question, mais pas avec la casquette de commissaire, plutôt avec la casquette de critique. Malgré ce problème de légitimité, je me demande aussi comment angler autrement ? Et comment proposer de nouveaux points de vue sur la scène émergente à travers les expositions. Partant de là, je ne sais pas si ce sujet de débat est une bonne perspective, car j’ai une image de la question préconçue que j’entends institutionnellement.

 

Camille Bardin : 

Ok.

 

Alexia Abed : 

Et je ne pense pas qu’on puisse traiter le sujet, ni même en esquisser une introduction, car les modalités d’exposition, comme tu l’as dit, diffèrent en fonction du lieu, de là où se trouve l’exposition et de là où sont issu.e.s les artistes : au centre ou à la marge, avec ou sans marché de l’art, dans ou hors les institutions, dans des lieux dédiés à la monstration de l’art ou non, et qu’en est-il de la ruralité, dans ces questions-là ? Bref, je vois ça plutôt comme un écosystème où il existe autant de réponses que d’initiatives, qu’elles soient financées ou non. Le « comment faut-il ? » me gêne, comme tu l’as souligné, car les solutions sont aussi plurielles que les contextes, et toutes ont des limites qu’on ne peut sûrement pas dépasser quand on parle de l’émergence, puisqu’on est généralement récemment sorti.e d’école, ou fraîchement diplômé.e, ou autodidacte, qu’on n’a pas forcément de pied dans le marché de l’art ni dans l’institution, et que du coup, on doit trouver des stratégies de débrouille et d’auto-promotion qui sont souvent précarisantes et épuisantes émotionnellement, financièrement, psychologiquement, matériellement, et j’en passe. Alors, est-ce que j’ai envie de hacker le débat ? Oui. [elle rit] 

 

Camille Bardin : 

Ça y est, ça commence. C’est la première à parler.

 

Alexia Abed : 

Non, mais enfin, ce serait pas hacker le débat et peut-être dévier la question avec ce qu’on a déjà entendu, les questions qu’on se pose dans Jeunes Critiques d’Art. Du coup, je vais citer Samuel Belfond et Flora Fettah, qui avaient fait une conférence qui s’appelle « Émerger, exposer, s’exposer. Quelles conditions d’expositions pour les jeunes artistes en 2024 ? » où iels ont tenté d’analyser comment les conditions d’exposition influent également sur les formes, mais aussi sur les rapports avec les différents corps de métiers qui existent dans le monde de l’art. D’abord parce que les frontières entre les différents corps de métiers sont de plus en plus mouvantes, parfois interchangeables et souvent cumulables. Il faut donc voir ça comme un écosystème global dans lequel je crois quand on parle d’émergence, que ce soit dans la critique du commissariat ou quand on est artiste, les rôles ne sont pas forcément figés. Et c’est d’ailleurs ce que met en lumière le podcast Glose de Salomé Fau qui, je cite : « Nous emmène à la rencontre de duos artistes commissaires qui ont fait l’expérience de la collaboration et qui depuis ce jour avancent ensemble. » Pour moi, exposer l’émergence, ça veut dire aussi émerger soi-même en tant que critique et commissaire.

 

Camille Bardin : 

Bah en fait, ça revient aussi à un débat qu’on a souvent dans… Enfin, je ne sais pas, j’ai l’impression de me répéter à chaque fois là-dessus. Mais moi, je suis un peu d’avis d’arrêter de voir juste les artistes et basta. Je pense que c’est important qu’on pense en travailleureuses de l’art indépendant.e.s ou à l’inverse, au sein d’institutions. Enfin, effectivement, les artistes émergent, mais nous émergeons aussi, etc.

 

Alexia Abed : 

Exactement. 

 

Camille Bardin : 

Il y a tout ça aussi. Donc. Oui, oui, complètement. Claire ?

 

Claire Luna : 

Heu ouais. Heu alors attends, tu peux reposer tes questions Grégoire ? [iels rient]

 

Camille Bardin : 

Comment tu fais ? [elle rit]

 

Grégoire Prangé :

Il y a eu des bouts de réponse, en fait. Parce que la question de l’émergence…

 

Alexia Abed : 

J’ai un peu tout mélangé ou pas ? 

 

Claire Luna : 

Oui, la question de l’émergence. En même temps, j’ai l’impression, Alexia, dans ce que tu dis, que tu parles plus du côté des artistes. Et là, j’essaie de me placer en tant que commissaire et du coup, ta question, c’est comment on expose la jeune création ? Moi, je vois comment… Enfin, je ferai plus un, comment dire, un état des lieux, et à partir de ça, voir comment moi, je me positionne. Mais parce qu’est-ce qu’on a ? On a, je sais pas, le salon de Montrouge, 100% la Villette, le prix Pernod Ricard, Emerige…

 

Camille Bardin : 

Pernod Ricard, ils sont plus émergents à ce stade.

 

Claire Luna : 

Pour le prix ?

 

Camille Bardin : 

Oui. Enfin, c’est des artistes émergé.e.s quoi. 

 

Alexia Abed : 

Puis tu parles de Paris surtout. 

 

Claire Luna : 

Oui. Là, je parle… De toute façon, je vais pas faire un vrai état des lieux. J’en serais pas capable.

 

Camille Bardin : 

Non, ce serait impossible. 

 

Claire Luna : 

Oui voilà. Et puis il y avait Jeune Création aussi. C’est vrai que, à chaque fois, moi, si je suis gênée, c’est plus dans… Comment dire, par exemple, pour Emerige, quoi, c’est. Enfin, j’ai deux gènes. Soit, j’ai l’impression que très vite, ça devient la foire comme c’était le salon de Montrouge avant. Je trouve que là, iels ont bien fait, Guillaume Desanges et Coline Davenne à véritablement restreindre le nombre d’artistes, comme ça, ça leur donne plus d’espace. Et je parlais d’Emerige, par exemple oui, où là, enfin vraiment on peut parler de jeune création. Et en fait, les artistes sont sélectionné.e.s selon les critères du jury. Mais c’est qu’après on vient justement, et c’est ça qui me dérange, c’est-à-dire qu’on vient… On invite un commissaire ou une commissaire, et en fait, je sais pas trop à quoi il ou elle sert parce qu’on vient plaquer un discours curatorial sur des artistes qui a priori n’auraient pas de lien. Iels pourraient a posteriori y en avoir. Mais alors là, il s’agirait vraiment d’essayer de créer une réflexion. J’ai l’impression que souvent c’est un peu voué à l’échec. Alors soit, vraiment, on se donne le travail réflexif, théorique, de se dire bon, voilà, on a ces œuvres, ces œuvres, cette œuvre, cette œuvre : qu’est-ce qui fait lien ? Est-ce que ça révèle quelque chose de ce que l’on fait, de ce que les artistes font aujourd’hui ou pas ? En quoi c’est symptomatique de notre époque ? Et s’il n’y a pas ça, et bien moi j’ai envie de dire ne faisons pas semblant de venir plaquer un concept curatorial. Pourquoi en fait ? Est-ce que vraiment… Et là, c’est là où je me pose la question du rôle du commissaire ou de la commissaire. Est-ce que… En fait, ça veut dire qu’aujourd’hui, une expo sans commissaire n’est pas légitime en fait. En tout cas pour… C’est-à-dire que quand on expose un prix, pourquoi un ou une commissaire est nécessaire si c’est pour faire des faux liens plaqués entre quelque chose d’artificiel en fait, voilà, c’est ce que…

 

Camille Bardin : 

Ne nous retire pas du travail non plus.

 

Camille Bardin : 

Non, c’est ce que je ressens, mais après, en fait, ce qui me gêne, c’est un discours unificateur ou des gloses ou des espèces de fantasmes projetés. Tu vois, c’est vraiment… Et au risque en fait, de quoi ? De faire perdre la pertinence de chaque proposition artistique. Ça, c’est pour les expos collectives. Ensuite pour les expos individuelles, là, il y a quelque chose quand même de plus… Je trouve, de plus pertinent peut-être. Et je crois qu’être commissaire, être curateurice, c’est s’engager, c’est être engagé.e. Et bah voilà soit on se dit, voilà, je choisis un ou une artiste pour telle et telle raison. Et là, ça relève plus de quelque chose qui m’intéresse beaucoup dans le commissariat, qui est l’accompagnement, les échanges, le temps. Et là, il y a quelque chose quoi. Ouais, allez-y.

 

Camille Bardin : 

Je te rejoins complètement. Moi aussi, je dissocie vachement, par rapport à ta question, Grégoire, je dissocie vachement le group show du solo show. Le travail est absolument pas le même. Enfin, on parle de curation ou de commissariat d’exposition, mais ça n’a rien à voir. Et en l’occurrence, en termes de jeunes créations, je trouve ça quand même vachement plus intéressant de se focaliser sur des solos, parce que le group show, on vient comme ça glaner çà et là des… des pièces en fait dans des portfolios, là où… et ensuite faire son propos. Donc, je trouve que c’est plus un travail d’auteur ou d’autrice, enfin, tu vois, à cet endroit-là, là où en fait quand on prépare un solo show, il y a un vrai accompagnement sur le temps, long, réflexif et tout. Et ça je trouve ça vraiment plus intéressant. Je trouve que pour la création émergente, c’est vraiment le plus…

 

Claire Luna : 

Et là dans ce que tu dis, il y a aussi un entre-deux possible, c’est-à-dire que on est en train de faire solo ou collectif, mais collectif massif, genre 40 artistes.

 

Camille Bardin : 

Ouais ouais, c’est ça non. 

 

Claire Luna : 

Mais je pense, est-ce que nous en tant que commissaire, on n’est pas là aussi à un moment donné pour identifier peut être une tendance, des idées ? Et en fait là se dire, on passe notre temps à faire des visites d’ateliers, donc il y a des choses qui émergent et là soudainement se dire « Ah bah tiens, parmi les 30 que j’ai faites, et bien il y a peut être trois, quatre artistes là qui révèlent quelque chose. Alors je vais peut être, voilà, les faire discuter, dialoguer, mettre en résonance. »

 

Camille Bardin : 

Moi, c’est ce que j’aime bien aussi ouais. Ce que j’aime bien, si c’est pas un solo, c’est justement de penser en duo show, parce que justement, tu as la possibilité aussi d’ouvrir le travail et tu vois de créer d’autres résonances et tout. Mais je crois qu’un des sentiments en fait qui peut nous traverser lorsqu’il est question de jeune création, et c’est par là que je voulais commencer, c’est la frustration. C’est pas forcément négatif, ça va parfois de pair avec un sincère enthousiasme qui peut naître lorsqu’on rencontre un travail. Cela peut simplement signifier qu’on a envie d’en voir plus. Mais parfois, c’est aussi dû au fait qu’il nous est donné à voir que de simples échantillons des pratiques. Et c’est ça qui me gêne encore une fois dans les… dans les group shows parfois. Pendant plusieurs mois, si ce n’est années, on va croiser çà et là une, deux, trois pièces d’un ou d’une même artiste, sans avoir la possibilité de voir tout son boulot se déployer, si bien que je suis souvent assez friande des propositions qui laissent la possibilité aux artistes de s’épanouir dans un espace et c’est là où je suis en désaccord avec toi, Claire. Par exemple, j’avoue que sans faire du « c’était mieux avant », moi, je suis de la team de celleux, qui préféraient l’ancienne formule du salon de Montrouge, lorsque chaque artiste avait son petit box. Et si certains/certaines avaient l’impression de parcourir les allées du Salon de l’agriculture, à titre personnel, je trouve ça trop chouette de pouvoir avoir accès à plein d’univers, comme si c’était plein de petites cellules dans lesquelles on pénétrait.

 

Claire Luna : 

Mais là, c’est une question de scéno Camille on est d’accord. Tu vois le fait de choisir…

 

Grégoire Prangé :

Oui mais pas que. 

 

Camille Bardin : 

Oui, mais non mais justement parce qu’en fait, comme les jeunes artistes manquent d’espace, là, ça leur permettait d’avoir juste… En fait, c’était l’occasion de plonger dans un portfolio, même si le nombre de mètres carrés n’était pas énorme. Et on avait en fait une sorte de photographie de ce que l’artiste voulait ou pouvait proposer. Grégoire ?

 

Grégoire Prangé :

Ouais. Mais en fait, je trouve ça intéressant parce qu’il y a plein de pistes qui se dégagent de ce que vous avez dit. Ce qui est assez, je trouve révélateur, c’est que dès lors qu’on a commencé à parler d’exposition collective, on en est arrivé.e du coup à des processus de sélection d’artistes qui sont de l’ordre du prix, ce qui en fait… ce qui ne représente pas l’exposition collective, on va dire, quand on sort de ce champ de la création émergente. De même que de partir des artistes choisi.e.s par un processus qui ne dit rien en fait de leur rapport thématique ou de sujet, c’est le processus inverse d’une exposition collective qui normalement, du coup, à partir d’un sujet, permet d’aller chercher des artistes qui par leur pratique, en fait, apportent des points de regard sur ce sujet. Donc il y a quelque chose qui est là, je trouve assez intéressant. J’en reviens quand même à ma question parce que je trouve que… En fait, on peut… on peut sans doute interroger ce sujet très longtemps et rester un petit peu aussi hors… presque… Je dirais pas concret, mais… mais c’est un petit peu désincarné, presque. En fait, moi, je me dis, je me suis posé la question en préparant ce sujet : pourquoi je souhaite présenter des artistes émergent.e.s ? Pourquoi ? C’est quoi, mon but ? C’est quoi, pourquoi ? Et c’est à partir de la réponse à ce pourquoi que je pense qu’on dégage justement un début de méthode. C’est-à-dire que si mon but, effectivement, c’est d’émerger avec les artistes, dans ce cas-là, on est dans la formation d’une team. Effectivement, on va avoir une forme de révélation de quelque chose qui… quelque chose qui court peut-être, qui les rassemble. C’est souvent des groupes d’artistes qui se connaissent, etc. donc on en fait partie et donc on avance avec elleux et on va faire ce travail de commissariat. Ça peut être une envie qui est directement liée à la question des publics, de pouvoir présenter aux publics des artistes contemporain.e.s qui sont plus jeunes. L’approche va être totalement différente. Ça peut être de venir financer de la prod. Donc là, le prix, etc. Il y a des institutions qui font des expositions de création émergente pour accompagner la production d’artistes. Je pense que c’est important de se poser cette question parce que ça donne une direction après et ça fait des projets qui sont complètement différents. Voilà, c’est mon point de vue.

 

Camille Bardin : 

Alexia ?

 

Alexia Abed : 

Je vais d’abord rebondir sur ce que Claire et Camille ont dit. En fait, j’ai surtout l’impression que, en tout cas, je parle pour Marseille. La scène émergente tente de se définir par elle-même et du coup ne voit pas forcément l’utilité d’un ou d’une commissaire. Et des fois, enfin souvent d’ailleurs, même pas d’une critique. Du coup, c’est plutôt, comme tu l’as dit, créer une team main dans la main, etc. Et comme toi, Claire, tu l’as dit en soum soum, ce serait en fait que le ou la commissaire vient créer des liens, mais plutôt en s’effaçant à certains endroits. Et je pense que c’est peut-être comme ça que les artistes attendent de nous quelque chose de peur soit de se faire confisquer la parole, soit de… que leur travail soit figé en fait avec des mots ou avec des images, ou dans un espace, parce qu’en fait iels sont au début de leur carrière et du coup ne savent pas exactement comment ça va évoluer. Et pour ce que toi, tu as dit, Camille, moi, je te rejoins totalement. C’est en préparant le débat, les notes que j’ai prises aussi sur la question du solo show, parce que les expositions collectives, un ou une artiste, avec un ou une œuvre, ça permet simplement d’échantillonner et ça permet pas de comprendre les champs de recherche de certains et certaines artistes, notamment aussi sur la question des formats. Il y a des personnes qui travaillent avec des petits formats, donc comment elles existent avec des formats plus gros ou plus « durs », je mets des guillemets. Et à mes yeux, la solution idéale, donc serait vraiment de proposer des conditions de production, de monstration et de réflexion qui sont idéales après l’école pour aussi montrer plusieurs corps de métier et donc à savoir la carte blanche. Et en fait, je pense que les artistes ont vraiment besoin de réfléchir à leur travail, non pas avec une œuvre en tant qu’objet isolé, mais vraiment comme un tout. Et, ce sur quoi je voulais finir, c’est aussi la question du cul-de-sac. En fait, quand on a… Enfin, quand les artistes ont participé donc à leur exposition des diplômé.e.s, puis bon bah à Marseille il y a La Relève, après iels vont à 100% l’expo. Iels vont peut-être au salon de Montrouge, Prix Marcel Duchamp, OVNi, voilà. Bon, quand on a fait le tour de tout ça, qu’est-ce qu’on fait en fait ? Parce qu’il reste plus grand-chose.

 

Camille Bardin : 

Oui une fois que tu as toutes ces petites médailles quoi.

 

Alexia Abed : 

Voilà, on a coché toutes les cases de « l’émergence » et en fait après que se passe-t-il puisqu’en fait, c’est à chaque fois les mêmes objets qui ont été montrés. Par rapport à mon rôle en tant que commissaire, moi, je vois plus ça aussi comme un accompagnement, mais aussi une pensée de mise en espace et aussi de comment on s’adresse à des publics à la sortie des écoles.

 

Camille Bardin : 

Bon après sur le truc de ce sont des pièces qui ont déjà été montrées, moi, je suis un peu d’avis de pas penser les pièces à usage unique, tu vois, de pas envisager les œuvres à usage unique.

 

Alexia Abed : 

Oui bien sûr. 

 

Camille Bardin : 

Enfin, c’est justement des choses qui reviennent souvent quand tu bosses avec des artistes émergents/émergentes. Enfin c’est des conversations que j’ai déjà pu avoir où iels me disent « Non, mais ça je l’ai déjà montré etc. » Je suis là en mode « Oui mais mon chat tu l’as montré à Paris. Là on fait une exposition à Reims. » En fait les visiteureuses ont pas forcément… Et puis quand bien même, en fait l’oeuvre a été vue sur Insta ou quoi. Donc en fait je pense que c’est aussi ça être dans un moment d’émergence c’est aussi accepter de remontrer aussi plusieurs fois certaines oeuvres. Mais aussi je crois que quand on parle d’exposition, il y a évidemment la question de la monstration du travail, mais je crois que ça recouvre aussi quelque chose de plus large qui concerne aussi et notamment la critique, et tu commençais à le dire, Alexia. Cela peut sembler contre-intuitif, mais en tant qu’autrice, je crois que les artistes les plus vigilants et vigilantes quand on écrit sur leur travail, les plus dans le contrôle, ce sont pas les artistes les plus installé.e.s qui ont des années d’expérience, des équipes derrière elleux, etc. Ce sont quasi systématiquement des artistes qui viennent de sortir d’école. Et cela s’explique, je pense, par la crainte de voir justement, comme tu le disais, Alexia, encore une fois, de voir son travail enfermé, réduit à quelques mots clés et quelques grands concepts. C’est toujours une responsabilité immense, quand on est primo-écrivaine sur une pratique, de se dire que sans doute que dans les prochains mois, peut-être même la prochaine année, notre texte sera la seule, l’unique porte d’entrée dans une pratique, que si on n’explicite pas assez, ou à l’inverse, qu’on en dit trop sur un boulot, on risque d’empêcher une rencontre et même de détourner un regard. En fait, au début d’un parcours professionnel, les premiers choix, les premières personnes avec qui vous bossez, vont vraiment colorer votre pratique. Je crois qu’inconsciemment, on le fait un peu toustes, d’associer des travailleureuses de l’art ensemble, des artistes à des structures, etc. Donc, dans un sens comme dans l’autre, il me semble qu’il est important d’apporter une vigilance toute particulière, un soin spécifique, lorsqu’il s’agit d’écrire, d’exposer, de faire parler les pratiques d’artistes en début de parcours professionnel. Hum. Pareil, demander à un ou une artiste de poser des mots sur un boulot, sur une pensée qui prend doucement forme, cela m’interroge beaucoup. Pour PRÉSENT.E, je me questionne encore beaucoup sur la pertinence de recevoir des artistes qui, parfois, sont même encore à l’école. Est-ce que, finalement c’est pas leur tirer une balle dans le pied, leur faire un cadeau empoisonné, que de leur demander si tôt de parler de leurs recherches ? Ma volonté n’étant jamais de figer en fait leur pratique à un moment où celle-ci est en train de s’élaborer. Et ce sont aussi des questions qui sont les nôtres quand on choisit les expositions dont on va parler dans PQSD. Si on a parfois envie de faire la part belle à des expositions soutenues par de jeunes curateurices, on sait aussi qu’on risque de devoir formuler une critique négative à l’encontre d’un travail qui est à ses débuts. Donc, voilà mon premier point, en fait, si je devais le synthétiser, il porte sur la question de l’espace physique mais aussi immatériel, qu’on donne aux artistes émergents et émergentes. Comment leur donner la possibilité de se déployer sans non plus les piéger, les enfermer à un moment où iels peuvent être empli.e.s de doutes et aussi d’insécurités, quoi. Grégoire ?

 

Grégoire Prangé :

Oui. Je voulais juste rebondir sur deux choses. La première, c’est que ce côté un peu écrasant de la prise de conscience de l’impact que peuvent avoir des mots ou que peuvent avoir des expositions sur une pratique artistique encore toute jeune, je pense qu’on s’en relèverait pas. Enfin, c’est trop, c’est trop. Et du coup, je me dis que de se dire que, effectivement, c’est un écosystème et que justement, c’est la pluralité des voix qui permet de ne pas enfermer, en fait.

 

Camille Bardin : 

Oui. 

 

Grégoire Prangé :

Et je pense que c’est super important de juste se dire, voilà, la voix que je pose, les mots que je mets, c’est une subjectivité qui vient… qui vient à la rencontre d’un travail. Et c’est pas plus que ça. C’est pas un cadre, c’est pas autre chose que ça.

 

Camille Bardin : 

À répéter ouais. 

 

Grégoire Prangé :

La deuxième chose, alors, c’est important de se le dire vraiment à mon sens. Ça veut pas dire que ça ne compte pas. Bien sûr, ça compte. Et évidemment, ça peut être repris, ça peut aussi for-… comment dire… participer, en tout cas à forger un avis sur un ou une artiste. Voilà. Et je voulais aussi rebondir, du coup, sur ce que tu disais, Camille, sur… En fait… comment dire… Quel espace l’exposition peut être pour l’artiste ? Et en fait, je me dis que quelle que soit la typologie de l’exposition, un solo show, une collective avec une succession en fait d’espaces dédiés à des artistes, ou alors une exposition collective qui met en regard les œuvres entre elles, qui les articulent. À chaque fois, en fait, comment l’exposition peut être… Comment l’artiste peut s’en saisir, en fait, comme un moyen de pouvoir avancer dans sa pratique ? Donc comment est-ce qu’on crée un cadre qui permet à l’artiste, au sein de ce cadre, de développer sa pratique, de produire une nouvelle œuvre, d’être accompagné.e pour ça ? Soit ça va être financier, ça va être de l’accompagnement aussi en termes de… ça peut être des résidences, ça peut être simplement en fait d’échanger, de discuter, de confronter son travail à d’autres artistes. Et je me dis que finalement, la création de cet espace en fait d’évolution, c’est peut-être l’une des grandes raisons de faire des expositions d’art émergent.

 

Camille Bardin : 

Claire, tu voulais ?

 

Claire Luna : 

Bah du coup, on parlait de précarité pour les artistes émergents/émergentes. Enfin, plutôt de… J’aime pas dire « émergents/émergents », parce que c’est pas nécessairement jeune, en fait, mais pour la jeune création. Et en fait, il y a une précarité qui va de pair pour les curateurices parce qu’en fait souvent, enfin moi ça m’est arrivé, mais vraiment plusieurs fois, et du coup, je ne savais pas quoi faire, quoi choisir. L’artiste m’appelle et me dit que « J’aimerais trop que tu m’accompagnes sur ce… sur l’exposition de fin de résidence. » Et là, ben en fait… mais il n’y a pas d’argent. Et donc la résidence souhaite l’exposition, l’artiste souhaite l’exposition, mais il n’y a pas d’argent, donc c’est l’artiste qui doit se chercher de l’argent. Et je trouve qu’il y a une… Enfin, je sais pas. Est-ce que du coup c’est nécessaire d’avoir un ou une commissaire ? Enfin j’en sais rien. Ou sensibiliser les résidences ou les lieux qui, je sais pas, reçoivent les artistes pour en fait, ensuite en faire une exposition ? Est-ce que… Est-ce qu’on est nécessaire ? Je sais pas. Et si on l’est, dans ces cas-là, véritablement le penser en amont quoi, parce que c’est mettre les artistes dans une situation extrêmement, encore plus précaire.

 

Grégoire Prangé :

Et pareil pour les textes.

 

Claire Luna : 

Et pareil pour les textes. 

 

Grégoire Prangé :

Combien de fois l’artiste va chercher de l’argent pour payer le texte ?

 

Claire Luna : 

Ouais. Et là, c’est ça, l’artiste prenait sur son budget de prod, son propre budget de prod pour pouvoir me payer. Mais moi j’y arrivais pas, je m’y retrouvais pas. Enfin tu vois. C’est arrivé plus d’une fois.

 

Camille Bardin : 

Oui est en plus c’est cool pour personne quoi. Alexia ?

 

Alexia Abed : 

Bah oui non du coup, je suis tout à fait d’accord. Il y a la question en fait, du coup qui se pose, oui de l’argent, mais aussi de la confiance réciproque qui doit s’installer, sur comment on discute en fait des modalités économiques, que ce soit des artistes, des critiques et des commissaires, mais aussi comment on trouve le temps de pouvoir donc les rassurer du coup, les aider pourquoi pas à trouver des financements pour nous rémunérer. Et comment en plus de ça, il faut qu’on prenne le temps de comprendre ce vers quoi iels tendent pour justement, comme on disait tout à l’heure, ne pas figer leur pratique soit dans un espace physique ou immatériel.

 

Camille Bardin : 

Mais… Bah ce que tu dis fait sens avec ce que j’ai envie de dire derrière, parce que tu parles justement de l’accompagnement, de juste… enfin de la précarité aussi dans laquelle ça peut nous mettre nous, curateurice, critique, etc. Parce que effectivement, en sortie, les résidences pensent rarement à ça, alors que souvent, c’est un moment de solitude et du huis clos dans le dans lequel les artistes se retrouvent et du coup, d’avoir la possibilité d’échanger, ça peut être important. Et justement, je parlais de mise à disposition d’espace tout à l’heure. Et dans le même temps, on sait que les premières années qui suivent la sortie d’école, c’est un moment de grande fragilité lors duquel les artistes sont pour la plupart dans une forme de vulnérabilité. Si bien que je crois qu’une fois de plus, tout n’est pas qu’une question de monstration, il est aussi nécessaire de penser un accompagnement plus large qui implique de proposer des choses parfois moins grandiloquentes aux artistes, comme des lectures de portfolio, des aides à la mise en place de leur structure, de leur statut, parfois être aussi simplement présent ou présente pour répondre à leurs questions en fait. C’est pourquoi, plus que les expositions en elles-mêmes qui regroupent des artistes émergents et émergentes, je crois que ce qu’il faut regarder, c’est tout l’à côté, tout ce que les structures mettent par ailleurs en place pour accompagner ces artistes. Parce qu’on sait bien que malgré quelques « modules professionnalisants », peu de choses sont proposées aux étudiants et étudiantes des Beaux-Arts pour se professionnaliser. Et je parle même pas quand t’as même pas fait de… les Beaux-Arts. Et c’est pourquoi je salue aussi des initiatives qui pensent au-delà des expositions. Je pense notamment à la… à la Project Room du Frac Ile-de-France qui expose, mais coproduit aussi des projets de jeunes artistes en dialogue avec d’autres structures, et notamment les écoles d’art et les universités franciliennes, comme en ce moment où un film de Joséphine Berthoud est montré. Il y a aussi les Sillons, la proposition formulée par Thomas Conchou avec par ailleurs, pour être tout à fait honnête, j’ai bossé par ailleurs pour la Ferme du Buisson, et notamment dans le cadre des Sillons où j’ai organisé des podcasts, etc. Donc, sachez-le. Mais je trouve néanmoins sa proposition vraiment intéressante, qu’il a formulé donc quand il est arrivé à la direction artistique du centre d’art de la Ferme du Buisson. Les Sillons, c’était certes une exposition qui rassemblait une petite dizaine d’artistes récemment sorti.e.s d’école, mais ces artistes ont aussi eu la possibilité, si iels le souhaitaient, de profiter d’un accompagnement plus large sur la structuration de leur statut et de leur activité. Un partenariat avait notamment été mis en place avec la Maison des artistes qui proposait des rendez-vous avec les exposants et les exposantes pour répondre à leurs questions et les aider à découvrir l’Urssaf, etc. Enfin toutes ces joies-là administratives. Les équipes de la Ferme du Buisson avaient vraiment fait du cas par cas avec chaque artiste pour mieux répondre à leurs besoins spécifiques. Iels avaient aussi joui de budget de production pour développer leurs œuvres. Et Dieu sait que c’est important en sortie d’école aussi, quand tu te retrouves sans atelier, etc. avec plein de projets en tête, mais sans le sou. À Toulouse, le BBB propose aussi une formation de deux mois durant laquelle les artistes rencontrent des curateurices, des critiques, apprennent à faire un portfolio, à gérer leur com’ aussi. C’est pas très sexy, mais effectivement. Comment tu gères ton compte insta, tes… ta newsletter, que sais-je ? La formation, elle peut être financée par l’AFDAS, celle du BBB. Donc l’AFDAS, c’est comme une sorte de… c’est un équivalent CPF de la culture, si je puis dire. Je sais pas si vous êtes ok avec ça. Il y a aussi évidemment Artagone et ses formations. Donc les artistes résidents et résidentes à Artagone jouissent effectivement d’un atelier, mais peuvent aussi profiter de rendez-vous individuels et collectifs avec des professionnel.le.s. Si bien que je crois que finalement, il est nécessaire de… de changer de paradigme. L’idée n’est pas de rendre visible à tout prix, car je crois qu’on peut vite glisser vers le paiement en visibilité. Et finalement les choses se jouent souvent de manière beaucoup plus souterraine, via l’accompagnement, comme tu le disais Claire, le financement de prod’, la relecture de portfolio, etc. Et tout cela, je crois qu’il est nécessaire que ce soit porté avant tout par des structures publiques, ensuite associatives, mais publiques avant tout. Que les écoles d’art accompagnent leurs étudiant.e.s, que les centres d’art soutiennent les jeunes artistes avec lesquel.le.s iels travaillent. Et qu’on soit vigilants et vigilantes face aux structures privées et autres start-up qui profitent de la mise à mal des écoles d’art en France, des défaillances des pouvoirs publics et de la vulnérabilité des artistes, pour proposer des services qui devraient être intégrés aux formations et non pas privatisés. Donc voilà, c’est un peu les questionnements que je me pose en ce moment. Claire ? Et après, il va falloir conclure.

 

Claire Luna : 

Merci beaucoup, je suis tellement d’accord avec toi. Et toi, tu disais au-delà des expositions. Moi, je dirais en deçà des expositions.

 

Camille Bardin : 

Tellement ! Ouais ouais complètement. 

 

Claire Luna : 

Et même moi, c’est même une question que je me pose en ce moment, c’est-à-dire : l’exposition est-elle une nécessité pour montrer son travail ? Parce qu’aujourd’hui, comme tu dis, c’est le paradigme, en fait, c’est le schéma. Et évidemment, quand tu es artiste, comment montrer ton travail ? Comment bah finalement avoir une reconnaissance ? Et ce serait super de réfléchir à ça, peut-être dans un autre podcast. Mais les structures, qu’est-ce qu’elles peuvent mettre en œuvre ? Là, tu en as déjà cité quelques-unes, mais c’est très peu, on le sait notamment les résidences, etc.

 

Camille Bardin : 

Oui oui, il y a évidemment plein d’autres choses. 

 

Claire Luna : 

Mais ça, c’est vraiment une vraie réflexion à mener pour moi. Et… Moi, du coup, je me pose une autre question, mais là, en tant que commissaire. Je trouve qu’il y a une surproduction d’expositions. Et j’ai envie, vraiment, en ce moment, je me pose vraiment la question de comment montrer le travail des artistes autrement qu’avec le format de l’exposition ?

 

Camille Bardin : 

Trop bien. Ça vous va de finir là-dessus ? Je trouve ça assez chouette. [iels acquiescent] Passons maintenant à la deuxième partie de ce podcast qu’on consacre à l’exposition Jeune Création à l’IAC. Claire, tu nous introduis tout ça ?

 

Claire Luna : 

Oui.

 

Camille Bardin : 

Let’s go.

 

Claire Luna : 

Alors, pour sa 17e édition, la Biennale de Lyon a ouvert ses portes le 21 septembre dernier et restera visible jusqu’au 5 janvier 2025. Son commissariat a été confié à Alexia Fabre, qui est l’actuelle directrice de l’école des Beaux-Arts de Paris, mais aussi l’historique directrice et créatrice du musée du MAC VAL, le centre d’art contemporain à Vitry-sur-Seine, au sud de Paris. Sa directrice artistique est Isabelle Bertolotti, également directrice du Mac du musée d’art contemporain. En intitulant la biennale « Les voix des fleuves Crossing the water », Alexia Fabre a convié près de 80 artistes à penser les relations entre tous les êtres, humains ou pas, avec leur environnement, pour réfléchir à la dimension collective, celle de l’être ensemble, et au soin, entendu ici comme une attention à l’autre autant qu’une réparation. Connue pour son ampleur internationale, la biennale a toujours revendiqué un fort ancrage local et territorial. Le programme Résonance en est l’une de ses manifestations. Pour l’occasion, de nombreux lieux et acteurices de l’art s’associent à la thématique de l’événement pour proposer plus de 250 projets dans toute la région Auvergne-Rhône-Alpes. Cette année, la biennale a investi neuf sites dans la ville de Lyon et ses alentours. Parmi eux : le Mac, la station de métro B Gare Lyon Part Dieu, le jardin du musée des Beaux-Arts ou encore un parking, le LPA — Saint-Antoine. Elle se déploie aussi sur deux nouveaux lieux : la Cité internationale de la gastronomie, qui est en fait l’ancien hôpital du grand Hôtel Dieu, une bâtisse du XVIII siècle qui a été pensée par Soufflot en plein centre-ville. Et les Grandes Locos, j’ai envie de dire Grandes Locos [avec l’accent espagnol] pour toi, Alexia, spéciale dédicace. [iels rient] Que sont donc les Grandes Locos ? Ce sont deux halles qui sont sous verrières, de milliers de mètres carrés. En gros, c’est deux fois le palais de Tokyo, dans la ville de Oullins, au sud de Lyon. Et là, on y a réparé en fait les locomotives jusqu’en 2019. Et puis bien sûr, l’incontournable IAC de Villeurbanne, l’Institut d’art contemporain, qui accueille depuis 2009 la plateforme dédiée à la jeune création. Connu sous le nom de « Rendez-vous », ce dispositif s’intitule désormais « Jeune création internationale ». Donc là, l’exposition présente dix artistes, cinq issus de la scène régionale, sélectionné.e.s par un jury de professionnel.le.s de l’art français, et cinq artistes de la scène internationale choisi.e.s par un jury de commissaires internationaux.ales, en collaboration avec d’autres biennales et institutions culturelles. Iels ont été invité.e.s à imaginer un projet inédit et in situ pour la biennale. Je vous écoute… [iels rient] 

 

Camille Bardin : 

Ah me regarde pas comme ça ! [iels rient]

 

Claire Luna : 

Grégoire tu veux commencer ?

 

Camille Bardin : 

Peut-être avant tout petit disclaimer, comme d’habitude, sur les modalités de visite de cette exposition, de cette biennale. On y est allé.e.s un peu toutes et tous, chacun.e de notre côté. Alexia et moi, on est parties toutes les deux avec le reste de l’équipe de Projets média au moment de la semaine pro. Toi, Grégoire… Donc du coup, à ce moment-là, nos billets de train ainsi que notre logement ont été pris en charge par Projets média. Toi, Grégoire, tu y es allé dans un cadre pro, etc. Mais voilà, en tout cas pas payé par la biennale, il me semble. Et Claire, pareil, c’était… tu es allée un peu plus tard et tu as été payée également. Enfin, ton aller-retour ainsi que ton logement ont été payé par Projets média. Donc à ce niveau-là, on est un peu tranquilles. Seul petit point quand même que vous ayez en tête, cher.ère.s auditeurices, au début de l’été, on a été contacté par l’IAC… par les équipes de l’IAC, pour justement imaginer un podcast avec elleux. Le projet ne s’est pas fait finalement, sans doute par manque de budget, etc. C’est une autre membre de JCA, Tania Hautin-Trémolières, qui a géré tout ça. Donc, nous quatre n’avons pas été en contact directement avec les équipes de l’IAC, donc on est un peu plus tranquilles à ce niveau-là. Mais voilà, vous savez tout des biais potentiels qu’on a dans cet épisode. Cela étant dit, Grégoire, est-ce que tu veux commencer à esquisser une critique de cette exposition ?

 

Grégoire Prangé :

À dire ce qu’on pense.

 

Camille Bardin : 

Voilà, exactement à dire, enfin, ce qu’on pense ! [iels rient]

 

Grégoire Prangé :

Oui, je vais commencer avec… Et ça permet aussi de recoller un petit peu les choses avec le débat qu’on a eu juste avant. Mais j’ai trouvé qu’il y avait un aspect qui était extrêmement positif dans l’exposition, et qui malheureusement, n’est pas toujours… Enfin, qu’on ne trouve pas pour toutes les expositions de « jeunes créations » (là aussi, entre guillemets). C’est que, en fait, le texte d’introduction de l’exposition n’est rien d’autre que l’explication du processus de sélection des artistes.

 

Camille Bardin : 

Tout le monde dit merci.

 

Claire Luna : 

Oui, c’était super !

 

Camille Bardin : 

Bravo !!! 

 

Claire Luna : 

Assumé quoi. 

 

Grégoire Prangé :

Donc un, on sait en fait comment les artistes ont été choisis, ce qui malheureusement n’est pas toujours le cas. Et deux, on ne fait pas semblant de venir a posteriori, en fait chercher une narration au-delà du simple contexte de cette biennale et donc de sa thématique. Ceci étant dit.

 

Camille Bardin : 

Ça commence. 

 

Grégoire Prangé :

Ceci étant dit. Du coup, c’est un petit peu le revers de la médaille. C’est très positif, mais cette exposition, en fait, est un enchaînement de solo show.

 

Camille Bardin : 

Oui, mais c’est ça qui est trop bien !

 

[00:38:05.670] – Alexia Abed

Oui, c’est la réflexion qu’on s’est faite.

 

Camille Bardin : 

C’est ça qui est génial ! 

 

Grégoire Prangé :

Et du coup, ça, on va pouvoir en parler. C’est super intéressant. On passe d’un solo show à l’autre et c’est donc des projets qui ont été vraiment conçus et produits pour cette exposition. Donc, on passe d’une proposition à l’autre. Et pour certains publics — et je m’inclus un petit peu là-dedans, du coup, c’est vrai que parfois, on aurait envie qu’il y ait un peu plus de liant. Alors c’est compliqué, parce qu’en disant ça, c’est quand même positif, effectivement, de ne pas chercher à créer du liant malgré tout.

 

Camille Bardin : 

Oui, c’est ce qu’on vient de répéter pendant 40 minutes. 

 

Grégoire Prangé :

Mais effectivement, quand même. Voilà. Mais bon, on peut quand même être un petit peu parfois… Voilà, pas se contredire, mais voilà. Il n’y a pas vraiment de liant et on aurait envie peut-être de… d’avoir quand même une sorte de déambulation proposée pour les publics.

 

Camille Bardin : 

Grégoire, je peux ?

 

Camille Bardin : 

Vas-y Claire. 

 

Claire Luna : 

Du coup, voilà, moi, c’est un aparté, mais en fait, ça en fait partie. C’est-à-dire que cette remarque que tu fais, je trouve qu’on peut la faire à toute la biennale, à toutes les expositions de la biennale.

 

Grégoire Prangé :

Complètement. 

 

Claire Luna : 

Et qu’on retrouve dans l’IAC. Je m’explique. 

 

Camille Bardin : 

Je suis d’accord avec toi. 

 

Claire Luna : 

Moi, je trouve qu’il y avait un… En fait, j’ai écouté Stéphane Corréard qui parle d’un fleuve tranquille pour cette biennale. Moi, je parlerais bien d’un récit au grand ventre mou, c’est-à-dire qu’avec tout ce que ça suppose. On retrouve pas la fermeté et/ou l’autorité du commissariat, dont Alexia Fabre s’affranchit peut-être volontairement, j’en sais rien. Et d’ailleurs, dans une discussion avec les membres de C-E-A, de l’association des commissaires d’exposition, elle a confié qu’elle avait laissé les artistes placer leurs œuvres où iels le souhaitaient. Donc, grosse question sur l’enjeu curatorial. Là où j’ai toujours imaginé l’exposition comme la mise en espace d’un récit, ici, son geste continue finalement de me faire penser. Et ça, c’est la première chose que je suppose ici, que j’appelle un « ventre mou », c’est-à-dire une forme de liberté dans les choix, ou peut-être un non-choix, je sais pas. Et la deuxième, c’est celle du confort, de l’accueil, que j’ai évidemment aussi trouvé à l’IAC. Mais partout. En fait, j’ai parfois même envie de dire du câlin. Voilà. C’est vrai. En fait, j’ai pas ressenti une ligne franche, ni de direction ferme, mais plutôt un grand espace d’accueil. Il n’y avait pas vraiment de rythme ni de rupture, il n’y a pas de parcours à suivre. Et j’avais l’impression de me déplacer dans des lieux d’exposition et au sein même des expositions de cette biennale, un peu comme je pourrais le faire sur un très grand trampoline, quoi. C’est-à-dire par sillons, là, je rebondis, ou par tourbillons, à droite ou à gauche, c’est pareil. Et du coup, j’allais à la rencontre de chaque œuvre et/ou de chaque artiste, sans orchestration ni panneau de direction. Et d’ailleurs, les œuvres qui se regardent n’ont pas nécessairement de lien entre elles, si ce n’est la fonction du lieu dans laquelle elles s’inscrivent. Je m’explique. Par exemple, aux Grandes Locos, le fil rouge, c’est le voyage et le déplacement, la réparation et le soin, la force du collectif et la contestation.

 

Claire Luna : 

Alors, on retrouve ces mots clés dans quasi tous les cartels, et c’est ce qui fait réunion. Et ce systématisme, pour moi, est devenu trop littéral et il a pu faire perdre au récit sa substance. Et donc, dans ce déplacement façon trampoline là, auquel cette mise en espace nous convie, j’y vois une pensée du décentrement et du déplacement, sans trop savoir où l’on va, sans guide déterminé ou déterminant. On réalise une longue traversée en se laissant porter, comme ces… cette rencontre des eaux, peut-être là où elles se mêlent. C’est peut-être ça, la confluence. Je sais pas. Un mélange qui n’aurait pas encore décanté. Comme une sorte de chorale, mais une chorale dans laquelle on identifierait parfaitement chaque voix. J’imagine plutôt un patchwork dans lequel on donne une vraie place à chaque pièce ou à chaque proposition artistique, mais sans un lien nécessairement entre elles, à part le fil qui les réunit pour en faire une grande pièce finale. Et je suis partagée, en fait, entre ce long flottement sans grande nouveauté. D’ailleurs, je n’en attends pas et je ne crois malheureusement pas que nos revendications changent en deux ans. Donc, je suis partagée entre ce long flottement qui manquerait peut-être un peu de colère, ou la mollesse d’une curation avec un discours vaporeux. Est-ce que la curatrice se cache derrière les artistes, ou au contraire, elle les laisse vraiment libres, comme peu de commissaires le font, au risque de ne pas tenir un discours ? Mais est-ce que c’est vraiment l’enjeu ou le lieu, la biennale, pour tenir un discours d’amidon ? Voilà.

 

Camille Bardin : 

Je suis suis tellement pas d’accord avec toi, Claire.

 

Claire Luna : 

Oui !! [elle rit]

 

Camille Bardin : 

Je suis pas du tout d’accord avec toi. Mais il faut qu’on parle de l’IAC, surtout. C’est notre sujet, l’IAC. Mais du coup, ça… C’est vrai que finalement, il y a des jolis parallèles, donc ça fonctionne bien. Mais non. Enfin, je discutais avec un critique, justement, de ce qu’on avait vu à… un critique qui est pas un membre de Jeunes Critiques d’Art, mais qui… de ce qu’on avait vu à la biennale, et il m’a dit une très jolie chose, c’est que finalement, il y avait zéro dialogue et que les œuvres ne formulaient que des monologues. Et effectivement, il n’y a pas de rencontre en fait. Il y a même des trucs mis à côté qui sont malheureux. Enfin, j’ai fini par détester ces pauvres cocottes minutes qui étaient pourtant super, mais qui ont sifflé dans mes oreilles pendant les 45 min du film de Jérémie Danon et Kiddy Smile aux Grandes Locos justement. J’ai trouvé des choix curatoriaux qui étaient un peu dommage, du style mettre, je crois, une jeune artiste juste après la grande installation d’Oliver Beer.

 

Grégoire Prangé :

C’était vraiment terrible.

 

Alexia Abed : 

C’était hyper violent. 

 

Camille Bardin : 

C’est tellement douloureux. Genre Oliver Beer justement…

 

Claire Luna : 

C’est pas ce que j’ai dit justement, il y a pas de lien. 

 

Camille Bardin : 

Non mais il n’y a pas de lien mais même en fait…

 

Claire Luna : 

Quand elles se regardent on sait pas pourquoi ?

 

Camille Bardin : 

C’est même pas ça, c’est qu’en fait là, tu vois, tu mets Oliver Beer aux Grandes Locos qui est une immense installation hyper produite avec… donc dans une salle énorme avec plein d’écrans qui a fait chialer tout le monde, qui était hyper belle. Et juste après, il me semble que c’est une jeune artiste peintre qui est… qu’on enchaîne… enfin, on enchaîne avec ça. Enfin en tout cas, je trouve que l’artiste souffrait aussi de la comparaison. Enfin, évidemment que tu fais pas le poids face à un truc hyper produit comme ça où tout le monde s’en est pris plein la tronche quoi. Donc j’ai trouvé ça hyper dommage. Ce que je n’ai pas du tout trouvé à l’IAC justement. C’est que à l’IAC, t’as un truc où tu enchaînes de pratique en pratique, tu as des trucs… Tout est giga produit pour le coup, vraiment.

 

Claire Luna : 

Oui il y a pas de mise en regard. 

 

Camille Bardin : 

Mais par contre tu… vraiment, tu rentres dans une première salle, tu reprends ton souffle, tu as une autre salle, tu changes complètement d’ambiance. Mais pour le coup, il n’y a rien, il n’y a aucun.e artiste qui… enfin tu vois…

 

Claire Luna : 

… qui pâtit

 

Camille Bardin : 

qui pâtit d’être avant ou après un.e autre. Enfin, c’est vraiment… Moi, j’ai trouvé, pour tout vous dire de manière complètement, vraiment honnête et pas du tout pro. Enfin, je le disais de manière complètement amicale à toutes les personnes que j’ai pu croiser depuis que je suis revenue de Lyon il y a de ça deux semaines, je n’ai cessé de dire que je crois que c’est la plus belle exposition de jeunes créations que j’ai vue depuis que je travaille dans l’art contemporain. Parce que même si tous les boulots ne m’ont pas ultra plu, en vrai, à chaque fois il y avait une vraie proposition, il y avait du budget qui était mis, on se rendait compte qu’on se foutait pas de notre gueule. Enfin, il y avait vraiment un truc trop beau. Et quand je parlais tout à l’heure du salon Montrouge et justement de ces espèces de box et de mon plaisir à voir justement des espèces de boulot et de portfolio se déployer devant moi, bah là vraiment, j’en avais pour mon argent quoi. Vraiment je…

 

Alexia Abed : 

Juste petite rectification.

 

Camille Bardin : 

Vas-y vas-y. 

 

Claire Luna : 

C’est que en fait pour moi, et d’ailleurs, il parle pas d’exposition mais de plateforme pour jeunes créations.

 

Camille Bardin : 

Oui mais de fou ! Mais justement !

 

Claire Luna : 

Donc c’est pas une exposition curatée, c’est assumé. Et en effet, il n’y a pas de mise en regard, c’est une traversée, mais qui en effet donne toute la place à chaque proposition artistique.

 

Camille Bardin : 

C’est ça ! Complètement ! Et c’est ultra agréable. Alexia ?

 

Alexia Abed : 

Mais plus que ça, moi, je pense qu’en fait le fait qu’il y ait pas de texte et qui présente juste les modalités de sélection, ça nous permet aussi d’envisager l’exposition comme un panorama, sans prétendre qu’il soit exhaustif, de la jeune création. La sélection est plus pensée comme un échantillonnage de profils, de champs de recherche des esthétiques et des médiums dont s’emparait la jeune création. Et en ce sens, cette exposition ou ces expositions plutôt, donc les 10, révèlent quelques-uns des courants artistiques les plus prégnants de notre génération. Enfin moi, je m’inclus dans la leur. D’emblée, on comprend qu’on nous donne à voir 10 solo show, un par artiste, dans un parcours qui nous permet d’entrer dans chacune de leurs capsules qui se font écho sans pour autant se chevaucher. Et ce que j’ai apprécié, malgré ce que tu as dit Claire, qui est assez juste, que les cartels, bon, se ressemblent un petit peu, avec un champ lexical…

 

Camille Bardin : 

À l’IAC ?

 

Alexia Abed : 

Ouais, mais à l’IAC, dans la biennale en général, on a… On a les mots clés, ils sont là.

 

Claire Luna : 

Moins à l’IAC parce que les autres expo en fait sont liées à l’espace dans lequel elles sont.

 

Alexia Abed : 

Oui bien sûr.

 

Claire Luna : 

Mais sinon les autres, c’est vraiment soin, soin, soin, soin, soin, réparation, réparation, réparation.

 

Alexia Abed : 

La question en fait de la polyphonie et est hyper prégnante. Et donc je vais donner exemple de l’installation de Vir Andres Hera. Donc c’est une installation vidéo polyglotte, multidirectionnelle, où l’artiste donne à voir le parcours d’une douzaine de personnalités activistes LGBTQIA+ pour multiplier les perspectives. Et cette œuvre en fait fait écho selon moi à ce que nous propose Shivay la Multiple dès l’entrée de l’exposition, avec une installation très colorée où l’artiste mélange de la vidéo, du son, des screenshots. Il y a aussi quelque chose de l’ordre de la sculpture suspendue. Bon, il y a énormément de choses. Et je sais pas si vous avez remarqué, mais dans le cartel de Shivay la Multiple, iel a ajouté le mot « amour » à la liste des matériaux utilisés et moi ça m’a fait un petit peu rigoler et j’ai bien aimé ça parce qu’en fait, on parle vraiment de joie mise en partage. Et quand on voit l’installation de Vir Andres Hera et aussi celle de Shivay la Multiple, on comprend cet enthousiasme pour la découverte de l’Autre avec un grand A, qui permettent à ces deux installations de s’inscrire dans une dimension politique inclusive et intersectionnelle, et en faisant des rebonds l’une à l’autre, alors qu’elles sont pas au même endroit dans l’IAC. Et elles portent en fait également l’urgence de retisser des liens dans un monde abîmé. Là-dessus, on est complètement d’accord. Et en fait, moi, j’ai trouvé que c’était assez clair sur toutes les propositions qu’on a vues à l’IAC, c’est que les artistes semblent réactualiser l’utopie et même la dystopie, en en réorganisant les symboles et en se proposant conteureuses. Et je crois que c’est. Et là l’exemple que j’aimerais donner. Parce que, en dehors de l’installation de Vir Andres Hera, il y a quelque chose que j’ai remarqué, c’est une absence, une absence des corps notamment. C’est ce qui m’a immédiatement interpellée. Il y a une absence de la figuration, il y a une disparition des corps, à l’exception de cette œuvre-là. Et en fait, même dans l’œuvre de Vir Andres Hera, les corps sont projetés en vidéo, donc il reste quand même très immatériels. Et donc les sujets de construction d’identité, d’adelphité sont présents, donnent à voir leur complexité. Et en même temps cette disparition des corps nous montre bien l’état du monde dans lequel on vit, et des sujets politiques et des conditions de vie actuelles des artistes, qu’iels soient locales ou internationales. Et pour conclure, en fait, les sujets de cette génération semblent être précarité, conditions de travail ingrate, fragilités psychologique et économique, capitalisme tardif, éco-anxiété, maladie, guerre, violences institutionnelle ou administrative, logements indignes. Bref, nul besoin de convoquer des corps frontalement, puisqu’ils semblent désormais hantés, voire maudits. Et ça, ça m’a fait plaisir, parce que du coup une part belle est donnée à l’anecdote et à la restitution de recherche à la fois scientifique et empirique, mise en forme. Alors peut-être que parfois, c’est bancal, parce que iels sont au début de leur carrière, mais en tout cas, c’est là et ça permet au public de venir piocher comme ça ce qu’iels préfèrent, et créer elleux-mêmes leur propre narration et leur propre interprétation de ce que cette génération a à dire, sans qu’on vienne les digger… [elle rit] les guider, et sans qu’on vienne conditionner leur pensée par des textes préécrits ou un itinéraire préconçu.

 

Camille Bardin : 

Grégoire ?

 

Grégoire Prangé :

Ouais. Il y a… Enfin, je suis d’accord avec ce que tu viens de dire. Il y a deux choses qui me gênent beaucoup dans ce que tu viens de dire justement.

 

Alexia Abed : 

Ah.

 

Camille Bardin : 

[murmure] Han ! Ça se castagne. 

 

Grégoire Prangé :

Mais ça me gêne pas. Non, ça me gêne pas, parce que, enfin, je suis d’accord avec toi, mais ça me gêne dans l’exposition justement.

 

Alexia Abed : 

Je comprends.

 

Grégoire Prangé :

En fait, il y a deux choses qui me gênent. La première, c’est que tu parles de « génération » et effectivement, c’est un petit peu ce que l’exposition nous donne à voir, même si elle s’en défend. La deuxième chose, c’est que du coup, justement, tu viens de faire le travail, de chercher en fait des thématiques communes à ces artistes. Travail en fait, qui est très naturel et qui est très positif, mais que, à aucun moment, en fait, l’exposition n’esquisse elle-même. Or, nous sommes travailleureuses du monde de l’art, on est habitué.e.s à faire ce type de connexion. Quid du public en fait qui vient à l’IAC ? Est-ce que ce public, je pose la question, est-ce qu’il n’y a pas peut-être juste un tout début de quelque chose à donner, même s’il y a beaucoup d’informations ? Alors, je fais aussi un peu exprès d’apporter des…

 

Camille Bardin : 

Ouais…

 

Grégoire Prangé :

C’est une exposition que j’ai trouvée très bien par ailleurs, je la trouve super effectivement, mais je trouve ça un petit peu dommage. Alors, juste pour aller un petit peu au bout de ma pensée par rapport à la « génération ». En fait, ce que je trouve compliqué, c’est que en fait, cet enchaînement de capsules donne à voir des propositions artistiques qui bien sûr tissent entre elles des liens, mais qui sont issues de contextes socio-économiques, culturels extrêmement différents. Ces contextes, on y accès dans les cartels, il y a toujours une biographie de l’artiste, mais on les met quand même… Parce que l’exposition, même si l’IAC dit que c’est une plateforme, que ce n’est pas vraiment une exposition en soi, en fait, c’est quand même un espace temps, on passe d’une proposition à l’autre et donc quoi qu’il en soit, ça fait corps et en faisant corps, du coup, c’est mis sur un même plan. Et du coup, je trouve ça un peu périlleux dans l’idée en fait, parce que on rassemble en fait des contextes qui sont extrêmement variés. Bien sûr, on va peut-être trouver des choses qui sont connectées et qui se répondent. C’est aussi une génération d’artistes, mais je trouve que ça… En fait en faisant du liant, justement en raccrochant les choses, ça permet aussi en fait de mettre ça en perspective.

 

Camille Bardin : 

Je vois pas où est le problème en fait du fait d’avoir des contextes différents, etc. Je vois pas où est le problème.

 

Claire Luna : 

Moi, je trouve que tu viens de dire quelque chose d’important. C’est que c’est assumé dès le départ. Iels ne parlent pas pas d’exposition, mais de plateforme. Et c’est là où moi, du coup, j’ai [elle émet un son qui sous-entend qu’elle n’a pas lu le texte en détails] baissé et je me suis dit… et je n’ai pas lu ce que vous avez lu manifestement.

 

Camille Bardin : 

Ah ouais, moi j’ai pas du tout fait ce taff-là. Je me suis laissé porter. 

 

Claire Luna : 

 Mais il parle pas d’une génération.

 

Alexia Abed : 

Non non non c’est moi qui le dit. 

 

Claire Luna : 

Enfin justement, il n’y a pas cette ambition ni cette revendication de justement mettre en perspective des revendications d’une revendication (revendication de revendication) d’une génération en fait. Et c’est ça qui me convainc et c’est ce que je trouve pertinent. Et après, c’est ce qu’on disait tout à l’heure, mais c’est en effet, il n’y a pas de mise en regard, c’est au public de le faire ou pas. Mais si on ne le fait pas, on a quand même cette plongée dans le travail de… dans le projet artistique de chaque, tu vois.

 

Grégoire Prangé :

Oui mais tu déambules d’une salle à l’autre. Tu vois, je veux dire, l’espace, il est là, le truc est cohérent.

 

Claire Luna : 

Oui tout à fait, mais c’est ce que je disais du « ventre mou. »

 

Camille Bardin : 

Oui, mais les espaces sont vraiment cloisonnés. Enfin, tu as vraiment un truc où tu as comme des espèces de battements de cœur, enfin, tu vois, tu passes d’un… Rolala, je me suis épuisée toute seule en disant ça. [iels rient] Vraiment là, j’ai fait une vieille envolée de critique d’art à deux francs six sous. Mais c’est pas grave. Non mais tu vois, tu as un espèce de truc où tu passes d’une salle à l’autre comme ça. Enfin, tu as un rythme qui se fait, enfin tu vois, où il y a des salles dans lesquelles tu restes plus longtemps, etc. Et puis surtout moi, ce que j’ai ressenti c’est. Je me suis sentie ultra chanceuse en fait d’avoir accès comme ça à de jeunes artistes, à une artiste qui vient d’Inde, de Lituanie, de Serbie, etc. Enfin, je me disais c’est tellement… Enfin, c’est trop chouette à la fois d’avoir accès à leur boulot, mais surtout d’avoir la possibilité d’avoir une vraie rencontre, quoi. C’est que là, les personnes ont une salle entière dans laquelle iels peuvent se déployer absolument. Et vraiment, j’ai eu des coups de cœur là-bas ou des artistes que typiquement tout à l’heure, je parlais d’échantillonnage, etc. Shivay la Multiple, j’ai l’impression de lae croiser un peu partout. C’était la première fois que j’avais la possibilité de voir son travail vraiment se déployer comme ça, dans tout un espace. Et quel plaisir, quoi. Matthias Odin, pareil. J’avais… J’avais eu l’occasion de le croiser une fois à Marseille, de croiser la voiture qu’il a amenée çà et là en France pendant plusieurs mois, si ce n’est années, etc. où il avait demandé, en fait à plein d’artistes de venir pimper sa caisse, etc. Et c’était trop beau de voir un peu cette voiture en fin de parcours à Marseille. Et là, de revoir son travail, vraiment prendre tout cet espace et tout c’était. Enfin, ça faisait tout un espèce de petit écosystème de souvenirs. Tu parlais des corps absents, et en même temps, ils sont en creux de partout. Enfin, c’était trop beau, vraiment. J’ai trop… Moi, j’ai vraiment trop trippé, quoi. C’est vraiment. Et c’est là où j’adore, c’est que bien que ce soit pour un épisode de Pourvu Qu’iels Soient Douxces, moi, j’y suis vraiment allé. J’ai oublié. J’en avais rien à foutre. J’ai juste kiffé mon moment.

 

Claire Luna : 

Pareil. 

 

Camille Bardin : 

J’ai vu l’expo, je me disais encore une fois… Je me sentais hyper chanceuse, quoi. Alexia ?

 

Alexia Abed : 

Oui. Alors, pour rebondir sur ce que disait Claire. Je suis tout à fait d’accord avec toi, Camille. [elles rient] Complètement d’accord. Hyper, hyper chanceuse. Pour rebondir, le mot « génération » n’a pas été utilisé. C’est moi qui l’ai utilisé, parce que j’ai eu la bonne idée d’aller regarder quand est-ce que les artistes étaient né.e.s. Et donc iels sont toustes né.e.s dans les années 90. Il n’y a même pas de 89, je crois. Donc… Mais voilà. Enfin, voilà, c’est vraiment ça. Donc du coup, c’est pour ça que je me suis permise d’utiliser ce terme, moi-même née dans les années 90, du coup. Et donc ça, c’était pour ma première défense. Grégoire…

 

Camille Bardin : 

À l’attaque !

 

Alexia Abed : 

[elle rit] Non, en fait, je comprends totalement ce que tu dis. Ces liens, en fait, qu’on va créer, parce qu’on a l’habitude de le faire. Et aussi, c’est rassurant, en fait, de donner naissance à quelque chose qui nous est donné à voir. Mais ce sur quoi je voulais insister, c’est vraiment le fait qu’on puisse piocher les choses. Et de toute façon, arrêtez-moi si je me trompe, mais toutes les expositions, les dix expositions qu’on a vues, ou plutôt les dix propositions qu’on a vues évoquaient quand même tout… toutes, pardon, une certaine violence d’un rapport au monde. Et ça, c’est pas juste créer un lien, c’est parce qu’en fait, je crois que de fait, on est obligé.e.s de ressentir cette violence-là parce qu’on est sur-stimulé.e.s par énormément d’informations. Et aussi on essaie de se construire vu qu’on a… vu que cette génération a à peu près la trentaine, on est dans l’adulthood désormais et du coup, on envisage le monde différemment ou en tout cas avec plus de conscience. Et c’est peut-être ça. Donc, ce serait pas dire « Ah, le public va vite comprendre à quel point c’est la merde » voilà. Mais je pense que le public peut se reconnaître en tout cas au moins dans une des salles avec un combat qu’iel peut s’approprier aussi.

 

Camille Bardin : 

Grégoire ?

 

Grégoire Prangé :

Je suis complètement d’accord que le public peut se reconnaître dans les salles, que effectivement, de passer d’une proposition à l’autre, en plus très bien produite, un vrai environnement, on sent que c’est pas de quelques pièces qui ont été rassemblées, mais que vraiment tout l’espace a été pensé, la médiation est très bien faite. Enfin, tout ça, c’est pas une question. On est complètement d’accord. 

 

Camille Bardin : 

Franchement 20/20. 

 

Claire Luna : 

Non peut-être pas. 

 

Camille Bardin : 

Ah si de fou ! 

 

Grégoire Prangé :

En fait moi quand même je… Enfin, je reviens dessus, c’est pas parce que je suis têtu, je suis un peu têtu quand même.

 

Camille Bardin : 

Un peu quand même si je puis me permettre.

 

Grégoire Prangé :

Mais en fait c’est… On traverse l’espace dans un temps donné, on rentre à l’IAC et on en sort. Entre deux, on est passé.e.s d’une salle à l’autre. La scansion des artistes compte. Qui on va voir avant et après, qui ? Ça compte. Ça compte dans la manière dont on perçoit l’exposition. On peut pas. On n’a pas un espace central qui nous dirige vers les dix salles. Et ensuite, le fait de mettre ces artistes-là, même si iels ont été choisi.e.s selon un protocole qui nous a expliqué… qui nous a été expliqué, pardon, et qui ne fait pas semblant de dire qu’ils et elles ont un lien. C’est pas le cas. En fait, quand même on nous les présente ensemble, on les voit l’un et l’une après l’autre, et donc nous, on va en faire un corpus, forcément, qui doit avoir une forme de cohérence. C’est naturel en fait, parce que c’est un espace temps, ça, c’est la manière dont moi, je vois les choses.

 

Camille Bardin : 

Mais du coup ça t’a dérangé de ne pas avoir de liant ?

 

Grégoire Prangé :

Non. Du coup je trouve ça. En fait, je trouve ça… Ça m’a pas dérangé, je me suis juste posé la question. Je me suis dit, en fait tous ces contextes sont tellement différents entre ces cinq artistes qui viennent de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui sont locaux.ales, qui traversent aussi une réalité socio-économique particulière, même si iels ont des situations différentes, et des artistes qui viennent de pays d’Europe de l’Est, d’Indonésie, etc. Je veux dire… Et ça, on peut le deviner, on peut le lire par ci par là. C’est pas dit, on nous le dit pas.

 

Camille Bardin : 

Mais je trouve que tu le sens, ne serait ce que dans les formes, en fait, qui sont proposées. Et ça, je trouvais que c’était trop bien aussi.

 

Grégoire Prangé :

Oui mais Camille, on est super habitué.e.s à voir des choses, tu vois.

 

Camille Bardin : 

Soit. 

 

Grégoire Prangé :

En fait, j’aurais trouvé ça bien qu’on nous le dise, voilà. Et que…

 

Camille Bardin : 

Qu’on nous le dise comment ça ?

 

Grégoire Prangé :

Qu’on fasse quand même le test de… Enfin comment dire… Que l’IAC et le commissariat, il y en a quand même forcément eu un, prennent ce risque de, peut-être quand même donner quelques éléments de… comment dire… de narration, de contexte et de mise en perspective. J’aurais trouvé ça intéressant…

 

Camille Bardin : 

Mais de contexte socio-économique, tu veux dire, des artistes, etc. ? Parce qu’en fait, tu le devines, enfin, à partir… dès lors que… Effectivement, tu disais qu’effectivement nos yeux sont habitués, etc. Soit. Quand tu rentres dans certaines salles, tu te rends bien compte que c’est des formes qui sont assez inédites, que t’as pas forcément. Enfin, tu vois, on a quand même des typologies de formes qu’on retrouve.

 

Grégoire Prangé :

Les cartels le disent.

 

Camille Bardin : 

Voilà, les cartels le disent.

 

Grégoire Prangé :

Les cartels le disent. 

 

Camille Bardin : 

Les cartels le disent. Et je trouve que ça suffit. En fait, dès lors que tu lis que l’artiste vient d’Inde, etc. ou de Lituanie, de Serbie, que sais-je. Tu te doutes bien que… Enfin, je sais pas moi, du coup, j’apportais aussi un regard particulier. Enfin, je me disais que déjà, encore une fois, je parlais de chance tout à l’heure, du coup je me disais que potentiellement, c’était des pratiques que j’allais pas revoir, etc. Je pense que même si les visiteureuses qui sont pas des travailleureuses de l’art n’ont pas les mêmes réflexes que nous, je pense qu’il y a des choses qui sautent aux yeux quand même, ou en tout cas qui sont dites sans être…

 

Grégoire Prangé :

Surtout. Si non c’est dit, les cartels le disent.

 

Camille Bardin : 

C’est pour ça je comprends pas.

 

Grégoire Prangé :

Au-delà du lieu de naissance de l’artiste. En fait, le projet est mis en contexte, par rapport à une situation.

 

Camille Bardin : 

En plus.

 

Grégoire Prangé :

Je dis pas ça, c’est… Encore une fois, c’est très bien fait.

 

Camille Bardin : 

C’est quoi ton problème Grégoire en fait ? [elle rit]

 

Grégoire Prangé :

J’ai pas de problème. J’essaye juste… J’essaye… En fait, je me suis posé la question.

 

Alexia Abed : 

C’est le fait que ce soit pas hiérarchisé ? 

 

Grégoire Prangé :

Non c’est pas une question de hiérarchie. C’est le fait que… C’est très bien fait, salle par salle. J’aurais peut-être aimé. Je me suis dit ça en sortant. En fait, j’aurais peut-être aimé que dans ce texte d’introduction, il y ait quelque chose, je sais pas exactement quoi.

 

Claire Luna : 

Qui dégage quelques lignes ou qu’il y ait un engagement finalement une implication quoi. 

 

Grégoire Prangé :

Oui ça reste quand même très mis à disposition d’espace, tu vois. J’aurais peut-être aimé ça. Par contre, je ne dis pas qu’il n’y a aucun élément de contexte qui est donné, parce que ce n’est pas vrai. Et c’est surtout, vraiment bien fait.

 

Camille Bardin : 

Oui. Autre chose ?

 

Claire Luna : 

On peut parler de nos coups de cœur ?

 

Camille Bardin : 

On est sur la fin. 

 

Claire Luna : 

Moi, je veux faire un coup de cœur. Mais tu en as déjà parlé, Alexia. Mais j’ai trop envie d’en parler. C’est Vir Andres Hera qui en fait… Son installation, qui s’appelle « Amoxtli », qui veut dire « livre » ou « cahier » en nahuatl, et qui est composée d’un ensemble de cinq vidéos. L’œuvre dure un peu plus d’une heure. Et moi, je sais pas comment vous l’avez reçu, mais je l’ai, enfin, je l’ai trouvé hypnotisante, quoi. Je suis restée, restée. Et les personnes filmées, elles m’ont communiqué une sensation, mais forte de joie, quoi, d’allégresse. En espagnol, on dit « alegría », quoi. Il y a vraiment ce truc d’allégresse, quoi. Il y a un vrai sentiment de connexion souterraine entre elleux, comme ce qu’on appelle un égrégore, ou alors d’une toute autre dimension que… que l’on ne connaît pas. Et à la fois, cette dimension, je la trouve très ancrée et suffisamment ancrée pour le sentir partagé par chacun.e d’entre elleux. Et comme tu disais, le film, il montre une douzaine de personnalités activistes, LGBTQIA+, artistes et technicien.ne.s, qui évoquent leur parcours, leur identité. Et iels sont là, réuni.e.s. Iels dansent, chantent, déambulent dans la ville et hors d’elle. Et iels ne produisent rien, surtout rien. Ce qui les réunit, c’est juste d’être ensemble et de s’exprimer. Et comme le précise Vir Andres, c’est en fait de s’exprimer à la manière d’un poème de Sayat-Nova. Iels sont en chœur avec trois langues, en fait. Et les voix, elles sont multiples et mutantes, et leur écho et leur superposition construisent un nouveau territoire intersectionnel, au sens le plus courant de point de rencontre quoi, sans boussole ni frontière. Et je trouve que cette œuvre, elle cristallise vraiment plusieurs traits et enjeux de la biennale, qu’on a pu évoquer avant et comme tu disais aussi, Alexia. Et je vais juste faire vite fait, je développerai pas les autres œuvres, même si j’aurais aimé, mais parler de « Welcome to the plastic Age » de Ines Katamso, que j’ai adoré, de Nadežda Kirćanski qui a proposé une salle d’attente pour les soins, qui fait écho aussi à celle de Benoît Piéron…

 

Camille Bardin : 

… Dont on avait parlé dans le dernier épisode de PQSD.

 

Claire Luna : 

Évidemment, Shivay la Multiple aussi, qui, avec ses mythologies tressées par les eaux, nous a… nous embarque on ne sait où. Et à la Cité internationale de la Gastronomie, Guadalupe Maravilla, j’ai trouvé ça incroyable.

 

Camille Bardin : 

Ouais toi, tu sors carrément de l’IAC ouais.

 

Claire Luna : 

Et les Grandes Locos, Julien Discrit, Oliver Beer et Clément Courgeon.

 

Camille Bardin : 

Trop bien. Grégoire ?

 

Grégoire Prangé :

Sur les coups de cœur ?

 

Camille Bardin : 

Allez !

 

Grégoire Prangé :

Non, mais du coup, moi, je pensais qu’on avait le droit à un coup de cœur, à l’IAC. 

 

Claire Luna : 

J’en ai développé un à l’IAC. Après, j’ai voulu quand même mentionner…

 

Camille Bardin : 

Elle a triché !

 

Claire Luna : 

J’ai triché… On les coupera si vous voulez !

 

Grégoire Prangé :

Moi je tricherai pas. Non, non. Moi, s’il fallait choisir effectivement un coup de cœur. J’ai été particulièrement intéressé par l’installation du coup de Inès Katamso que j’ai trouvé vraiment assez… assez merveilleuse pour le coup. Et là, pour le coup, vraiment. Mais comme toustes, en fait, le cartel donnait beaucoup d’informations justement sur… Je trouvais quand même la manière, en fait, dont elle vient à la fois interroger quelque chose qui est vraiment de l’ordre de… de l’urgence écologique, à partir de recherches scientifiques très pointues sur les nanoplastiques. Et elle vient tisser ensuite des liens très subtils avec justement toute la mythologie balinaise, puisqu’elle est franco-indonésienne, elle réside aussi à Bali. Et elle crée cette sorte de totem avec du végétal, avec du… En fait, on dirait presque de la pierre, quelque chose de très minéral, mais qui… Et en fait, tout ça est complètement imprégné de ces nanoplastiques qui en constituent en fait même l’ADN, presque. Il y a une sorte de perte de repères, de changement d’échelles. Ça pourrait être tout petit, ça pourrait être immense. Et je trouve que c’est vraiment une proposition très poétique qui rejoint également des sujets qui me sont chers.

 

Claire Luna : 

Idem oui, j’ai adoré. 

 

Grégoire Prangé :

C’était vraiment une très, très belle proposition. Et pour le coup, alors, je rejoins la chance dont parlait Camille, mais j’étais hyper content de pouvoir voir une installation en fait aussi développée de son travail que je ne connaissais pas.

 

Camille Bardin : 

Alexia ?

 

Alexia Abed : 

Du coup, comme je disais au début, je suis d’accord avec vous sur… Sur les coups de cœur. Et d’ailleurs, j’ai quasiment tout aimé. Mais je parlais tout à l’heure de la part belle qui a été laissée à l’anecdote et à la restitution des recherches, donc à la fois scientifique et empirique. Et tout cela donc atteste d’une volonté de ne pas confisquer la parole. On l’a déjà… on l’a vu et on l’a dit. Et je pense notamment au travail de Hilary, pardon pour la prononciation, Galbreaith, qui propose en fait une pluralité de points de vue à travers le témoignage. Et crois que le témoignage à l’IAC revient souvent, en fait, et assez important. Et dans son installation « Be our guest », qui angle sur les conditions de travail difficile dans le secteur de l’hôtellerie et du tourisme. Et je crois que ici, à cette table, tout le monde a travaillé dans ce magnifique secteur, pas du tout violent. Bref, l’artiste, elle nous plonge dans une ambiance standardisée, avec une moquette marron impeccable au sol, une lumière tamisée et on entend la bande son de la musak, c’est une musique d’ascenseur, en gros, voilà. Et en fait, on peut lire sur des matelas qui sont disposés sur le sol, les récits anonymes de serveurs… serveureuses et de professionnel.le.s du monde de l’hôtellerie. Et en fait, ça devient très vite oppressant. Personnellement, moi, ça m’a fait du bien de lire ça en me disant que oui, ce monde était violent et que j’étais pas folle. Et qu’en fait, les expériences qu’on a vécues dans ces milieux-là bah sont horribles et peuvent aussi, à certains égards, si elles sont pas forcément physiques, en tout cas, faire écho aux violences qui sont vécues dans le monde de l’art. Je parle notamment du racisme, de l’homophobie, de la misogynie, mais aussi et surtout de la violence de classe, du mépris, de l’épuisement et de la précarité. Et pour moi, je trouvais ça intéressant, la façon dont elle le mettait en lien avec la question de l’hospitalité. Et voilà, c’était du coup, je crois, mon coup de cœur pour dire autre chose que ceux que vous avez cité.

 

Camille Bardin : 

Bah tout comme vous. Franchement, j’ai… Globalement… Enfin, c’est ce que je disais tout à l’heure. C’est que ce que je trouve fou dans cette exposition, c’est même des propositions qui de prime abord m’intéressent pas tant que ça, ont finalement réussi à me toucher. Donc vraiment, globalement, je trouve que toutes les propositions étaient vraiment ultra qualitatives. Comme vous, j’ai beaucoup aimé Vir Andres Hera, d’autant plus que iel a pensé et produit ce projet-là en huit mois seulement, il me semble, là où habituellement iel travaille sur deux ans pour ce genre de projet. Donc franchement, c’était hyper fort d’avoir ça. La bande son était incroyable, franchement, elle était trop cool. Donc vraiment… Hilary Galbreaith, pareil. Enfin voilà. J’ai beaucoup aimé Anastasia Sosunova, qui est une artiste originaire de Lituanie qui présentait en fait… qui a travaillé à partir d’une des premières imprimantes de Lituanie… Une des premières imprimeries, pardon, indépendantes de Lituanie, qui imprimait en fait des ouvrages généralistes, mais aussi le premier magazine gay lituanien, etc. Donc ça, j’ai trouvé ça hyper cool. Et surtout j’ai eu un… En fait mon giga coup de cœur. Je pense que c’est vraiment Matthias Odin. Vraiment je… En fait, j’avais jamais eu de vraiment être face comme ça à son travail. Et là, il nous présente une sorte de… de palais mental complètement déstructuré où vous avez… Je suis à deux doigts de parler « d’inquiétante étrangeté », mais vu que j’ai fait une envolée lyrique à deux francs six ou tout à l’heure d’art contempo… de critiques d’art, je partirai pas là-dessus. Mais il y a un truc un peu… Enfin ouais, on a l’impression de rentrer effectivement dans une espèce de palais mental ou en gros, il y a une espèce de cabine de douche complètement déstructurée, enfin… Et en fait, il a récolté çà et là au fur et à mesure de ses pérégrinations, des objets de ses ami.e.s, des personnes qui l’ont hébergé et tout. Et je sais pas, j’ai trouvé ça ultra émouvant, hyper beau, comme… comme projet et encore une fois giga produit, parce que vous avez ce palais-là, cet espèce d’écosystème de souvenirs, et ensuite vous en sortez. Et pour sortir complètement de ça, vous passez par un logement de 9 m², qui est la superficie minimum légale à mettre en location. Peut-être que les mots sont pas dans le bon sens, mais vous avez compris l’idée. Et donc ouais, vraiment c’est des formes qui me touchent. Enfin, c’est des trucs… Encore une fois, tu as l’intime, le collectif, etc. J’ai jamais croisé ce mec. Et en même temps, ça faisait écho à plein de trucs hyper intimes. Juste… Ouais, cette vieille lampe que tout le monde a achetée à Ikea pour trois balles, etc. que tu retrouves en apesanteur dans son espace. Enfin je sais pas, il y avait plein de trucs comme ça que je trouvais hyper beau. Et tu avais l’impression d’avoir plein d’âmes comme ça dispersées dans cet espace. Donc voilà. Matthias Odin, vraiment, encore une fois, grand grand grand coup de cœur. Alexia, tu nous conclus tout ça ?

 

Alexia Abed : 

Pour conclure notre débat et notre critique d’exposition. Finalement, on est quand même tombé.e.s plutôt d’accord.

 

Camille Bardin : 

Ouais.

 

Alexia Abed : 

J’aimerais citer la fin du texte « Épique époque » de Rose Vidal, dont j’admire le travail et qu’elle avait rédigé dans le cadre de la publication de 100% l’Expo pour 2023, je cite : « Je sais qu’il suffit de voir leurs œuvres pour savoir qu’elles sont d’aujourd’hui et qu’elles pour aujourd’hui. Et je ne sais trop me l’expliquer, si ce n’est que vous n’êtes pas émergent.e.s, vous faites émerger. »

 

Camille Bardin : 

Trop beau. Ah bah parfait. Pour conclure cet épisode, bravo à toi, Alexia.

 

Alexia Abed : 

Bravo à Rose Vidal surtout !

 

Camille Bardin : 

Merci à toustes les trois d’avoir participé à cet épisode. Merci Clément en régie qui est juste à côté de nous. Merci également à toute l’équipe de Projets qui produit et accompagne ce podcast. Et également à Cosima Dellac qui retranscrit tous les épisodes de PQSD. On vous dit au mois prochain. Merci à vous cher.ère.s auditeurices de nous avoir suivi.e.s. Prenez soin de vous d’ici là !

 

Claire Luna : 

Bisou ! 

 

Grégoire Prangé :

Bonsoir ! 

 

Alexia Abed : 

Ciao !

Crédit image : 

Jeune création internationale à l’Institut d’art contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes.

Nadežda Kirćanski, nista spec 1.0 / nothing special 1.0, 2018-2024.

Courtesy de l’artiste.