DOUBLE FACE

Jusqu’au 24 mars, Drawing Now dresse un panorama du dessin contemporain au Carreau du Temple, à Paris. Avec plus de soixante-dix galeries internationales exposantes, le salon fondé par Christine Phal et dirigé par Carine Tissot s’affirme comme un vivier de talents qui explorent les limites du médium et de ses dérivés. Quitte à superposer l’image, l’entremêler et la frotter à son double. 

 

Alice Quaresma, Perspective of the World, 2023, photographie imprimée sur papier coton avec crayon de couleur, peinture acrylique et photographie superposée, 40 x 60 cm. Courtesy de l’artiste et de Patrick Heide Contemporary Art (Londres).

 

Une image dans l’image : une telle idée fait, aujourd’hui, spontanément écho à un procédé de nature digitale, un “écran dans l’écran” auquel s’est habitué l’œil humain, presque inconsciemment. Pourtant, à Drawing Now, les supports utilisés par les artistes sont bel et bien tangibles, ils délaissent les pixels au profit du geste manuel. Ceux-ci s’affirment alors comme matière à expérimentation pour intégrer dans l’œuvre deux images simultanément.

 

Lenny Rébéré, Extimit, 2024, crayon de couleur sur papier, verre sablé et encré, 24 x 18 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Isabelle Gounod (Paris).

 

Si le collage est naturellement la technique la plus propice à cette pratique, comme le prouve Alice Quaresma avec ses intégrations photographiques ou Chloé Poizat qui intervient sur un fond de couleurs dégradé, des supports plus inhabituels s’imposent comme néo-tableaux. Le duo italo-belge Simona Denicolai et Ivo Provoost imprime ainsi directement sur un panneau de signalisation métallisé un graphisme abstrait, évoquant des formes planantes sur une topographie territoriale — allant même jusqu’à évoquer des ombres qui attribuent une troisième dimension à une image insistant sur la planéité. En résonance avec cette initiative de superposition, les paysages de Magnus Hammick réinterprètent un pointillisme grossier en apposant sur un tirage aluminium une peinture à l’huile qui produit un filtre moucheté.

 

Stijn Cole, Souvenir – Seloignes 24/04/2020 16:47, 2022, huile sur impression jet d’encre, 33,2 x 45,8 cm (encadré). Courtesy de l’artiste et d’Irène Laub Gallery (Bruxelles).

 

Drawing Now met également en lumière l’ingéniosité de certains artistes qui manipulent littéralement l’image pour en créer de nouvelles lectures. La Roumanienne Raluca Popa tresse au moyen d’un papier d’emballage bleu vif une scène d’intérieur (un atelier, à en lire le titre de la pièce) en noir et blanc. Entre jeu graphique et mosaïque complexe, l’image est tout autant déconstruite que reconstruite, à travers le regard de l’artiste qui fait se pénétrer deux images : le représenté et l’abstrait. Gloria Herazo, quant à elle, utilise la même typologie de matériau “populaire” en s’appuyant sur le magazine Life, dans lequel elle vient broder des alter egos féminins de la personnalité en couverture. Un jeu de miroir, de double perception, qui se retrouve également dans l’œuvre de Marine Pagès qui croise les mots au moyen d’encres et de crayons de couleur.

 

 

Raluca Popa, In the studio (Blue), 2023, papier d’emballage, impression jet d’encre, 51,5 x 34,5 cm. Courtesy de l’artiste et de Gaep (Bucarest).

 

L’image doublée semble complémentaire : elle fait se répondre deux iconographies, comme dans la série de dessins de Lenny Rébéré où des visages floutés au moyen du verre sablé se retrouvent couverts d’illustrations au style enfantin, naïf. Toutefois, la cohabitation entre deux images se fait distinctement chez Stijn Cole, artiste belge qui traduit la palette chromatique d’une image en noir et blanc, et chez Laurent Millet qui, usant du même contraste, intègre par la verticalité un geste de mesure géométrique à une nuance extraite du ciel. 

 

Magnus Hammick, 05:12, 2023, peinture à l’huile sur impression photo aluminium, 120 x 100 cm. Courtesy de l’artiste et de Close Ltd (Taunton).

 

Denicolai & Provoost, La stagione dell’amore #100, 2022, impression sur panneau de signalisation, G2000, film type 3 filigrané, 109 x 97 x 3 cm (avec cadre), pièce unique. Courtesy des artistes et de LMNO (Bruxelles).