Pourvu Qu’iels Soient Douxces
↘ Saison 3 – Épisode 23
– Partie débat : « Les émotions sont-elles toutes admises dans les salles d’exposition ? »
– Exposition : Josèfa Ntjam à la Fondation Pernod Ricard à Paris, commissariat par Mawena Yehouessi

↘  Extrait critique :

« Une de mes passions dans la vie, c’est les dictionnaires. Je suis donc allé voir la définition d’émouvoir donnée par le dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey. “Émouvoir” vient du latin classique emovere, remué, ébranlé du latin populaire, ex movere “mettre en mouvement”. C’est au XIIᵉ siècle qu’apparaît le sens que l’on connaît aujourd’hui de troubler, porter certains sentiments. Au XIIIᵉ siècle, on lui donne un autre sens, aujourd’hui tombé en désuétude, mais qui nous concerne sans doute. Émouvoir veut alors dire faire sortir du calme, pousser au soulèvement en tant que critique et plus largement en tant que visiteureuse d’exposition. Sommes-nous à la recherche d’une émotion quand nous regardons les œuvres agencées dans l’espace par un ou une curateurice ? Sommes-nous là pour être émus, remués, ébranlés, mis en mouvement ? Sommes-nous tous en quête du syndrome de Stendhal ? Cette manifestation physique qui provoque vertiges, palpitations, suffocations, voire même parfois hallucinations quand on est frappé par la beauté d’une œuvre, Vous ici présente. Est-ce que vous attendez d’une exposition qu’elle soit un lieu propice au syndrome de Stendhal ? Un cours magistral qui distingue la raison et la passion, un moment de divertissement léger ou une antichambre de la révolution. Entre colère, rire, émerveillement et apathie, nous allons évoquer ce que les expositions remuent ou non en nous. »
Avec Camille Bardin, Luce Cocquerelle-Giorgi, Mathilde Leïchlé & Meryam Benbachir

 

↘  TRANSCRIPTION DES ECHANGES :

 

Camille Bardin

Bonjour à toutes et à tous, on est ravi.es de vous retrouver pour ce nouvel épisode de Pourvu Qu’iels Soient Douxces. Ce soir aux micros de ce studio : quatre membres de Jeunes Critiques d’Art, un collectif d’auteurs et d’autrices libres et indépendant.e.s ! Depuis 2015 au sein de Jeunes Critiques d’Art nous tâchons de repenser la critique d’art comme un genre littéraire à part entière et pensons l’écriture comme un engagement politique. Pour Projets, on a souhaité penser un format qui nous permettrait de vous livrer un petit bout de notre intimité en partageant avec vous les échanges qu’on a officieusement quand on se retrouve.  POURVU QU’IELS SOIENT DOUXCES c’est donc une émission dans laquelle on vous propose un débat autour d’une problématique liée au monde de l’art puis un échange consacré à une exposition. Aujourd’hui, nous sommes donc quatre membres de JCA à échanger Mathilde Leïchlé.

 

Mathilde Leïchlé

Bonsoir.

 

Camille Bardin

Luce Cocquerelle-Giorgi.

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Salut !

 

Camille Bardin

Meryam Benbachir qui est… que vous allez entendre pour la première fois parce que c’est l’une des des nouvelles membres du collectif. Donc bonsoir Meryam, on est trop contentes…

 

Meryam Benbachir

Hello !

 

Camille Bardin

… que tu sois là ! Et moi même Camille Bardin. Alors aujourd’hui, on va parler de l’exposition de Josèfa Ntjam, présente à la Fondation Ricard jusqu’au 27 janvier prochain. Puis, on voulait se demander si les émotions étaient admises dans les salles d’exposition. Mais avant de commencer nos échanges, nous voulions toutes les quatre affirmer notre soutien à la lutte palestinienne et aux luttes décoloniales actuelles. Nous refusons de participer au silence face à une situation génocidaire et nous dénonçons la montée du racisme et de l’antisémitisme. Nous sommes aujourd’hui encore face à de réels enjeux décoloniaux qu’il ne suffit pas de traiter en surface. La lutte décoloniale est un mode de vie, une entrée dans le monde et non un sujet seulement esthétique et d’exposition. Cela étant dit, Meryam, pour ta première, je te laisse introduire l’exposition de Josèfa à la Fondation Ricard.

 

Meryam Benbachir

C’est parti !

 

Camille Bardin

Let’s go !

 

Meryam Benbachir

Pour la première fois, on va parler d’une exposition de la Fondation Ricard qui présente jusqu’au 27 janvier prochain la première exposition personnelle de grande ampleur en France de Josèfa Ntjam. Une exposition curatée par son amie la chercheuse Mawena Yehouessi, fondatrice du collectif Black(s) to the Future, dont l’artiste fait également partie. Josèfa c’est une artiste qu’on voit de plus en plus en France et ailleurs depuis quelques années. Vous avez sans doute vu passer son travail dans l’exposition Anticorps au Palais de Tokyo, à la Biennale de Lyon en 2019, à Bétonsalon, mais aussi en Norvège, en Écosse, à New York ou encore en Grande-Bretagne. Elle a également été sélectionnée au prix AWARE 2020. Dans cette exposition Matter gone wild, on découvre d’abord une première salle dans laquelle on voit deux espèces de cellules qui sont présentées comme étant des incubateurs de lutte. Puis on rentre dans une espèce de couloir où se déploient des collages de l’artiste avec diverses références. On croise Tupac, Mami Wata, Assa Traoré, mais aussi des espèces de champignons et divers minéraux. Enfin, nous sommes invité.e.s à entrer dans la dernière salle de l’exposition qui est plongée dans le noir. On y découvre la vidéo « Matter gone wild » de l’artiste ainsi que des objets, des sculptures hybrides appelées notamment « Esprit de l’arbre grenouille » ou encore « Esprit plancton. » Mais nous aurons le temps de décrire ces objets plus en détail. Je laisse la parole.

 

Camille Bardin

Alors, qui veut commencer à parler de cette exposition ?

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Déjà dire que ça a été très enthousiasmant pour moi de visiter cette exposition. Ça fait longtemps que je n’avais pas ressenti un tel enthousiasme et une telle joie d’être dans une exposition pareille. La Fondation Ricard, dans cet espace-là, a quand même beaucoup travaillé au niveau de la scénographie. Il y a eu un vrai travail de changement de cimaises, en tout cas de création d’un espace qui faisait vraiment écho au travail à proprement parler de l’artiste, à la fois sur le fond et sur la forme. Je trouve que c’est très appréciable en tout cas de parcourir une exposition où on apprécie à la fois les œuvres de l’artiste qui ont été produites en partie pour cette exposition, qui se parcourt aussi comme un paysage. Comme j’en ai un peu discuté avec vous quand on visitait cette exposition tout à l’heure, j’ai juste un petit… petit… comment dire… défaut que j’ai trouvé au niveau de la scénographie qui se retrouve seulement sur ce parcours au niveau du couloir qui sépare les deux espaces que tu viens de décrire Meryam, qui pour moi rejoue un peu le white cube habituel et qui évidemment s’apparente aussi à un espèce de… comment dire… de sas où il y a la différence de lumière, de luminosité qui nous permet aussi de nous plonger un peu plus évidemment dans cet espace de la vidéo très sombre mais… mais qui pour moi m’a sorti un peu de l’expérience, en tout cas de l’exposition. Mais sinon, je n’ai que du positif à dire. J’ai beaucoup apprécié le travail de l’artiste, beaucoup apprécié le texte également de la curatrice ainsi que la mise en espace. Donc, je vous laisse continuer à argumenter sur cette exposition, mais en tout cas beaucoup de belles choses.

 

Camille Bardin

Mathilde ?

 

Mathilde Leïchlé

Oui, moi aussi j’étais vraiment très enthousiasmée par ce que j’ai vu. Et ce qui est intéressant, c’est que, en venant ici, j’ai réalisé quelque chose que je n’avais pas du tout réalisé pendant la visite, c’est qu’il y a aucun cartel.

 

Luce Cocquerelle-Giorgi
[Elle aquiesce]

 

Camille Bardin

Ouais.

 

Mathilde Leïchlé

Y a aucun… aucun accompagnement, aucune médiation dans l’exposition, à part le dépliant avec le texte de la curatrice. Et ça m’a pas du tout manqué. Et ça, c’est vraiment très fort parce que du coup, on est invité.e.s à une sorte de voyage initiatique en trois étapes avec la première salle qui est assez bas de plafond, avec donc ces deux cellules dont tu parlais, dans lesquelles on pénètre un par un, une par une, et dans lesquelles on est invité.e.s à s’asseoir ou se mettre sur, debout sur des surfaces, des structures qui sont instables. Et c’est seulement dans ces cellules, sur ces structures instables, qu’on peut avoir accès à des vidéos. Deux vidéos : la première qui parle de recettes avec des plantes pour nos… pour des concepts, des idées révolutionnaires. Donc, il y a par exemple pour nos indépendances où elle recommande de faire des cataplasmes sur les monuments, ou pour les… pour l’insubordination. Et à chaque fois, elle donne une recette à base de plantes et des gestes associés. Donc, il y a quelque chose à la fois de la tradition héritée des savoirs aussi complètement dévalués, et puis quelque chose qui peut être rapproché d’une forme de rituel, voire de magie dans une perspective peut-être écoféministe. En tout cas, c’est comme ça que je l’ai reçue… que je l’ai reçue, moi. Donc ces cellules-là sont sont plongées dans une lumière rouge et il y a une fresque de photomontage déjà ici, très sombre, très noire. Et puis donc, on traverse ce couloir qui donne sur l’extérieur avec la lumière du jour qui est très présente. C’est un espace très clair avec donc des figures historiques contemporaines, mythiques, associées à des… à des… à des éléments biologiques, des microbes, des plantes qui font donc des grandes fresques sur le mur. Et puis au fond… au fond du couloir, l’endroit vers lequel on avance, il y a une image d’Assa Traoré avec les visages d’enfants, d’adolescent.e.s et d’hommes tués par la police. D’hommes noirs. Et suite à la traversée de ce couloir, on arrive dans l’espace où on a vraiment été initié.e.s après ces deux premiers temps, où il y a la vidéo et où là les assises sont extrêmement confortables et vraiment conçues pour nous accueillir et pour qu’on prenne le temps de recevoir cette vidéo et de voir aussi ces images dont tu parlais, qui donnent l’impression d’être des sculptures, comme tu disais pendant la visite Meryam, et qui en fait en sont pas et ça c’est intéressant on pourra en parler. Et là, on est vraiment dans un univers qui est entre le monde sous marin, avec une colonne de céramique, avec des éléments sous marins et quelque chose d’astral, enfin dans l’espace, avec des formes qui sont un peu des formes aliènes. Et voilà, cette tension, cette nouvelle mythologie qui est créée, je l’ai trouvée vraiment passionnante.

 

Meryam Benbachir

J’ai été aussi hyper enjouée et heureuse et impressionnée. Et en fait, pour une fois, je me suis sentie incluse dans une exposition. J’ai remercié Josèfa dans ma tête…

 

Camille Bardin

T’as même fait une petite danse de la joie. [Elle rit]

 

Meryam Benbachir

J’ai fait une petite danse de la joie. Et… Ouais en observant les techniques de désamorçage, de récupération institutionnelle en fait. Moi j’ai pour habitude de travailler sur le tokénisme et la récupération des luttes par les institutions. Et ayant moi-même une pratique plastique par moments, mon constant dilemme est d’échapper à l’essentialisation de ma pratique et à la catégorisation dans des termes rendus presque génériques comme le féminisme, le décolonial. Et en fait, j’ai été vraiment émerveillée par les stratégies qu’elle met en place, par la finesse et la justesse de l’artiste. Car en effet, Josèfa est une artiste et ne se veut pas représentante d’autre chose que sa production plastique ; production qui fait évidemment référence, donc, comme on l’a dit, à l’afrofuturisme, l’écoféminisme, comme tu le disais Mathilde, et aux luttes décoloniales, mais elle produit avant tout de la forme et non un discours. Et ça c’est deux choses qui je trouve se confondent souvent dans les expositions en ce moment. Et d’ailleurs elle dit : « Je ne me présente plus, je m’en fous. » dans sa vidéo. Elle répète également à plusieurs reprises : « Je suis plusieurs. Je suis une multitude de nuances de noir. » Et elle dit aussi : « Il y en a marre de la marge. » Une façon donc de refuser les identités monolithiques contées par les institutions culturelles depuis trop longtemps. Et à cela, je voulais lui répondre merci. Merci d’être plusieurs car nous le sommes toustes. Et merci pour le « nique la police. »

 

Camille Bardin

Oui. Bah je vous rejoins toutes les trois. J’ai trouvé que cette exposition était l’une des meilleures qu’il m’ait été donné de voir ces derniers mois. C’est autant intelligent que beau, mais c’est aussi très exigeant. Il faut vraiment prendre le temps, écouter ce que l’artiste a à nous dire, être curieux.se. Et une fois que tout cela est fait, il faut aussi savoir faire le deuil de l’omniscience. Parce que je crois qu’à moins d’être dans la tête de Josèfa Ntjam, c’est vraiment impossible d’embrasser absolument tous les sujets qu’elle convoque dans son travail. C’est notamment dû au fait qu’elle procède par collage. Et donc, il faut accepter qu’à certains endroits on n’ai pas la réf. Et pour tout vous dire, j’ai longtemps cru que c’était un écueil de sa pratique, que le fait qu’elle soit un peu trop hermétique n’était pas forcément une bonne chose. Josèfa collabore avec beaucoup de chercheureuses et de scientifiques et j’avais parfois l’impression qu’elle gardait un peu à distance les visiteureuses des moments de joie qu’elle peut vivre lors de ses recherches dans la forêt ou devant son miscro… mi-cro-scope à l’atelier. Et en fait, à chaque fois, je voyais… que je voyais une œuvre de Josèfa Ntjam – mais ça a été également le cas dans cette exposition – j’ai l’impression qu’elle nous donne à voir seulement le haut de l’iceberg, que les formes qu’elle nous propose ne sont qu’une infime partie des découvertes qu’elle fait et des recherches qu’elle entreprend. Mais en fait, je crois que cette espèce d’opacité, elle est en elle-même hyper intéressante. Parce qu’avant l’enregistrement, je réécoutais l’épisode de IEL PRÉSENT.E que j’avais produit en 2020 et dans lequel Camille Bréchignac et Josèfa Ntjam échangent entre elles. Et à l’époque déjà, Josèfa citait l’auteur congolais Sony Labou Tansi et notamment son concept de « cher-mot-de-passe » avec des tirets entre chaque terme. Et parler en cher-mot-de-passe, cela permet de dérouler un propos sans être contraint par la censure, de contourner les obstacles et in fine de toucher la chair de celleux à qui on souhaite s’adresser. C’est une stratégie que Josèfa reprend dans son travail et je trouve ça absolument passionnant. Aussi, il faut pas oublier que Josèfa Ntjam tente de redonner son autonomie aux objets observés en les sortant des systèmes de catégorisation. Donc là aussi, je crois que c’est normal que tout ne soit pas répertorié et décrypté. Et toute cette stratégie, elle est aussi celle de la curatrice Mawena Yehouessi. Je me souviens… Je ne sais plus si vous étiez… Je crois que… Il y avait pas mal de membres de Jeunes Critiques d’Art à cette occasion-là, lors de la première de son film « Sol in the Dark » à 100 % l’Expo à la Villette dans lequel il y avait d’ailleurs certains rush de Josèfa. Et Mawena expliquait alors l’importance pour elle de préserver le secret, que persistent des zones d’ombre et qu’on ne puisse pas tout saisir, que parfois certaines personnes n’auront pas la ref justement, et que c’était un choix conscient qu’elle faisait. Et je trouve que dans une stratégie d’intégration et finalement de pacification des discours dont tu parlais Meryam, ce sont des stratégies que je trouve très intelligentes et qui résolvent à certains endroits les difficultés qu’on connaît lorsqu’il s’agit de travailler avec des institutions qui fondamentalement n’ont pas les mêmes objectifs et intérêts que nous. Donc une très très belle exposition qui en plus de ça, ébauche des stratégies d’existence qui sont vraiment salvatrices. Vous levez toute la main. [Elle rit] Luce, je te donne la parole en premier.

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Je trouve ça très beau ce que ce que vous racontez toutes. Moi, j’ai été extrêmement touchée aussi par ce discours. Donc évidemment, l’exposition se tourne aussi beaucoup sur l’insurrection, la révolte, et il y a quand même ce discours qui est sous-tendu, qui… celui-là n’est pas vraiment crypté, mais qui est vraiment d’être un moyen d’autodétermination, de volonté justement de se réapproprier l’histoire, de revendiquer des mémoires qui ont été invisibilisées et donc d’opérer avec une stratégie, comme tu le disais, mais aussi du détournement. Donc elle, elle détourne à la fois les circuits artistiques tel qu’on les connaît, le white cube. Elle raconte dans cette vidéo c’est elle, mais c’est pas elle. Il y a cette dimension du double, de l’avatar, de la création de déesses ou de mystiques, ou en tout cas, il y a quand même cette dimension hyper aussi… du costume, du masque. Et donc, dans la vidéo, elle indique donc, son personnage indique qu’elle va porter la marge, au lieu qu’on lui attribue tout le temps justement des espaces marginalisés, ou qu’on la situe constamment dans la marge. Donc, il y a cette idée quand même de devenir non plus un objet d’étude et devenir véritablement un sujet. Et je trouve que justement, en portant ces différents masques, en associant ces différents costumes, en se réappropriant des mémoires qui ont été invisibilisées, elle permet en tout cas l’éclosion de ce monde parallèle et en même temps d’infuser ce monde… ce monde réel.

 

Meryam Benbachir

Moi je voulais revenir sur la question de l’adresse, des références, de « c’est pas grave de ne pas toujours tout comprendre. » Et en fait, dans cette volonté-là, je voulais revenir donc sur les incubateurs de révolte dans la première salle qui « requièrent un engagement particulier des corps », pour citer le texte de l’exposition. Et à cela, en fait, avant d’entrer dans l’exposition, je me suis tout de suite demandé quels corps. Quel corps pouvaient accéder à ces incubateurs. Et la réponse, bah c’est des corps valides, parce qu’en fait, on est sur une sorte de boule en plastique de rééducation un peu. Donc, qui vous met dans un sentiment d’inconfort, d’instabilité, où on cherche son équilibre tout en regardant et en écoutant la vidéo. Et en fait, pour moi, ça m’a un peu fait penser à une « marche des privilèges. » Donc, pour expliquer un peu ce que c’est une marche des privilèges, dans le milieu militant, il arrive que dans certains espaces, il soit proposé cet exercice où plein de personnes se mettent en ligne et ensuite il y a des privilèges et des oppressions qui sont énoncées une par une et en fonction de si on a ce privilège ou cette oppression, on fait un pas en avant ou en arrière, ce qui permet de creuser visuellement, physiquement l’espace en différentes catégories d’oppression et de milieux sociaux. Et… Et j’ai trouvé ça assez intéressant en fait, d’essayer de questionner ça pour mettre en difficulté des corps, pour questionner du coup cette difficulté dans l’espace public des corps marginalisés et des corps en lutte. Ce qui me ramène beaucoup à la question du white cube en tant que violence coloniale et extractiviste. Et ensuite, pour revenir encore une fois sur la vidéo à la fin. Déjà gros big up à l’installation vidéo. Je reviens là-dessus parce que vraiment, c’est pas tout le temps qu’on voit une vidéo qui est vraiment mise en valeur et ça fait vraiment plaisir à voir. Moi du coup, j’ai eu la chance de la découvrir en amont de l’exposition et en fait… Donc je l’ai regardée dans mon lit sur ma tablette et j’avais vraiment peur de la voir dans un espace d’exposition et on en reparlera pour le sujet des émotions.

 

Camille Bardin

Ouais.

 

Meryam Benbachir

Et en fait, dans cette salle aussi, encore une fois, elle désamorce plein de choses parce que les objets qui y sont présentés, qui sont des sculptures, donc hybrides, un peu des personnages… peuvent faire référence aux objets pillés en Afrique par la colonisation. Mais ici, il ne s’agit pas d’objets, mais d’images d’objets, questionnant directement les potentiels biais que pourraient avoir les spectateurices en voyant ça. Encore une fois, dans le dossier de presse, j’ai vu des photos et je me suis dit « bon, ben c’est des sculptures qui reprennent un peu les formes totémiques d’objets pillés en colonies. » Et en fait, en arrivant, c’est là que j’ai eu ma petite danse de joie.

 

Camille Bardin

Ouais. [Elle rit]

 

Meryam Benbachir

Donc en fait, ce sont des images imprimées de ces figures-là, donc probablement créées en 3D. Et elles leur donne une autre dimension grâce aux ombres en fait de celles-ci projetées sur les murs. Et elles aussi sont plusieurs et des multitudes de formes et de signifiants.

 

Camille Bardin

Trop bien.

 

Mathilde Leïchlé

Ouais, c’est vraiment super intéressant cette clé que tu partages Camille, sur la chair, sur la place des corps. Et justement, et ça rejoint aussi ce que tu disais Meryam au début sur [le fait qu’] elle crée des formes avant tout. Et on résume souvent son travail au discours alors que la forme est extrêmement importante. Et… Et c’est pour ça en fait, nous on est des corps qui traversons ces formes avant tout en fait. Et c’est cette absence de médiation dont je parlais au début elle se résout par ça en fait, parce qu’il y a cette présence de formes et cette attention portée aux corps des visiteureuses qui permet de s’alléger en fait d’un discours qui serait un peu trop donné. Donc, il faut aller vers le discours et son positionnement il est très clair et il est passionnant, mais ça s’inscrit vraiment avec la forme et avec la prise en compte de notre expérience corporelle. Par rapport aux références, ce que je trouve vraiment passionnant, c’est que, encore une fois, ça montre que c’est une pratique, un travail sur les formes, avec un discours, mais un travail sur les formes, c’est qu’il y a des choses qui restent irrésolues. Et du coup on y réfléchit encore et encore et on fait des liens et on se pose des questions et on voit des choses et on se demande si c’est une hypothèse qui peut marcher ou pas. Et ça, ça montre que c’est aussi une œuvre extrêmement riche et qui habite les personnes qui la voient pendant très longtemps parce qu’on essaye sans arrêt de repasser les choses et puis d’utiliser nos propres réseaux de références avec ce qu’elle nous propose. Et moi, ce qui ce qui m’a marqué dans cette exposition aussi, c’est le travail sur les constellations.

 

Camille Bardin

Ouais.

 

Mathilde Leïchlé

Parce qu’il y a ce… En fait, elle abolit toutes les frontières, c’est-à-dire qu’elle abolit toutes les… toutes les binarités, toutes les dichotomies. Par exemple, elle parle de futuristic ancestrality. Donc, le passé et le futur, en fait, sont résolus dans un même concept. Elle dit aussi names are astral. Et il y a vraiment cette idée de comètes qui sont autant des personnes historiques inventées, mythiques, contemporaines, que des phénomènes naturels, que des éléments naturels. Et il y a aussi cette abolition de la binarité entre micro et macro en fait. Donc par exemple dans la vidéo « Matter gone wild » qui donne son titre à l’exposition aussi, on voit… On la voit donc en costume sur une espèce de planète qui est entre la Terre du Mordor et en jeu vidéo. Et dans le ciel, il y a des espèces de planètes avec des cratères de toutes les couleurs. Et en fait ça peut être des planètes, ça peut faire partie d’un système solaire, mais ça peut aussi être des microbes géants. Et il y a toujours cette tension entre micro/macro. Elle parle aussi dans son travail, c’était pas présenté ici, mais c’est une autre de ses œuvres où c’est l’histoire d’une étoile qui tombe au fond de l’océan et qui crée le phénomène de la… de la luminescence. Donc, il y a toujours ce lien entre fini/infini, micro/macro et je trouve que ça va dans cette… dans ce sens d’abolition des binarités qu’on retrouve, qu’on retrouve un peu tout le temps dans son travail.

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Pour te rejoindre Mathilde, moi j’ai été particulièrement touchée et marquée par… par cette hybridité. Alors évidemment, il y a la non-binarité, le macro/le micro, mais il y a aussi cette hybridité avec l’environnement. Moi j’aime pas trop le terme de « nature. » Pour moi, elle… elle arrive vraiment à dépasser aussi cette dichotomie-là entre êtres humains, nature, animaux, minéraux, etc. Là, elle crée vraiment un univers où l’environnement et les êtres vivants, où ses avatars sont vraiment en continuité. Il y a un continuum en fait entre… entre les deux. Il n’y a jamais de séparation. D’ailleurs, on le voit non seulement dans cette vidéo dont tu parlais, mais aussi dans les deux autres vidéos qui sont présentes au début de l’exposition. Il y a toujours cette hybridité-là qu’on trouve au niveau du costume, qui va même jusqu’au niveau des bagues, donc des accessoires, des ongles. Il y a vraiment un travail hyper précis et qui est toujours signifiant, c’est-à-dire à la fois ça peut être la transformation de l’avatar en un minéral avec justement la matière noire comme on peut le voir dans la fin de l’exposition, avec ces grosses boules noires qui font partie de son costume, mais aussi au début de l’exposition. Dans la première vidéo, il y a ce masque incroyable qui ressemble à du pollen ou à quelque chose de très floral. Moi je salue en tout cas vraiment le travail au niveau des costumes et des masques que je trouve vraiment…

 

Camille Bardin

De la 3D aussi. [Inaudible]

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Ah ouais. Avec de l’animation 3D, enfin qu’on retrouve aussi même jusqu’aux ongles dans la 3D, il y a vraiment quelque chose d’assez… Bon passion des ongles évidemment. [Elle rit]

 

Mathilde Leïchlé

Big up à Flora Fettah !

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Tout à fait. [Elle rit] Et… Et voilà. Je trouve qu’en tout cas, il y a un vrai travail à ce niveau-là. Je trouve qu’il y a quelque chose de l’ordre… C’est très corporel en fait, ça rejoue aussi cette corporalité-là qu’on trouve dans toute l’exposition au niveau de la scénographie. Et comme les spectateurs et spectatrices sont invité.e.s aussi à rejouer. Et voilà, c’était vraiment ce petit point que je voulais aborder, car c’est quelque chose qui m’a vraiment. En tout cas, je trouve que ça permet encore plus de rentrer dans l’exposition et dans ses œuvres par ce biais-là de cette hybridation avec l’environnement.

 

Camille Bardin

Et je crois que c’est important, quand on parle du travail de Josèfa Ntjam, de parler aussi de sa méthode. Déjà parce qu’elle est centrale dans sa pratique, et aussi parce qu’il me semble qu’à un moment où les expositions qui se saisissent des problématiques intersectionnelles se multiplient, quitte parfois à ce que ces dernières deviennent de simples arguments de vente, où qu’on ne fasse qu’en parler sans que cela soit vraiment suivi de véritables changements. C’est essentiel d’écouter et de regarder sa manière de faire. Par exemple le collage qui est sa technique de prédilection, elle ne l’emploie pas seulement à des fins esthétiques, mais surtout parce qu’il lui permet de faire coexister des différences, de provoquer des glitchs qui sont eux-mêmes moteurs de prise de conscience et peut-être, à terme, de bouleversements donc. Il y a aussi la question de l’image. Josèfa Ntjam fonctionne par métaphores. Elle se saisit par exemple de la biologie donc pour parler de la sociologie. Enfin, c’est pas dit si clairement, mais souvent  il y a des ponts qui sont faits… On peut citer plusieurs exemples comme le plancton qui est une espèce qui l’intéresse beaucoup et qu’elle convoque dans son exposition pour mettre en avant sa capacité prédatrice, alors même qu’on ne cesse de le présenter comme une proie. Il y a aussi les dioramas qui peuvent nous aider à repenser l’idée même de l’exposition avec cette question qu’elle pose « Qu’est-ce que c’est que d’être en colère dans un diorama ? » Enfin, on a ces incubateurs de révolte dont on a beaucoup parlé, dans lesquelles on nous pose aussi diverses questions comme : « Où vous situez-vous pour vous révolte ? », « Combien êtes-vous nombreux.ses ? », « Savez-vous parler de la rage », etc. J’avais trop aussi envie de citer un petit bout du… des cartels qui sont pas des cartels mais qui sont dans le petit livret parce que je le trouvais trop beau, sur justement ces incubateurs. Je cite : « Cela dit, il est aussi important de préciser que Josèfa ne nous propose en rien une énième séance de gavage didacticiel à confortablement consommer. Les sols et assises de ses incubateurs sont en effet imaginés comme instables, voire incommodes, nous rappelant combien la nécessité de sédition en vue de la libération est non seulement affaire de visibilité ou de mots, mais d’incarnation. Cela suppose un réel engagement des corps, à l’instar de ces formes d’oppression et de résistance à la stigmatisation qui touchent invariablement certains muscles et chairs plutôt que d’autres. C’est un rappel que, par delà les promesses d’alliance parolières, il faut retrouver le courage de manifester avec ses membres, jambes et coudes, oser mettre ses mains dans le cambouis, tendre le bras pour attraper cellelui qui glisse ou encore apprendre à s’embrasser sororalement. » Au-delà du fait que ce soit très juste et très bien écrit, cela soulève un autre point intéressant dans le travail de Josèfa, c’est la place qu’elle donne aux mots, tout en soulignant qu’ils ne suffisent pas. Et à un moment où l’art contemporain se plaît à s’emparer de problématiques féministes décoloniales, intersectionnelles, sans nécessairement les rendre effectives dans leur méthodologie, Josèfa, elle s’en saisit à travers et grâce à sa méthodologie. Simplement, elle ne nous bullshit pas en fait, en proposant un bingo du vocabulaire des luttes qui par ailleurs se vide peu à peu de son sens, en partie à cause de notre secteur qui s’en empare avec parfois beaucoup de mauvaise foi. Et en fait, c’est ça que j’ai trouvé trop trop fort dans cette exposition, c’est qu’on a là une artiste qui multiplie les degrés de compréhension, qui incarne ce qu’elle dit et qui nous contraint à nous interroger sur le tokénisme, le travail en collectif, la mise à mal des rythmes effrénés et l’hyper centralisation du secteur, sans jamais le formuler de manière frontale. Tout cela rend ses mots incensurables. Je sais pas si ça existe comme mot, mais je l’emploie là. On ne peut pas se réapproprier sa parole ou la contraindre à un processus de pacification. Si bien que pour moi, aujourd’hui, Josèfa, c’est vraiment une des plus grandes artistes de notre génération. Je suis même prête à parier ici qu’on lui proposera un jour de représenter la France à Venise. Et quand je dis ça, loin de moi l’idée de retomber dans l’écueil de la figure du génie, parce que comme Josèfa Ntjam le dit elle-même, elle est plusieurs. Josèfa c’est aussi Mawena Yehouessi qui curate l’exposition, c’est aussi le super Nicolas Pirus qui réalise la 3D de ses films, Sean Hart, Tarek Lakhrissi et toutes les personnes qui l’entourent intellectuellement, amicalement et artistiquement, que je ne pourrais pas citer ici, mais auxquelles on pense très fort. Avant qu’on passe du coup à la deuxième partie de l’épisode et que Mathilde nous introduise le sujet, on n’a pas du tout fait de petit mot comme à notre habitude sur nos conditions de visite parce que bah on n’a pas fait de voyage, de presse ou rien. Meryam, qui est basée à Marseille est venue via TGV Max, son propre TGV Max.

 

Meryam Benbachir

Wouhou !

 

Camille Bardin

Ensuite, c’est toujours Projets média qui nous paye. Simplement on n’a pas du tout échangé avec les équipes de la Fondation Ricard. Donc on n’aura aucune information à vous donner quant au budget de prod, etc. et aux rémunérations des artistes et curatrice. Néanmoins, sachez qu’on nous a offert la possibilité de visiter l’exposition le lundi alors que la fondation est fermée à ce moment-là. Mathilde, à ton tour !

 

[Transition musicale]

 

Mathilde Leïchlé

Une de mes passions dans la vie, c’est les dictionnaires. Je suis donc allée voir la définition d’émouvoir donnée par le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey. Voilà, j’ai fait ça.

 

Camille Bardin

Chacun.e son délire hein. [Elle rit]

 

Mathilde Leïchlé

Chacun.e son délire. On occupe ses dimanche comme on veut. Émouvoir vient du latin classique emovere « remuer, ébranler » et du latin populaire exmovere « mettre en mouvement. » C’est au XIIᵉ siècle qu’apparaît le sens que l’on connaît aujourd’hui de « troubler, porter certains sentiments. » Au XIIIᵉ siècle, on lui donne un autre sens, aujourd’hui tombé en désuétude, mais qui nous concerne sans doute. Émouvoir veut alors dire « faire sortir du calme, pousser au soulèvement. » En tant que critique, et plus largement en tant que visiteureuse d’exposition, sommes-nous à la recherche d’une émotion quand nous regardons les œuvres agencées dans l’espace par un ou une curateurice ? Sommes-nous là pour être ému.e, remué.e, ébranlé.e, mis.e en mouvement ? Sommes-nous toustes en quête du syndrome de Stendhal, cette manifestation physique qui provoque vertiges, palpitations, suffocations, voire même parfois hallucinations quand l’on est frappé.e par la beauté d’une œuvre. Vous ici présent.e.s, est-ce que vous attendez d’une exposition qu’elle soit un lieu propice au syndrome de Stendhal, un cours magistral qui distingue la raison et la passion, un moment de divertissement léger ou une antichambre de la révolution ? Entre colères, rires, émerveillements et apathies, nous allons évoquer ce que les expositions remuent ou non en nous.

 

Camille Bardin

Alors qui est remué.e ?

 

Meryam Benbachir

Moi je voulais proposer un extrait de « The Bodies That Were Not Ours » de Coco Fusco. Donc c’est sorti en 2001 qui est en fait mon entrée dans ce questionnement là en fait. Donc moi j’ai mon biais de lecture décoloniale et au plus possible éthique en fait, quand je vais visiter une exposition. Et j’ai trouvé que c’était une bonne entrée en matière. « Les espaces d’expositions d’art contemporain sont régis par un ensemble de complexes, de normes esthétiques et institutionnelles qui façonnent la façon dont l’art est produit, présenté et consommé. Ces normes sont souvent conçues pour valoriser l’originalité et l’innovation, qui sont considérées comme des marques de qualité dans le monde de l’art contemporain. Cependant, cette valorisation de l’originalité peut également créer des obstacles pour les artistes qui travaillent dans des traditions artistiques spécifiques ou qui abordent des sujets politiques et sociaux. En outre, les espaces d’exposition d’art contemporain sont souvent contrôlés par des galeries, des musées et des collectionneurs privés qui ont le pouvoir de sélectionner les artistes à exposer et de déterminer le contenu de l’exposition. Cette concentration de pouvoirs peut contribuer à perpétuer les hiérarchies de pouvoir et les inégalités dans le monde de l’art contemporain en favorisant les artistes et les styles d’art qui correspondent aux goûts et aux normes esthétiques dominantes. Enfin, les espaces d’exposition d’art contemporain sont souvent dans des centres urbains qui ont été façonnés par l’histoire coloniale et postcoloniale. Les artistes de pays anciennement colonisés et d’autres contextes culturels spécifiques sont souvent exclus de ces espaces en raison de leur incompatibilité avec les normes esthétiques et les goûts de la culture dominante. Cette exclusion peut perpétuer l’hégémonie culturelle et économique de ses anciennes puissances coloniales sur les cultures marginalisées. » Alors, ce que je trouve assez intéressant, donc ça c’est en 2001, et aujourd’hui c’est vrai que c’est différent parce qu’en fait, les artistes de pays anciennement colonisés sont invités dans ces espaces-là. Mais dans quelles conditions et quel est leur public ? Et en fait, leur public reste inchangé. Et donc on revient à la question de l’adresse de Josèfa et du cryptage en fait des références que je trouve hyper important et assez sensé en fait avec… avec une pratique des savoirs situés et des multiplicités de récits postcoloniaux et coloniaux. Et donc la question du corps dans l’espace d’exposition et particulièrement dans le white cube moi c’est quelque chose qui me travaille beaucoup, qui me questionne énormément. Et c’est… En fait ma première lecture d’une exposition elle passe par là et par la posture que je dois emprunter en fait, en entrant dans une exposition. Donc pour moi, la place des émotions dans tout ça en fait elle vient vraiment en deuxième, troisième temps. Et elle pose aussi une autre question sociale de qui peut se permettre d’être ému.e dans l’espace d’exposition ?

 

Camille Bardin

Exactement.

 

Meryam Benbachir

Qui peut se permettre cette vulnérabilité en fait ? Personnellement, j’ai jamais pleuré dans une expo. Et déjà pour revenir à l’exposition de Josèfa, j’ai trouvé très confortable le fait d’être dans le noir devant sa vidéo et… Et voilà. Peut-être juste ce moment du couloir du coup, avec un espace très clair qui m’a donc justement coupé un peu parce qu’on revenait à un white cube et que du coup, mon corps tout de suite se redresse en fait. Voilà. Et qu’il y a moins la place à la sensibilité.

 

Camille Bardin

Trop bien ! Luce ?

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Ouais, ça rejoint un peu ce dont on discutait tout à l’heure. Moi je viens d’une formation de philosophie. J’ai étudié une notion avec une… avec une de mes professeurs qui s’appelle Marianne Massin. Et la notion en question, c’est « l’expérience esthétique. » Et pour obtenir une expérience esthétique qui n’est pas juste une expérience de l’art, qui est normalement une expérience qui justement se déploie sur le long terme lorsqu’on fait l’expérience d’une exposition, il y a quand même l’idée qu’il faut d’abord se départir de ses tracas du quotidien, de la sensation même de son propre corps, c’est-à-dire si on a mal au ventre, mal à la tête, etc. Il faut pouvoir oublier en fait toutes ces choses qui nous habitent habituellement. C’est un peu comme si on avait une valise de tracas et qu’on la déposait juste à l’entrée de l’exposition et qu’on devait continuer comme ça. Un peu comme un réceptacle qui pourrait justement accueillir l’expérience de l’exposition des œuvres de la mise en espace, etc. Cette idée-là, en fait, elle est hyper intéressante et elle peut fonctionner parfois. Mais en effet, Meryam comme tu le dis, quand on est victime de violences institutionnelles en dehors du cadre de l’exposition et qu’on retrouve un cadre institutionnel qui est hyper violent, c’est difficile en fait de se départir de ces problématiques-là et c’est pas possible en fait de s’en départir. Et c’est pour ça que les espaces d’exposition, comme tous les espaces en général, sont aussi des espaces politiques ou en tout cas qu’il faut politiser. Et donc je trouve que c’est, c’est un peu cette idée-là de comment on peut ressentir des choses sur le long terme ou en ayant une expérience d’une exposition si on est constamment renvoyé.e à notre condition sociale, physique. Tu parlais tout à l’heure aussi de quel corps pouvait accéder à certains espaces d’exposition, des conditions qui devraient être… Enfin, il y a des cadres… aussi normalement… publics qui ont été mis pour pouvoir accueillir les personnes, mais… Par exemple, les personnes qui sont malentendantes, elles ne peuvent pas suivre notamment des visites d’exposition. Il y a tout ce tout, ce cadre-là qui évidemment restreint en fait le public et restreint aussi les expériences esthétiques. Pour moi, je considère que l’expérience esthétique, c’est en tout cas la raison d’être de mon métier. C’est ce pourquoi je fais ce métier-là et ce pourquoi j’ai envie de continuer dans ce monde-là, malgré la violence de ce monde-là. Mais pour ce faire, il faut absolument trouver des conditions d’accueil où on se sent exactement à notre place et où on ne se sent pas justement exclu.e. Moi, la première fois que je suis allée dans une galerie d’art, j’ai ressenti une violence énorme, justement parce qu’il y avait cette dimension-là. J’avais la sensation de devoir rester sur le… regarder à travers une vitrine. [Elle rit] Donc ne pas pouvoir accéder en fait à cet espace-là parce qu’il y avait une condition sociale qui était nécessaire pour pouvoir dépasser en fait juste l’entrée de ces espaces-là. Donc je pense que c’est hyper intéressant et hyper nécessaire justement de repolitiser ces espaces-là et repolitiser aussi nos expériences de visiteur, de visiteuse et de critique.

 

Camille Bardin

Oui, on secoue les mains. Meryam ?

 

Meryam Benbachir

Je voulais revenir aussi… Donc merci Luce déjà… sur donc le privilège que c’est d’avoir déjà le temps de poser sa valise en fait, d’aller dans une exposition, de prendre le temps en centre-ville. Ou alors maintenant, c’est vrai que bon, il y en a beaucoup en banlieue. [Elle rit] Mais bref, c’est une autre question. Et ensuite du coup, l’autre question que je me pose, c’est quelles émotions sont admises ? Quel(s) type(s) de colère par exemple ? Quel(s) type(s) de tristesse ? Et voilà, c’est une question ouverte, mais pour moi il y a toujours une notion un peu…

 

Camille Bardin

Je suis contente que tu parles de ça parce que moi j’avais envie de parler du rire. Et du coup, quel(s) type(s) de rire aussi parce que en fait, il y a… Récemment, j’ai fait l’exposition de Sophie Calle au musée Picasso et… Et en fait, je me suis vachement marré et je me disais en rigolant au milieu de tous ces gens qui rigolaient autour de moi, je me disais « oh mais trop bien, ça fait… » genre c’est hyper rare d’entendre des gens rire dans des expositions et que ce soit un rire franc, que ce ne soit pas un rire… Souvent le rire va être narquois ou c’est un rire de private joke genre « T’inquiète, j’ai l’ai ! J’ai la réf justement cette fois-ci. » Là c’était vraiment des trucs de c’est drôle en fait donc on se marre quoi. Et c’est vraiment rare de faire cette expérience-là dans les salles d’exposition. C’est plus un truc qu’on va avoir au cinéma ou quoi. Et en fait, passé ce constat-là et cette joie, du coup clairement, j’ai eu une espèce de gros moment de culpabilisation du fait justement de rire aujourd’hui dans un espace d’exposition. Et en fait, je me disais mais enfin, c’est terrible, mais ce qui me fait rire c’est de regarder une bourgeoise qui a le temps, l’espace mental, etc. de faire le clown quoi. Parce que Sophie Calle, elle est très drôle, mais parce qu’elle a le luxe aujourd’hui de faire tout ça. Et du coup, ça a commencé à me faire des nœuds au cerveau de… Mais est-ce que du coup, l’espace d’exposition c’est pas aussi un endroit de refuge où justement… Enfin, j’essayais de trouver des solutions mais que évidemment je n’ai pas réussi à formuler et à articuler. Mais mais c’est un peu le premier… le premier exemple que j’ai eu en tête quand on a choisi ce débat-là, parce que… Je sais pas, je suis vraiment partagée parce que des fois je me dis en fait ça me casse les pieds et on l’a un peu dit aussi dans la première partie du podcast sur l’exposition de Josèfa. Ça me casse les pieds un peu quand les artistes formulent simplement des propos politiques sans justement… et qu’il y a une espèce de paresse vis-à-vis de la forme, tu vois. Et c’est quelque chose qu’on voit beaucoup aujourd’hui, justement parce que le politique rentre de plus en plus de manière claire dans les expositions. Et donc finalement, la question que je me pose c’est est-ce que le musée… mais t’y as un peu répondu en fait Meryam. C’est que je me disais, est-ce que le musée peut pas aussi être un endroit de refuge, tu vois, où justement on peut avoir un espace temps, tu vois où on peut rire et… et oublier finalement ce qui se passe en dehors de ces murs, tu vois. Comme tu sais, c’est souvent le truc, tu vas à un spectacle de stand up et la personne va dire « Bon écoutez là on a 1h devant nous où on oublie ce qui se passe dehors, nos problèmes, etc. et on se marre un bon coup tu vois. » Donc, je me disais est-ce que c’est pas finalement un des rôles aussi des espaces ? Et finalement ça aussi c’est une posture fondamentalement bourgeoise quoi. De se dire je vais me stimuler intellectuellement, passer un bon moment, etc. Enfin…

 

Mathilde Leïchlé

Moi en fait je trouve ça super intéressant parce que quand on a parlé de ce sujet au début, je pensais pas du tout qu’on reviendrait au corps et on revient toujours au corps. C’est vraiment la conclusion de tout. Parce que même en fait… Bon déjà dans ce que vous avez dit, c’est hyper présent cette question du corps et en fait même dans l’étymologie, d’émouvoir, c’est hyper présent aussi ce rapport corporel en fait à ce qu’on reçoit, vraiment très physique. Et… et tout ça, tout ce que vous… tout ce que vous dites me fait aussi retraverser certaines de mes expériences. Et je parlais du syndrome de Stendhal dans l’intro. Et ça, c’est vraiment la posture du flâneur. Donc c’est l’homme bourgeois qui a beaucoup de temps pour se délecter de l’œuvre d’art. C’est une posture hyper… hyper connotée socialement et c’est super intéressant du coup, ce que tu ce que tu partages avec nous Meryam. Et du coup voilà, je retraverse certaines de mes… de mes propres expériences et ça m’est déjà arrivé de pleurer dans une expo en lisant un cartel, et ça révèle quand même un sentiment de sécurité dans ces espaces. Et c’est vraiment ce dont tu parles. C’est que c’était des moments où en effet je me sentais hyper chez moi quoi. Et parce que mon parcours, parce que mon héritage social et donc j’étais vraiment… J’étais vraiment là pour l’expérience, j’étais vraiment super ouverte, prête à recevoir ce qui était dit et ça pouvait être parfois une très belle formule ou un positionnement politique dans un cartel. Et ce positionnement politique à ce moment-là, pour moi, c’était… ça suscitait chez moi une émotion très forte. Et ça fait aussi écho à d’autres moments de ma vie où là, j’étais dans une situation d’inconfort, voire de crise par rapport à ce monde muséal, des expositions et tout, et où je rentrais dans une exposition et ça me faisait suffoquer. Et physiquement en fait, je pouvais pas rester, je pouvais pas… Enfin tout était hyper violent : l’agencement des œuvres, la présence des autres corps, les regards sur les œuvres, les regards entre les gens, les cartels et tout. C’était… C’était… C’était très très… Enfin du fait de mon inconfort avec ce milieu-là, avec ces structures-là, c’était une expérience physique très inconfortable et il n’y avait pas du tout la place pour une émotion… une émotion quelle qu’elle soit, à part l’envie de fuir quoi. Hum… Et par rapport à ce que tu dis Camille, ça me fait un peu penser à ce qu’on peut ressentir parfois en tant que spectateurice de théâtre où certaines pièces sont présentées… Je pense à une pièce d’Edouard Louis que j’avais vue, qui mettait en scène du coup sa famille d’un milieu très populaire du nord de la France, qui montrait… qui montrait le décalage social entre lui qui a fait Normale Sup et sa famille, et puis qui montrait aussi des scènes de violences sexuelles qu’il a subies. Et l’atmosphère de la salle me mettait très mal à l’aise. Je me disais mais qu’est-ce qu’on est en train de regarder ensemble ? Quelle émotion est-ce qu’on attend de nous ? Ou est-ce qu’on produit collectivement ? Et c’est vraiment… Enfin, ce que j’ai ressenti ce jour-là, c’était vraiment une sorte de bonne conscience bourgeoise qui dit : « Oh là là, c’est terrible. », « Oh là là, c’est terrible les violences que subissent les homosexuels. », « Oh là là, c’est terrible la misère dans le nord de la France. » Mais ça va pas beaucoup plus loin, quoi. Et je trouve qu’il y a aussi quelque chose de ça dans ce que tu racontes sur l’émotion collective qu’on peut avoir dans une exposition quand elle est uniquement dans le discours. Et on se donne bonne conscience parce qu’on ressent toustes quelque chose et puis on ressort et on revit nos vies comme avant quoi.

 

Camille Bardin

Luce ?

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Oui, je rebondis sur plusieurs aspects que tu viens d’énoncer, Mathilde. D’abord, évidemment, cette figure de Stendhal comme flâneur bourgeois blanc, évidemment paroxysme du bourgeois blanc. Il n’empêche que notre métier de critique d’art est aussi affublé de ces critiques-là. Donc, il faut pas non plus l’oublier. Maintenant, évidemment, on tente de politiser évidemment ce métier-là en insistant sur le travail de l’art et en insistant sur le fait qu’on est des travailleureuses de l’art. Mais notre notre métier est également inscrit dans cette histoire-là aussi. Non seulement de par l’école du Louvre notamment, et toutes les études qui sont associées aux littéraires, aux sciences dites « humaines », aux littéraires arts plastiques, arts, histoire de l’art, etc. qui sont censées être l’apanage du bourgeois. Pour faire aussi un lien avec ce que tu racontais à la fois du stand up, de cette idée du théâtre, etc. La question, c’est aussi de savoir si quand on visite une exposition, on vient pour se divertir. Qu’est-ce qu’on recherche en fait en allant voir une exposition ? Est-ce que c’est une forme de divertissement qu’on consommerait ? D’ailleurs, il y a quand même tout un travail là-dessus. Et en parlant plus d’émotions, moi quelque chose dont je me suis rendu compte en ayant ce débat, c’est que la plupart du temps, je n’en ressens pas d’émotions quand je suis dans un espace d’exposition. Et donc je voulais parler de cette indifférence là aussi. Comment… Comment on la vit cette indifférence ? Souvent, c’est… Voilà y’a une espèce de lassitude aussi à force justement de voir beaucoup d’expositions.

 

Camille Bardin

Mais même hors institution ?

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

C’est-à-dire ?

 

Camille Bardin

Genre tu dis que tu ne ressens pas d’émotions, etc. Mais j’ai l’impression que là, le débat il porte beaucoup sur les expositions qu’on voit dans des institutions, dans un cadre genre très… Mais même quand tu vas dans des… des  artist-run spaces, dans des endroits genre beaucoup plus tranquillisants j’ai l’impression. Enfin, c’est le mot qui me vient tu vois de… Où t’es moins à te tenir droite et voir si tu articules bien tu vois.

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Moi les artistes me touchent quand je les rencontre et qu’ils ou elles me parlent de leurs œuvres, évidemment. Mais c’est pas du tout la même chose pour moi que de voir des œuvres, que ça soit dans une foire, dans un espace d’exposition, dans un atelier, etc. Il y a toujours potentiellement un moment quand même de… comment dire… de distance, qui est peut-être du fait aussi de ce métier-là, mais qui en tout cas est à interroger parce que c’est souvent le cas.

 

Camille Bardin

Et ça a toujours été ça ? Genre avant même tes études et d’avoir cette… ce prisme-là ?

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Je pense que c’est… En fait, c’est la mise en exposition qui peut créer ça plutôt que les œuvres en tant que telles.

 

Camille Bardin

Ok.

 

Mathilde Leïchlé

Mais du coup, quand tu parlais d’expérience esthétique au début, toi tu la ressens ou pas ?

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Oui, j’ai des expériences esthétiques bien sûr, mais pour moi, l’expérience esthétique c’est quelque chose de rare et de précieux. Et du coup qui fait que… Justement pour moi, une expérience esthétique, ça va au-delà de l’émotion. C’est pour ça que le débat est intéressant, mais il est pas… Il s’arrête parfois juste un « waouh, c’est beau », « oh ça me remplit de joie. » Très bien, mais quand tu sors, est-ce que tu continues à ressentir cette joie ? Est-ce que ça continue à traverser, à te travailler ? Pour moi, une expérience esthétique, c’est quelque chose qui est sur le long terme. C’est quelque chose que tu as envie de te réapproprier aussi, c’est-à-dire que tu as envie d’écrire dessus, tu as envie d’écouter des choses sur l’artiste, sur les œuvres, tu as envie de revoir cet.te artiste. Ça c’est une expérience esthétique. Juste… voilà être content ou contente parce que tu as vu une vidéo qui était sympa…

 

Mathilde Leïchlé

Ouais, c’est vraiment un truc de temporalité… ok.

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Clairement.

 

Camille Bardin

Meryam ?

 

Meryam Benbachir

Et dans ces cas-là… Moi aussi j’ai regardé des définitions sur le site de l’Institut Français de psychanalyse. [Elles rient]

 

Camille Bardin

Ok… tu me terrorise ! [Elle rit]

 

Meryam Benbachir

Non mais alors ça ne veut pas dire que j’ai tout compris hein. [Elle rit] Donc moi je me suis demandé si du coup l’expérience esthétique, quand tu parlais Luce, se rapprocherait donc plus du sentiment que de l’émotion. Parce que dans leur définition, le sentiment… « Les sentiments sont des perceptions intellectuelles et affectives actuelles qui, contrairement aux émotions, supposent un processus, une résonance, une certaine durée et une intensité marquée. »

 

Camille Bardin

Ouais parfait.

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

C’est dit plus facilement.

 

Camille Bardin

Ça résout pas mal de choses.

 

Meryam Benbachir

J’avais un autre truc que je voulais dire, c’est la question des affects. Donc en fait, ça c’est encore autre chose les affects. Donc les affects, toujours sur le site de l’Institut Français de psychanalyse, « sont des composantes de l’énergie provenant du Ça et circulent librement, processus primaire. » Donc en fait il y a plus cette notion de subir l’affect et ça me fait penser au travail de Madeleine Planeix-Crocker qui a fait une exposition à Mécènes du Sud qui s’appelait Scabs donc qui veut dire « croûte » et qui parlait donc de différents affects et de la blessure. Et là pour le coup, bah c’était pas des émotions, mais j’ai senti plus de résonance avec la question des affects. Pas forcément sur le moment dans l’espace, mais en tout cas dans les thématiques abordées et dans l’échange et la réflexion sur les travaux de l’exposition. Donc voilà, pour moi ce serait plus de l’ordre de l’affect et je pense que l’expérience esthétique, évidemment, c’est ce qui nous motive toutes et tous à entrer dans une exposition et effectivement c’est rare. Et voilà. Moi je pense que j’arrive pas à dissocier en fait la dimension physique et éthique et politique en fait d’une exposition, avec l’émotion que je peux ressentir.

 

Camille Bardin

Complètement ouais.

 

Meryam Benbachir

Je pense que je suis incapable de rigoler devant Sophie Calle.

 

Camille Bardin

Mais c’est… En fait, ça boucle la boucle et c’est genre… C’est vraiment ce truc de se dire « Mais ah. » En fait, le truc qui te prend aux tripes de dire « Mais… » Je me suis vu rire et j’ai fait « Mais qu’est-ce qui t’arrive genre ? » Enfin tu vois, il y a un truc à un moment, une dissonance qui arrive je pense à quoi de ça justement.

 

Camille Bardin

Après oui, c’est les biais et les perceptions de chacun, chacune en fait. Mais pour le coup ouais moi elle me fait pas trop rire.

 

Camille Bardin

Ouais… Pour finir simplement, j’avais juste envie de dire un tout petit truc sur les corps parce que tu parlais des corps des fois qui t’insupportent, etc. Et en même temps, il y a parfois… C’est justement le fait d’être entouré.e par beaucoup de corps… Et c’est pour ça aussi Luce que je te demandais la différence, s’il y avait une différence entre des lieux un peu plus alternatifs aux lieux… aux institutions. Parce que justement, les moments où j’ai ressenti les émotions les plus fortes c’était souvent dans des petits lieux, en étant entourée de beaucoup beaucoup de monde, en ayant parfois froid, faim, trop chaud, etc. que me sont venues les émotions les plus fortes. Et je pense notamment à un jour où j’ai vraiment pleuré à chaudes larmes pour le coup. Et ça m’a étonnée devant le travail de Rose-Mahé Cabel une performance où iel – vous étiez là d’ailleurs, Mathilde et Luce – où iel rendait hommage et femmage aux personnes queer qui étaient parti.e.s et avaient subi des violences. Et donc il y avait toutes ces musiques de deuil qui défilaient et iel qui faisaient cette performance. Et là, genre j’ai mais chialé tout ce que j’avais et… Et du coup, je pense que c’est aussi important. On a beaucoup parlé des sentiments qui ne viennent pas ou des sentiments… Voilà, mais je voulais trop faire exister ce moment-là parce que je… Pareil, j’avais été hyper surprise et c’était genre trop trop beau.

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Oui c’était magnifique.

 

Camille Bardin

Et on avait été pas mal à chialer toustes ensemble. Meryam tu finis ? Tu conclues ?

 

Meryam Benbachir

Oui je suis désolée.

 

Camille Bardin

Non vas-y !

 

Meryam Benbachir

Oui, il y a quand même eu deux travaux cette dernière année qui m’ont émue pour le coup, mais que j’ai vu dans des contextes un peu différents. Donc le premier, c’est le film de ma copine Nesrine Salem « Mon ami. » Voilà bah évidemment, parce que c’est mon amie et qu’elle fait référence à énormément de choses que l’on vit dans ce film, qui sont des expériences donc de tokénisme, de violence, de racisme au sein de l’institution. Et ensuite, c’est une performance de Théophile Dcx que j’ai eu la chance de voir au salon de Montrouge. Et pour le coup, encore une fois, c’était dans le noir et il y avait une notion de spectateurices assis.e.s. Et donc cette performance sur les daddies qui sont décédés du Sida, où en fait il…  Enfin, Théophile déjà écrit incroyablement bien.

 

Camille Bardin

Oui c’est le meilleur du monde.

 

Meryam Benbachir

Et voilà. Et donc là, j’ai été vraiment émue. Mais encore une fois, donc c’était plus une résonance aussi personnelle.

 

Camille Bardin

Ouais complètement. Roh ! Je suis trop contente qu’on finisse par Nesrine et Théophile. [Elle rit] Cœur, cœur sur elleux. Merci à vous toutes et tous de nous avoir écoutées. Merci Mathilde, Meryam et Luce. Merci Luce en plus, parce qu’on l’a appelée au débotté parce que Claire Luna était malade donc bon rétablissement à elle et merci en régie de nous avoir accueillies. On vous dit à dans un mois et d’ici là, prenez soin de vous !

 

Mathilde Leïchlé

Merci ! Ciao !

 

Luce Cocquerelle-Giorgi

Salut !

 

Meryam Benbachir

Ciao !