Telle une comète en fin de course, la tête géante d’une déesse de bronze semble s’être posée sur la pelouse de Regent’s Park. Unearthed Bronze Eroded Melpomene, de Daniel Arsham, référence à la muse grecque de la Tragédie, fait en effet partie du parcours de Frieze Sculpture 2021, dévoilé mardi 14 septembre. Cette figure spectaculaire, censée renvoyer à la fiction d’une « archéologie post-apocalyptique » offre une vision du futur surgie, en quelque sorte, du passé.

Daniel Arsham © Courtesy de l’artiste et Perrotin

Fabio Viale © Courtesy de l’artiste et Un été au Havre / Philippe Bréard

L’artiste américain (né en 1980 à Cleveland) représenté par la galerie Perrotin, est connu pour son travail se réappropriant les chefs d’œuvre de l’Antiquité. Il n’est pas le seul. Depuis juin dernier, les statues tatouées de Fabio Viale (né en 1975) faisaient quant à elles l’affiche d’un Été au Havre. Le sculpteur injecte l’encre directement dans le marbre de ses reproductions de statues antiques, ainsi affublées des inscriptions propres aux yakuzas et aux criminels russes…

Nicolàs Lamas © Josépha Blanchet, Courtesy de l’artiste et du CCCOD tours

Le buste d’un satyre phrygien trônait il y a peu dans la nef du CCCOD de Tours sur un photocopieur désossé pour l’exposition Times in Collapse, de Nicolàs Lamas. Ce dernier aime pratiquer des raccourcis historiques, procédant par collisions visuelles et empruntant volontiers à la plastique classique.
Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ? En 1852, Baudelaire écrivait : « Depuis quelque temps, j’ai tout l’Olympe à mes trousses, et j’en souffre beaucoup ; je reçois des dieux sur la tête comme on reçoit des cheminées. Il me semble que je fais un mauvais rêve, que je roule à travers le vide et qu’une foule d’idoles de bois, de fer, d’or et d’argent, tombent avec moi, me poursuivent dans ma chute, me cognent et me brisent la tête et les reins ». Le goût de l’Antique n’a jamais cessé, semble-t-il, d’irriguer la création.

Anne et Patrick Poirier © Jean-Christophe Lett / Centre des monuments nationaux

Anne et Patrick Poirier, dont la mémoire est un des thèmes de prédilection, avaient cet été installé à l’abbaye du Thoronet, une de leur pièce ancienne Krypta (1989) réalisée à partir d’estampages en papier de statuaires grecques prélevés sur le site d’Aphrodisias. À une heure de Tokyo en train, l’Enoura Observatory d’Hiroshi Sugimoto fait face à la baie de Sagami, qui lui a inspiré la série des Seascapes.

Hiroshi Sugimoto © Courtesy de l’artiste et de l’Enoura Observatory

Hiroshi Sugimoto © Courtesy de l’artiste et de l’Enoura Observatory

Le site, entièrement aménagé par l’artiste, comprend une galerie d’art, un théâtre de verre, un amphithéâtre, une maison de thé, un tunnel en acier … Sugimoto y a disposé sa collection de pierres antiques – fossiles, fondations de temples, bas-relief moyenâgeux, margelle de puits, etc – qu’il poursuit depuis des dizaines d’années dans un insatiable « retour aux sources ».

Gabriel Léger © Courtesy de l’artiste et de la galerie Sator / Photo Gregory Copitet

Jean Bedez © Courtesy de l’artiste et de la Galerie Suzanne Tarasieve / Photo Rebecca Fanuele

Effet de mode, phénomène de cycle ? L’art contemporain n’a jamais autant puisé son inspiration du côté de l’Antiquité. Car on pourrait encore mentionner le travail de Gabriel Léger, qui s’ancre dans l’antiquité méditerranéenne (exposition Deep Time à la galerie Sator) ; la dernière série de dessins de Jean Bedez Hercule et Cacus II (2020) et jusqu’aux inspirations de Marion Verboom.

Marion Verboom, vue de l’exposition « Temporaldaten », Galerie Jérôme Poggi, 2017, Paris © Nicolas Brasseur

Dans son projet The Day of Blood Nikita Kadan faisait métaphoriquement saigner le personnage antique d’Attis, blessure ouvrant à une réflexion sur l’intime. Quant à Francesco Vezzoli, avec sa série de sculptures assemblant des fragments antiques, il parvient à tirer des larmes de la pierre. Jouant du pastiche, l’artiste italien avait conçu pour son exposition à la Collection Lambert en 2019 (Le lacrime dei poeti), un accrochage faisant dialoguer ses œuvres avec celles, par exemple, de Louise Lawler. Et bien sûr, avec les peintures de Cy Twombly.

Nikita Kadan © Courtesy de l’artiste et de la galerie Jérôme Poggi

Francesco Vezzoli © Courtesy de l’artiste et de la Galerie Almine Rech

On connaît la passion de l’artiste américain installé en Italie pour la mythologie gréco-romaine. Mais il faut rendre grâce à Twombly d’avoir su transposer ce panthéon un peu encombrant dans le domaine éthéré d’une écriture apposant sur la toile griffures, taches et salissures. « L’art de Twombly, écrivait Roland Barthes, consiste à faire voir les choses : non celles qu’il représente (c’est un autre problème), mais celles qu’il manipule : ce peu de crayon, ce papier quadrillé, cette parcelle de rose, cette tache brune ». Cette « mise en scène de la culture » se contentait d’évoquer. Elle se fait, ces derniers temps, plus illustrative ; l’Antique s’est mis à l’heure d’Instagram.

Par Anne-Cécile Sanchez