Pourvu Qu’iels Soient Douxces
↘ Saison 3 – Épisode 26
– Partie débat : « Qui, pourquoi et comment on cite ? »
– Expositions « La Fleur et la Force » à la Triennale de Nîmes 2024
Extrait débat :
« Qui ? Pourquoi et comment on cite ? C’est un sujet qui peut paraître un peu chiant, technique, érudit même, des maraudes de gens qui écrivent et qui parlent de comment iels écrivent. Mais en fait, je crois que la question de la citation et des références est profondément politique et collective. C’est l’idée de l’arbre généalogique en plus grand. En citant on dessine la carte du monde dans lequel on s’inscrit ou de celui qu’on cherche à faire advenir. On dit les noms et les pensées de celles qu’on veut voir retenues par l’histoire. On choisit qui vit et qui meurt, avec qui on veut continuer de jouer. A observer celleux qui barrent les noms de ceux qu’on a trop entendus et celleux qui agrandissent toujours plus les notes de bas de page pour inscrire les noms de toutes celles et ceux qu’on ne remercie pas assez, a observé celleux qui citent fièrement leur pote et leur daronne en premier pendant les interviews, et celleux qui continuent de faire référence du bout des lèvres au rhizome de Deleuze et Guattari. Il faut bien avouer que la citation n’est pas morte. Elle est un outil qu’on est en train de réinventer. Et l’on souhaité participer humblement au débat qui élargit et questionne ses usages. Aujourd’hui, on va probablement prendre un petit plaisir coupable à cracher sur les tics situationnels et les références qui nous énervent. Et on va aussi essayer de dire pourquoi on va se rappeler des manières d’écrire qui nous ont éduqués et de comment on a essayé de s’en défaire. On va dire comment on écrit et avouer notre cas. Nous, on va, je l’espère, trouver 1000 façons politique d’utiliser la citation comme outil et de confisquer cet outil à celui qui l’utilise pour exclure depuis le haut. Parce qu’en fin de compte, c’est bien de ça dont il est question. »
Avec Camille Bardin, Samuel Belfond, Samy Lagrange, & Adèle Anstett.
↘ TRANSCRIPTION DES ECHANGES :
Camille Bardin
Bonjour à toutes et à tous, on est ravi.es de vous retrouver pour ce nouvel épisode de Pourvu Qu’iels Soient Douxces. Ce soir aux micros de ce studio : quatre membres de Jeunes Critiques d’Art, un collectif d’auteurs et d’autrices libres et indépendant.e.s ! Depuis 2015 au sein de Jeunes Critiques d’Art nous tâchons de repenser la critique d’art comme un genre littéraire à part entière et pensons l’écriture comme un engagement politique. Pour Projets, on a souhaité penser un format qui nous permettrait de vous livrer un petit bout de notre intimité en partageant avec vous les échanges qu’on a officieusement quand on se retrouve. POURVU QU’IELS SOIENT DOUXCES c’est donc une émission dans laquelle on vous propose un débat autour d’une problématique liée au monde de l’art puis un échange consacré à une exposition. Aujourd’hui, nous sommes quatre membres de JCA à échanger. Samy Lagrange.
Samy Lagrange
Bonjour Camille.
Camille Bardin
Samuel Belfond.
Samuel Belfond
Bonsoir.
Camille Bardin
Adèle Anstett.
Adèle Anstett
Bonjour.
Camille Bardin
… que vous entendez pour la première fois. Adèle a rejoint le collectif en début d’année. On est heureux et heureuses de pouvoir t’entendre aujourd’hui. Et moi-même, Camille Bardin. Pour ce nouvel épisode PQSD, on a choisi de parler des références que les travailleureuses de l’art, qu’iels soient critiques, médiateurices ou artistes, convoquent dans leur travail. On va donc se demander qui on cite, pourquoi on les cite et quelle portée et conséquences politiques cela pouvait avoir. Puis, la deuxième partie de cet épisode sera consacrée à la Contemporaine de Nîmes, Triennale de création contemporaine, qui inaugurait sa première édition le 5 avril dernier et qui est visible jusqu’au 23 juin prochain. Mais avant cela, Samy, je te laisse un introduire le débat de ce soir ?
Samuel Belfond
Oui, avec grand plaisir, Camille. Qui, pourquoi et comment on cite ? C’est un sujet qui peut paraître un peu chiant. Technique, érudit même, des marottes de gens qui écrivent et qui parlent de comment iels écrivent. Mais en fait, je crois que la question de la citation et des références est profondément politique et collective. C’est l’idée de l’arbre généalogique en plus grand. En citant, on dessine la carte du monde dans lequel on s’inscrit ou de celui qu’on cherche à faire advenir. On dit les noms et les pensées de celleux qu’on veut voir retenu.e.s par l’Histoire. On choisit qui vit et qui meurt, avec qui on veut continuer de jouer. À observer, celleux qui barrent les noms de ceux qu’on a trop entendus et celleux qui agrandissent toujours plus les notes de bas de page pour inscrire les noms de toustes celleux qu’on ne remercie pas assez. À observer, celleux qui cite fièrement leurs potes et leur daronne en premier pendant les interviews. Et celleux qui continuent de faire référence, du bout des lèvres, au rhizome de Deleuze et Guattari ; il faut bien avouer que la citation n’est pas morte. Elle est un outil qu’on est en train de réinventer et l’on souhaitait participer humblement au débat qui élargit et questionne ses usages. Aujourd’hui, on va probablement prendre un petit plaisir coupable à cracher sur les tics citationnels et les références qui nous énervent – et on va aussi essayer de dire pourquoi. On va se rappeler des manières d’écrire qui nous ont éduqué.e.s et de comment on a essayé de s’en défaire. On va dire comment on écrit et avouer nos tics à nous. On va, je l’espère, trouver 1000 façons politiques d’utiliser la citation comme outil et de confisquer cet outil à celleux qui l’utilisent pour exclure depuis le haut, parce qu’en fin de compte, c’est bien de ça dont il est question.
Camille Bardin
Trop bien. [En murmurant] Ça m’a encore plus excitée, ton intro, de faire ce débat qui paraît effectivement assez chiant à proprement parler… à priori. [Samuel rit] En fait, on se rend compte dès ton intro qu’il y a quand même pas mal de trucs à dire. Est-ce qu’Adèle ou Samuel, vous avez des… ? Samuel, tu y vas ?
Samuel Belfond
Non mais c’est intéressant, justement, la manière dont tu poses… enfin dont tu problématises cette question, Samy, parce qu’effectivement, je pense qu’il faut faire un peu un effort de contextualisation sur pourquoi ces questions des références, elles sont importantes dans le champ de l’art. Il me semble qu’on peut le réancrer dans le contexte dans lequel on est depuis la fin des années 90 et l’avènement d’un marché de l’art globalisé et de la biennale comme modèle dominant, qui est lié, dans une certaine mesure, à une sorte d’uniformisation du langage de l’art et dans lequel s’inscrivent les références d’ailleurs. Je fais référence là à un… Je fais référence là…
Camille Bardin
Ça commence les références.
Samuel Belfond
[Il rit] Je fais référence là à un bouquin qui est sorti en 2012 ou 2013, qui s’appelle « International Art English », qui en fait a épluché des centaines et des centaines de press releases qui venaient de galeries et d’institutions pour montrer comment le monde de l’art avait construit une manière de parler d’art qui était de l’anglais, mais même plus vraiment de l’anglais (ça s’applique d’ailleurs aussi au français) dans la syntaxe, le vocabulaire, la manière de citer, de se référencer. Et comment en fait, par ce procédé, le monde de l’art s’autonomisait, mais en fait s’excluait de toutes les autres sphères. C’était un mouvement qui est à la fois pompeux et élitiste. Et c’est dans ce sens-là, quand tu fais une blague sur le rhizome de Deleuze en fait, il n’y a que des gens dans le champ de l’art contemporain qui peuvent comprendre à quoi tu fais référence. Et je pense qu’on pourra revenir à l’évolution, justement, de ces champs référentiels, parce que je pense que Deleuze, aujourd’hui, on fait des blagues, mais on fait pas encore des blagues sur Donna Haraway qui est un peu le Deleuze dix ans plus tard.
Camille Bardin
Ça va venir t’inquiète pas. Elsa Dorlin après, on les voit devenir de loin, quand même. [Elle rit]
Samuel Belfond
Voilà. Donc, à mon sens, c’est ça aussi un des axes de contextualisation, parce que c’est ça dans le cadre dans lequel on parle. Et quand on a commencé la critique, je pense, nous, dans la deuxième ont été les années 2010, c’était ultra prégnant. Et je pense que Jeunes Critiques d’Art s’est même posé à un endroit pour dire qu’on essayait de faire de la critique différemment.
Camille Bardin
Complètement. Adèle ?
Adèle Anstett
Eh ben. C’est ce que je voulais aussi questionner, c’est ce contexte de la citation, d’où ça nous vient. Et du coup, mes interrogations, c’était moins sur le marché de l’art et le monde de l’art contemporain que même avant notre formation à l’école et ensuite pour celleux qui ont continué dans les études supérieures. Et de se dire que c’est normal de citer parce qu’on n’invente pas depuis le rien et que l’idée de la tabula rasa, donc table rase en latin, hyper pompeux, c’est clairement du n’importe quoi. Et donc de faire appel aux influences qui nous aident à produire en les citant, en les remerciant, c’est… c’est traduire le fait que les œuvres, elles sont produites selon un contexte et qu’on est censé y faire référence. C’est une façon d’expliquer l’origine de nos réflexions et de rappeler les figures et les concepts qui les accompagnent. Mais c’est… tout ça, c’est relatif au langage scientifique. C’est un peu la preuve du langage scientifique qu’est la citation. Et ce qui permet, encore une fois, de présenter et de situer le point de vue, mais par rapport à celui d’autrui et par rapport aussi à un ensemble de normes qui sont relatives aux discours théoriques. Et par là, j’entends, par exemple, cette notion de vérité, cette notion de scientificité, d’histoire, etc. Et dans ce sens, les usages pratiques de la citation, c’est donc éviter le plagiat, mais aussi offrir aux lecteurs et aux lectrices la possibilité de vérifier et d’approfondir le propos. Mais ces usages pratiques du milieu académique et de la production de discours théoriques, elles existent dans des formes propres à l’art contemporain, le texte de salle, le texte d’exposition, le catalogue, les entretiens d’artistes, etc. Et ce que j’ai trouvé comme petit écueil, on va dire, c’est la citation qui permet de légitimer un discours ou une production sans autre forme. Et c’est ce que, attention… Bourdieu lui-même [iels rient], appelle en 1982 (donc effectivement ces années 80) « Le discours d’importance. » Et donc, c’est ce qu’il définit comme la citation qui peut participer à un dispositif, qui « n’a d’autres fonctions que de signifier l’importance intellectuelle de celui qui le tient » ou comment se la péter en citant des noms très compliqués. Et comme en plus, il était pas un grand fan de sciences, Pierrot continue à critiquer ce qu’il désigne comme « la rhétorique de la scientificité » des signes extérieurs de richesse scientifique, une ornementation pour impressionner le.a lecteurice, nouveau rich style. Et c’est du coup cette ornementation du discours que devient parfois la citation qui m’interroge, notamment dans le milieu de l’art contemporain.
Camille Bardin
Ouais bah je suis contente que tu ailles là-dessus parce que c’est effectivement par là aussi que… Enfin, c’est notre entrée première de toute manière. Et je pense que quand j’ai commencé à travailler dans l’art contemporain, n’ayant pas fait d’études en histoire de l’art, en philo, en sciences po, qu’importe, j’ai fait une école de journalisme assez… plus technique que théorique. Du coup, je culpabilisais beaucoup du fait de ne pas avoir toutes ces références-là. Et je pense que c’est en m’éduquant politiquement que j’ai commencé à me détendre sur le sujet, parce qu’à un moment donné, j’ai compris que c’était pas de ma faute si je n’avais pas eu accès à tel ou tel savoir et que d’autres autour de moi semblaient beaucoup plus à l’aise dans le fait de convoquer certaines choses. Et c’était pas mon cas. Et donc je pense qu’effectivement, de se renseigner d’un point de vue politique, ça m’a permis de me détendre là-dessus, tout simplement. Après, en gagnant un peu en assurance, quand on commence à se sentir un peu plus légitime, j’ai commencé à m’autoriser à… à citer des références qui sont jugées comme étant mineures ou moins importantes, etc. À citer des youtubeureuses, des streamereuses, etc. dans des cadres, même professionnels comme ici, dans Pourvu Qu’iels Soient Douxces ou même à des dîners. Après, il y a encore des endroits que je dois déconstruire. Par exemple, ma mère et ma grand-mère sont d’énormes lectrices, toutes les deux, mais les livres qu’elles lisent sont ce qu’on appelle des « romans de gare » et je sens que j’ai encore un rapport assez snob avec ça. Parfois, ma mère, elle me prête un livre qui lui a plu et ne serait-ce que repartir avec cette couverture mega criarde, etc. ça me rend parfois mal à l’aise. Du coup, je sens qu’il y a encore des choses à travailler à cet endroit-là parce que pendant beaucoup d’années, je me suis forcée à performer une certaine érudition, une certaine connaissance et je tentais de tendre vers cette culture bourgeoise. Et je crois que c’est peut-être ça le plus violent, sentir une sorte de mépris de classe qui s’infiltre et qui vient corrompre nos relations, même les plus intimes en fait. Et je pense que la violence, elle se joue aussi à cet endroit-là, je trouve. Du coup, c’est presque devenu un acte politique de demander à l’autre de m’expliquer la chose à laquelle iel y a le fait référence. Et c’est drôle, mais vous n’imaginez pas le nombre de fois que la personne s’est retrouvée un peu tremblante dans l’incapacité de m’expliquer ce qu’iel citait par ailleurs quoi. Et je crois que c’est important, si on se sent safe ou même suffisamment à l’aise d’acter qu’on ne sait pas. D’abord parce qu’on apprend plein de trucs. Et vraiment, Jeunes Critiques d’Art ça a aussi été un endroit où j’ai appris plein de choses parce que je n’ai cessé de poser de questions et de demander. Et ensuite, parce que ça permet aussi de remettre en question la portée universelle ou la soi-disant universalité de certains savoirs.
Samuel Belfond
Oui, il me semble, Camille, que tu mets en lumière une tension qui est intéressante, justement, notamment pour notre génération, dans le rapport à la référence, qui est que nous, on travaille quand même sur une forme d’horizontalisation dans un sens de la référence et de ne plus être que sur des références canoniques (on pourra y revenir), qui sont celles avec lesquelles on est entré.e.s. ou on a découvert la critique d’art et de dire qu’on peut parler autant d’un youtubeur ou d’une youtubeuse que de Deleuze. Combien de fois on va citer Deleuze dans cette émission ? … de Deleuze dans un texte d’art et en même temps de se poser la question de : Est-ce que finalement, toutes les références se valent tu vois ?
Camille Bardin
[Elle aquiesce] Oui bien sûr. Samy ?
Samy Lagrange
Déjà, je vais dire, j’ai jamais lu Deleuze. [Il rit]
Camille Bardin
Voilà, il faut se outter à un moment donné. Merde. [Elle rit]
Samy Lagrange
Non, c’est hyper intéressant tout ce que vous dites. Du coup, le constat qu’on évolue vraiment dans un micromilieu qui fonctionne en vase clos, qui jargonne avec des arguments d’autorité et du coup, qu’on est sommé.e.s de se positionner. Donc, soit en essayant de rattraper notre retard, en… en embrassant ce fonctionnement-là, soit en faisant semblant, soit en se positionnant comme tu le disais et je pense que c’est là où on se dirige, Camille, vers des stratégies de résistance, d’opposition et de trouver de nouvelles formes de pouvoir exister dans ce milieu. Et du coup je pense que ouais c’est peut-être bien qu’on passe un peu plus de temps à expliciter les stratégies de résistance qu’on met tant bien que mal en place. Effectivement, tu l’as très bien expliquée, cette première stratégie, Camille, pour moi, qui est celle de perturber le système de référence bourgeois, que ça soit en exprimant un point de vue qui est fondé sur une expérience culturelle qui est considérée comme marginalisée ou stigmatisée, que ce soit en convoquant des référents de culture populaire, extra-occidentaux, prolétaires, diasporiques, queer, etc. Ou bien, effectivement, je n’y avais pas pensé, en admettant qu’on ne connaît pas les référents de la culture hégémonique et en regardant les gens se défaire et se débattre dans l’explication.
Camille Bardin
C’est sympa.
Samy Lagrange
Moi, je pensais aussi au fait de perturber ce système de linéarité. L’histoire des pensées, elle est faite d’une généalogie qui est finalement toujours très linéaire et très verticale. En gros, pour simplifier, on retient un homme qui a dit quelque chose, qui a inspiré un autre mec et ainsi de suite jusqu’à soi. Et puis voilà. C’est souvent pas plus compliqué que ça. Et du coup, je pense qu’on perturbe les linéarités quand on pense en constellation et en horizontalité. Quand on cite, celleux qu’on ne cite jamais, mais qui pourtant était bien là et qui ont quand même pensé. Quand on cite, celleux qui nous aident à penser au quotidien ou alimentent nos écrits ; nos potes, en fait. En vrai, moi, je rêve, par exemple, de thèse où on aurait des notes de bas de page avec *C’est Mathilde qui m’a parlé de cette chercheuse trop cool quand on était au bar. Voilà pourquoi j’en parle ici. Après, moi, j’ai un peu réfléchi à ce que je mettais en place personnellement. Alors, clairement, je continue de faire ce qu’on critique ici. Parfois, je continue d’utiliser des références qui sont dites « érudites », même si j’essaie quand même qu’elles soient politiques et transgressives par rapport aux normes, donc je cite plus Dorlin et Muñoz que Deleuze et Derrida. [Iels rient] Je continue à faire le fanzouze sur des figures et des références de la pop culture. Mais un des usages qui m’a apparu le plus juste et le plus précautionneux, c’est peut-être de faire le plus possible référence à moi-même. Finalement, la seule chose que je connais vraiment, c’est moi, mon expérience et mes positionnements. Et donc, j’essaie que mon expérience, mon ressenti, ma projection fassent le lien pour les autres entre le travail d’un ou d’une artiste et le sujet politique qu’il m’évoque. Je précise que je dois cette réflexion sur moi-même à des propos de Salomé Fau qui m’a fait comprendre pour… enfin, justement… qu’en fait c’était comme ça que j’écrivais, pendant une soirée à Nîmes. Et qui ressemble un petit peu d’ailleurs aux stratégies que met en place Hortense Belhôte, qui est comédienne et historienne de l’art quand elle fait ses Conférences spectaculaires où, justement, elle fait le lien entre la grande histoire et le public par son expérience personnelle et son histoire personnelle. Après, bien sûr, pour conclure, attention à l’ego trip. Des fois, je parle tellement de moi que j’ai l’impression de coloniser l’espace et le travail de l’artiste et de totalement l’oublier sous mes mots. En gros, de pas assez mettre de distance. Et c’est aussi pour ça que j’ai du mal à utiliser cette stratégie référentielle quand j’écris sur le travail d’artistes qui se nourrissent d’une expérience qui n’est pas du tout la mienne et où je ne peux pas me permettre d’imposer mon expérience personnelle autant que je le voudrais ou je le pourrais.
Samuel Belfond
Et ta passion pour Marvel ?
Samy Lagrange
Chut.
Camille Bardin
[Iels rient] Adèle ?
Adèle Anstett
Je voulais rebondir sur ce qu’a dit Samy, sur le fait d’être en conflit un petit peu entre une injonction que je trouve à plusieurs endroits, notamment dans l’art contemporain, c’est le (dans les textes pour nous) : « soyez personnel.le, soyez original.e, mais en même temps, appuyez-vous toujours sur le discours d’auteurices antérieur.e.s. » Et par rapport justement à cette notion d’auteurices antérieur.e.s, j’ai l’impression en France, et en Suisse où j’ai étudié, en Suisse francophone, que certains discours de l’art contemporain sont figés dans le temps et ne remettent pas en question, et je ne remets pas en question pardon l’apport de certains et certaines de ces auteurices, mais c’est curieux de retrouver à travers des dizaines de générations, les mêmes textes et les mêmes noms. Et… J’ai croisé dans le métro, et j’ai un peu phasé sur cette grande affiche de « Lacan, l’exposition. Quand l’art rencontre la psychanalyse » au Centre Pompidou, Metz. Et sur le texte d’exposition en ligne, il y a cette phrase qui résume un petit peu ce que j’ai entendu de la part de nombreuses et de nombreux profs : « La pensée de Jacques Lacan est avec celle de Roland Barthes, Michel Foucault, Jacques Derrida et Gilles Deleuze…
Camille Bardin
Bingo !
Adèle Anstett
… essentielle pour comprendre notre contemporanéité. » Et donc cette espèce de panthéonisation de la French theory, donc des mecs bien cis, bien blancs, ont se l’est farcie pendant des années, du panoptique et de l’herbe par le milieu (et ça, c’est des refs, et celles et ceux qui se l’ont farcie, à tous les repas). Et du coup, ça constitue un peu un espèce de socle où… sur lequel se base l’enseignement artistique français et suisse francophone. Et donc, si ça n’a pas changé, c’est aussi que les profs et les figures d’autorité ont peu changé. Leur syllabus et leur bibliographie vieillissent et se renouvellent que trop peu. J’ai entendu parler d’exceptions qui bourgeonnent dans des formations spécialisées qui revendiquent de se détacher de ce panthéon. Mais en France, depuis ces fameuses années 80, il y a une sorte de réticence traditionnelle au niveau académique. Et par exemple, les études sur le genre et les post colonial studies, les études sur le postcolonial, elles ont mis beaucoup de temps à intégrer le discours. Et c’est encore en 2018 qu’on avait, par exemple, une tribune cosignée par 80 intellectuel.le.s contre la pensée des coloniales. Et en 2021, Nathalie Heinich…
Samy Lagrange
lol
Adèle Anstett
… qui est une autrice sur l’art contemporain, notamment, qui publie un livre qui s’intitule « Ce que le militantisme fait à la recherche. » Et donc, c’est un système où il y a des bonnes références qui sont adouvées par certaines institutions et maîtrises de à voir. Et donc, on tourne en rond, on épuise des noms et des concepts qui appartiennent à une époque qui devient tellement différente de nos quotidiens. Et je sens parfois dedans un espèce de relan d’une dichotomie entre culture savante, donc et populaire, qui est pour moi aussi absurde que de distinguer nature et culture, alors que de nouveaux découpages, de nouveaux collages, de nouveaux beauturages sont déjà à l’œuvre. Et cette forme d’autorité académique permet parfois même d’illégitimer une forme de discours si iels ne citent pas « les bonnes choses. »
Camille Bardin
Ouais. Samuel ?
Samuel Belfond
J’ai l’impression tout de même que peut-être que ce dont tu parles, Adèle, ça a encore vigueur de manière hégémonique dans le champ académique, mais il me semble que dans la critique, ça a quand même bougé, dans une certaine mesure. Après, on ne parle pas forcément… Ça dépend de quelle critique on parle. Est-ce qu’on parle de la critique dans le champ académique ou est-ce qu’on parle de la critique dans le champ, soit du marché, soit des institutions artistiques, soit même de l’émergence ? Là, on est un peu ailleurs. Mais parce que… Par rapport aussi à ce que tu disais, Samy, moi, j’ai l’impression, effectivement, quand on a commencé la critique, la French Theory, il n’y avait que ça, ce n’était que du post-structuralisme et c’était donc effectivement tous les auteurs dont tu parles. Et la manière dont les textes étaient portés, justement, il y avait une forme de… de négation de soi, de son expérience vécue en tant que critique et on portait juste un discours savant en fait. Et il me semble qu’il y a quand même un changement de paradigme qui a été marqué en France, c’est arrivé assez tard, je pense, par rapport au monde anglo-saxon, sur le fait de prendre la connaissance située. Donc ce concept de Donna Haraway, que je vais très mal expliquer, mais qui est de dire que dans toute production de savoir, ce savoir est construit par une personne qui est située dans une expérience et que cette expérience a un biais sur cette production de savoir. Et il me semble que justement, ce dont tu parles, Samy, aujourd’hui de partir de soi, c’est en fait la mise en pratique de ce concept. C’est pour ça, à mon sens, qu’aujourd’hui, les références vont être moins celles de la French Theory immédiatement que justement, potentiellement, Haraway dans une certaine mesure, peut-être Ursula K. Le Guin de manière même presque genre rhizomatique…
Camille Bardin
Aïe Aïe Aïe [Iels rient]
Samuel Belfond
… aujourd’hui, tellement ça devient… [il rit] Tellement, elle est utilisée un peu dans tous les sens. Mais quand même des formes plus mouvantes, plus proches parfois de la fiction ou de la spéculation, ou d’autres références qui sont plus dans le changement du rapport au vivant, comme Vinciane Despret en France, par exemple, qui, quand même, il me semble, font concurrence dans la manière d’être traitées et avec ce truc du rapport à soi, que la French Theory poussait de manière statique comme elle a pu l’être à un moment.
Camille Bardin
Il y avait aussi un truc vers lequel j’avais envie de vous emmener, c’est sur la question de la réappropriation aussi de certaines références. C’est que justement, dans ce mouvement-là qu’on voit aujourd’hui, où il y a de plus en plus de références liées à la pop culture qui sont convoquées par les artistes et des travailleureuses de l’art de manière générale, est-ce qu’il n’y a pas un écueil aussi de voir tout un tas de références type les mangas… Enfin, la culture populaire de manière générale, être réappropriée aussi par des classes supérieures tu vois ? Et je me dis, point d’interrogation, parce que je me suis posée la question à plusieurs reprises de savoir quelles relations je pouvais avoir avec certains boulots, notamment du fait d’être née à la fin des années 90. Je travaille, moi, essentiellement sur… avec et sur des artistes qui sont né.e.s elleux au début des années 90. Et mine de rien, ce petit gap de temps fait qu’on n’a pas forcément grandi avec les mêmes refs. Et du coup, je me suis mise à rattraper certains… certaines de… certains dessins animés, tout un tas de de connaissances comme ça avec lesquelles je n’avais pas grandi. Et je me disais quel rapport je peux aussi entretenir avec… avec ces œuvres-là ? Est-ce que je peux autant m’en saisir avec autant de justesse et d’honnêteté qu’une personne qui l’a vraiment… tu vois grandi, enfin… vécu depuis qu’elle est toute petite tu vois ? Et un rapport évidemment beaucoup plus… ouais sensible peut-être, je ne sais pas, avec cette œuvre-là. Bon, je suis partie sur deux choses, sur à la fois… Enfin… voilà sur deux choses. La question de la réappropriation de manière générale, je pense qu’elle est plus dangereuse à un endroit qu’à un autre, mais… Ça peut juste être un pop comme ça dans la conversation, vous êtes pas obligé.e.s de… [elle rit]
Samy Lagrange
Pour répondre comme ça à chaud. Moi, je dirais que justement, effectivement, l’écueil, c’est la réappropriation et donc du coup, moi, ma stratégie, ce serait plutôt de ramener à moi, de me repositionner par rapport à ça, mais c’est aussi hyper dangereux, hyper problématique parce qu’à quel point tu effaces, tu comprends mal les références de l’autre, tu n’acceptes pas ces références parce que tu retends encore vers tes références à toi, qui parfois sont plus normatives, plus hégémoniques. Et puis, en vrai, ça relie aussi avec ce que vient de dire Samuel de, effectivement, nos références changent, mais à quel point, par un effet de réappropriation et du coup de normativisation, ça va devenir l’écueil de la génération future qui va se dire « Putain est-ce qu’on peut en sortir de Haraway ? » On est déjà en train de se dire « Et qu’est-ce qui va se passer après Haraway ? » [Iels rient]
Samuel Belfond
[inaudible]
Camille Bardin
Je pense que ça, c’est aussi un des points qui est important et le collectif agit aussi. C’est encore un des bons points du collectif, je crois, c’est que… On le voit depuis le début de notre échange et c’est un truc qui est très présent dans Jeunes Critiques d’Art, c’est qu’on a tendance à se tirer les oreilles quand on tombe justement dans ce truc hyper… On a tendance à faire des gros bingos, même en réunion, la personne qui commence à citer je ne sais qui, justement, se cache derrière un peu, déjà derrière ses mains en se disant qu’elle va se faire taper dessus quoi. Ça va, on n’est pas non plus violent.e.s, mais il y a un peu un truc, je trouve, où on se…
Samuel Belfond
On s’autorégule ?
Camille Bardin
Un peu ouais. J’allais dire on se flic, mais je préfère autorégule. [elle rit]
Samy Lagrange
Mais ça suffira peut-être pas. Effectivement, là toi tu parlais de devoir rattraper des références d’une « génération avant toi », entre guillemets, parce que c’est pas vraiment la génération avant, mais d’une génération un peu plus âgée. Donc avec Samuel, c’est le contraire, on est un petit peu plus âgés, donc du coup le risque, c’est de devenir des vieux cons bientôt, du coup de trouver des stratégies. Et du coup, ça, on a beau s’autoréguler, on ne peut pas s’en prémunir totalement, même entre nous, même entre collectifs.
Camille Bardin
Parce qu’il y a nécessité de créer un patrimoine commun aussi avec les gens avec lesquels tu travailles. Adèle ?
Adèle Anstett
Mais du coup, il y a deux choses à quoi ça fait écho, mais ça se rejoint sur cette chose d’essayer de comprendre des références qui ne sont plus les nôtres ou pas encore. Il y a l’honnêteté, je pense qu’on peut avoir par rapport à ces sujets, de les comprendre de façon totale et aussi d’accepter sa place. Et du coup, quand on les cite, d’être honnête et de les remettre dans leur contexte, parce que c’est pas parce qu’on a lu, compris et qu’on parle d’une manière ou qu’on utilise les mêmes termes, qu’on peut se défendre d’appartenir à une communauté, un groupe qui, pour le coup, vit ces références-là. Cette question de l’appartenance via la citation, c’est quelque chose que j’avais cru déceler comme quand on cite des choses, c’est comme pratiquement un langage secret. Chez les adolescent.e.s, par exemple, où si t’as pas la ref, tu fais pas partie du groupe. Mais c’est pas autant pour exclure le groupe que pour se protéger et créer du lien. [Iels acquiescent] Et parfois, il faut aussi respecter que tu peux utiliser les références, faire des blagues, par exemple avec les ados, mais tu seras jamais un ado. Du coup juste se positionner avec humilité dans ce rapport à la référence, c’est éviter – et du coup, là, ça revient sur une autre chose – cette citation ornementale qui a une espèce de tendance impérialiste où on se sert des références qu’on n’a pas encore, mais qu’on juge sexy, tacky, etc. Et on les absorbe pour briller soi ou son propre profit. Et là, c’est moins dans l’histoire… le monde de l’art contemporain que dans la mode où cette technique de citation, qui là est visuelle, eh ben… s’approprie des symboles en ignorant totalement les signaux que ça peut renvoyer, les héritages qui sont manipulés. Et là, kiss kiss Demna Gvasalia, qui est le … artist director de Balenciaga et qui en fait des tonnes. Il s’excuse toujours après, mais il fait des tonnes de citations qui méprisent et qui sont violentes pour plein de communautés.
Samuel Belfond
En tension entre ce que vous dites, notamment, Samy et Adèle, il me semble que justement, ce qui est intéressant là-dedans, c’est ce que ça veut dire sur la position du critique par rapport à l’artiste. Est-ce que le.a critique est uniquement censé.e être un traducteur ou une traductrice, enfin un passeur ou une passeuse qui s’efface derrière ? Et auquel cas, le rapport aux références peut être différent du moment où c’est une rencontre entre deux singularités et c’est de cette rencontre que va naître un texte critique. Et effectivement, je te rejoins, Samy, moi sur le truchement des références. Entre les références que va me donner un artiste quand je vais le rencontrer en atelier et qui va me dire qu’il joue à Zelda toute la journée et qu’il a regardé tel animé et que de la discussion avec lui, je vais lui dire « Ah ! Ça me fait penser à ça » et que c’est peut-être, justement, dans cette rencontre qu’on va pouvoir créer un référentiel commun ; plutôt qu’effectivement juste passer des références qui seront pas forcément les miennes et que je vais potentiellement singer. Mais c’est vraiment une question aussi d’éthique critique à cet endroit et qui est assez mouvante en ce moment, il me semble.
Samy Lagrange
Ça me faisait penser effectivement à toujours cette recherche totalitaire de l’exercice. Effectivement, est-ce que le.a critique doit dire tout ce qui est à dire sur une œuvre ou sur un.e artiste ? J’avoue que moi, en tout cas dans mon rapport aux artistes, quand je leur envoie un texte, je leur dis toujours que c’est une entrée subjective, partiale et lacunaire, parce que ça ne peut être que ça. Et ça me faisait aussi penser à notre rapport excessif à la référence. Et il y a un peu un truc de… J’ai l’impression que c’est un peu le moment bientôt de sortir de cette dynamique de l’hommage permanent, de la starification et plus généralement de la position idolâtre, parce qu’on essuie des déceptions à répétition dès que quelqu’un.e qu’on admire a une prise de parole maladroite ou est call outée pour telle ou telle raison. Et je trouve que c’est un exercice assez compliqué de devoir se positionner tout d’un coup à l’encontre d’une figure qu’on a idolâtré pendant longtemps. Ça fait quand même tout bizarre au cerveau de faire ça. Je ne dis évidemment pas qu’il faut séparer l’homme de l’artiste, mais peut-être qu’il y a un moyen d’apprendre à être un fan ou une fan critique. Moi, je trouve qu’il y a une simplification extrême à ériger en idole qu’on va citer et sur-citer une personne, simplement parce qu’elle a fait des choses qui nous ont touché.e.s. Mais elle a fait juste certaines choses qui nous ont touché.e.s et pourtant, c’est toute sa personne, tout ce qu’elle représente qu’on va ériger en idole. Donc, je pense qu’il y a peut-être une façon un peu plus complexe et plus juste d’appréhender l’autre pour déjà éviter d’être déçu.e constamment et pas à risquer de perdre son esprit critique au moment où on en a le plus besoin. Après, je suis d’accord que ce n’est pas du tout facile. Idolâtrer quelqu’un qui ne fait notamment pas partie du corpus de l’hégémonie bourgeoise, c’est aussi une stratégie de résistance et de renversement. C’est le principe de traiter Britney Spears au même niveau que Marx ou Bourdieu, par exemple. Mais si Britney fait un jour une dinguerie transphobe, on va devoir passer un temps énorme à critiquer la figure idolâtrée et déchue de Britney, à se repositionner face à elle, ce qui confisque en vérité un temps précieux à tous les discours de fond bien plus important. En gros, je sais pas si c’est très clair, mais ce que je veux dire, c’est : Ayons des références que l’on sait pouvoir critiquer en permanence au lieu que d’avoir des idoles.
Camille Bardin
C’est chouette ça comme conclusion !
Samy Lagrange
Ça va c’était pas trop long ?
Camille Bardin
C’est parfait. [Elle rit] C’est parfait. Merci, Samy. Ceci étant dit, on passe à la deuxième partie du podcast. Samuel, je te laisse introduire.
Samuel Belfond
Oui, avec une intro beaucoup trop long pour intégrer des blagues ou des métaphores filées.
Camille Bardin
Ah mince, je pensais que tu avais beaucoup de choses à dire.
Samuel Belfond
Non.
Camille Bardin
Vas-y, fais nous rire.
Samuel Belfond
Depuis le début des années 2020, il est rare de voir apparaître de nouvelles manifestations d’ampleur dans le champ de l’art contemporain français, dans un contexte de restrictions budgétaires et notamment émanant des puissances publiques. Aussi, pas mal d’attentes se sont cristallisées autour de cette première édition de la Contemporaine de Nîmes, Triennale de création contemporaine, qui a ouvert le 5 avril dernier et durera jusqu’au 23 juin prochain. Annoncée il y a à peine un an, la Triennale est portée par la ville de Nîmes, qui a nommé à sa direction artistique Anna Labouze et Kémis Henni. On connaît bien les deux commissaires pour leur engagement protéiforme auprès de la création française, inscrit notamment par leur structure Artagon et ses ateliers collectifs de création et production à Pantin et Marseille, ainsi que leur programmation tournée vers l’émergence aux Magasins Généraux à Pantin, dont iels sont également directeur et directrice artistiques. Pour cette première édition Nîmoise, le duo de commissaires propose un parcours à l’échelle de la ville composé d’un parcours principal d’expositions dans douze lieux, six temps forts dédiés aux arts vivants et à la performance, trois maisons réparties dans des quartiers périphériques de la ville ainsi qu’une programmation associée. C’est sur cette exposition principale, nommée « La Fleur et la Force », que nous avons décidé de concentrer nos échanges aujourd’hui. « La Fleur et la Force », donc, doit son nom à la volonté d’associer pour chaque projet d’exposition un binôme intergénérationnel, « soit un talent, je cite, émergent à un ou une artiste établi.e ou historique. » On y retrouve donc des noms familiers des scènes émergentes marseillaises et parisiennes et notamment proches de l’écosystème d’Artagon. Donc, Naïla Sermak-Ichti, Valentin Noujaïm, Aïda Bruyère, Rayane Mcirdi, June Balthazard, Caroline Mesquita, Jeanne Vicerial, Alassan Diawara, Hugo Laporte, Prune Phi, Feda Wardak. J’ai cité uniquement les artistes dit.e.s émergents-émergentes qui ont été associé.e.s à des artistes comme Pierre Soulages, Laure Prouvost ou Zineb Sedira qui, pour donner une idée de leur niveau de reconnaissance, sont les deux dernières artistes à avoir représenté la France à la Biennale de Venise. Ces artistes investissent espaces publics, sites patrimoniaux, lieux culturels ou musées. Et on aura l’occasion, au-delà de l’échange sur cette exposition principale, d’évoquer quelques coups de cœur liés au reste de la programmation, mais on n’évoquera pas, évidemment, l’intégralité des péripéties liées à la dimension festive du week-end d’ouverture durant laquelle a eu lieu notre voyage de presse, marqué notamment par une boom fameuse dans les arènes de Nîmes.
Camille Bardin
Et comme chaque voyage de presse qu’on fait pour chaque exposition, il est important pour nous d’expliciter les conditions de visite qui ont été les nôtres. En l’occurrence, on a fait un voyage de presse, donc les billets ont été payés par la Triennale. On a été logé.e.s sur place pendant deux nuits, billets… heu hôtel qui a également été payé par la Triennale. Et le disclaimer va être encore plus long cette fois-ci, parce que comme vous le savez sans doute, Jeunes Critiques d’Art est assez liée à Artagon depuis plusieurs années. Donc, Artagon étant l’association que coprésident les curateurices de la Triennale, Keimis Henni et Anna Labouze. JCA a un partenariat à l’année avec Artagon, dans lequel nous proposons chaque mois des ateliers. Par ailleurs, j’anime aussi à titre personnel un podcast produit par Artagon et cerise sur le gâteau toustes les membres de JCA seront en résidence à la maison Artagon dans quelques jours. Donc, on s’est longuement interrogé.e.s quant à la possibilité d’élaborer un discours juste et critique sur cet événement. Néanmoins, il nous a semblé qu’il serait dommage de faire l’impasse sur cette Triennale qui est importante dans le paysage de la jeune création contemporaine que nous tentons de suivre de près ici. Et il nous a aussi, parce qu’on en a énormément parlé entre nous et on s’est dit que c’était aussi preuve d’une bonne santé, potentiellement d’une scène, que de réussir à élaborer des discours critiques, même entre personnes qui se connaissent, qui s’apprécient et se soutiennent par ailleurs, depuis plusieurs années. Donc, voilà on va essayer de se démerder avec tout ça et d’être le plus juste possible. Qui veut commencer ? [Elle rit] Samy ?
Samy Lagrange
Je veux bien commencer. J’ai peur que vous ne soyez pas content.e.s.
Camille Bardin
Pourquoi ?
Samy Lagrange
Parce que j’ai peur de faire plutôt du constatatif que du critique. Parce que je trouve quand même, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais que c’est un petit peu dur de prendre du recul et d’avoir une opinion très tranchée sur cet événement. Une triennale, c’est quand même une grosse machine. Là, comme tu commençais à le dire, Camille, on a quand même un rapport particulier à cette Triennale, notamment par sa taille. C’est toujours très difficile de se projeter parce qu’on en a tous les quatre pas du tout l’expérience de la conception et de l’organisation d’un tel événement à portée nationale ou internationale. Et des fois, bah on assume de ne pas pouvoir avoir un regard complet sur ce genre d’événement immense. Là, c’est toujours un de ces grands événements, mais c’est un peu plus proche de nous, c’est un petit peu plus à taille humaine. Et donc du coup, on peut quand même un peu se projeter sur à quoi ça ressemble de concevoir et de… et d’organiser un tel événement. Et même si du coup on a été à attentif.ve.s, qu’on a posé des questions, qu’on a essayé de bien tout comprendre pendant tout le week-end, on a probablement… Il y a encore probablement beaucoup de choses qui nous échappent. Il y a encore des enjeux qui nous dépassent, des paroles qu’on n’a pas entendues. Moi, ce que j’en pense – et j’ai peur que ça soit tiède, vous me dites si c’est trop tiède – c’est que la programmation et la DA de la Triennale, elle est très fidèle à la vision et au travail habituel d’Anna et Keimis. Je me permets de dire Anna et Keimis…
Camille Bardin
Oui, faisons pas semblant.
Samy Lagrange
… Parce qu’en vérité, c’est comme ça que ce duo curatorial est connu dans les scènes artistiques contemporaines. Et donc la scène qu’iels défendent et que soutiennent Anna et Keimis, c’est en ce moment une des scènes dominantes, en tout cas au niveau francilien, selon moi. Donc il y a vraiment l’idée de transposer cette scène, cette vision de l’art contemporain à Nîmes. Et de fait, bah… j’ai l’impression que ça vient pas totalement challenger mon regard. J’ai l’impression de voir à Nîmes, en plus gros, ce que j’aurais pu voir à Paris sur la programmation d’une année ou deux, en tout cas en ce moment. En tout cas, je vois ce que je sais déjà être une scène proclamée sur le territoire national. Donc, effectivement, ce regard hégémonique qui a tendance à faire la pluie et le beau temps, car il n’a pas encore vraiment de compétiteurs qui puissent le concurrencer avec une machine culturelle aussi puissante. C’est tout à fait questionnable et même potentiellement problématique, tout autant que sa transposition en région, qui pose donc des questions. Mais finalement, c’est aussi une vision du monde de l’art bien moins problématique que les précédentes. La DA de Anna et Keimis c’est un regard qu’on peut dire pluriel, inclusif, moderne, plus respectueux envers les acteurices qu’avant. Et c’est sûrement une très bonne nouvelle qu’une Triennale puisse imposer ce modèle à un système qui est encore extrêmement précarisant, élitiste et discriminant. Donc vous voyez, j’ai un peu le cul entre deux chaises. Et puis, j’ai un peu le même problème avec l’organisation de l’événement en soi. Je trouve que c’est super bien calibré à la ville. C’est un événement à taille humaine. Il y en a pour tous les goûts, c’est politique sans être militant. Ça entre en résonance avec les particularismes locaux, tout en tissant des discours beaucoup plus larges. Donc, c’est une recette qui semble assez OK et intelligente, en tout cas, depuis ma position, depuis le recul que j’arrive à prendre. Et puis, c’est aussi un format d’un… qui est un entre deux. C’est un peu entre le festival d’art contemporain et la biennale événementielle. Mais du coup comme tous les entre deux, on ne peut pas s’empêcher de comparer et de tirer soit vers le haut, soit vers le bas. On peut pas s’empêcher de penser qu’à faire quelque chose de plus petit, de moins international qu’une biennale traditionnelle comme Venise ou Lyon, par exemple, on aurait peut-être souhaité une prise de risque un peu plus grande dans la DA, une pensée politique et esthétique un petit peu plus précise et engagée. Et en même temps, on ne peut pas non plus s’empêcher de penser qu’à vouloir concurrencer tout de même de grands événements nationaux, eh ben on peut être un petit peu frustré.e de passer à côté des effets « waouh » qui viennent souvent avec ces événements internationaux, avec des grandes pièces monumentales, par exemple. Je suis bien d’accord que ce n’est pas un super critère, l’effet « waouh. » Mais c’est aussi ça le jeu de la biennale ou de la triennale, habituellement, c’est de faire événement et du coup d’en mettre un petit peu plein les yeux à tout le monde. Bref, vous l’avez compris, quelque part, je reste un peu sur ma fin. J’ai le cul entre deux chaises, mais j’ai quand même l’impression que c’est normal d’avoir cette impression. Parce que ça a l’air d’être une étape, un premier palier un peu obligatoire pour aller dans la bonne direction, du moins celle que j’appelle de mes vœux, celle d’événements culturels internationaux qui soient à la fois respectueux de toustes et engagés.
Camille Bardin
Tu as déjà bien balayé le sujet, Samy. Adèle, tu veux enchaîner ?
Adèle Anstett
Exactement. Je vais surtout rebondir sur quelque chose que Samy a mentionné, c’est la ville et l’inclusion de la Triennale dans la ville. Et pour ça, comme c’était pour moi la première fois que je me rendais à Nîmes et que j’aime bien tout ce qui est potin politique, j’ai fait une petite recherche et je vous propose un mini portrait de Nîmes couleur billet. On a skippé malheureusement le discours du Grand Bal des politiques qui a inauguré l’ouverture de la Triennale et je le regrette un peu a posteriori parce que c’est crousti tout ça. Donc, j’ai ouvert le livret de la biennale [sic] qu’on nous avait donné et l’édito en page 5, donc c’est le premier texte qu’on nous propose, mentionne à la ligne 4 un certain Jean Bousquet, qui n’est pas un parent de notre collabo national homonyme, mais un simple mafioso. Décrit dans le livret comme le « maire iconique de la ville », il fut condamné en première instance à un un an ferme pour abus de biens sociaux, reformé en deux ans avec sursis et « se repose aujourd’hui en Corse avec l’argent », ça c’est le taxi du retour qui nous l’a dit. [Iels rient] Mais en même temps…
Samy Lagrange
Première sur l’info.
Camille Bardin
Tu as croisé tes sources, j’espère.
Adèle Anstett
Walid merci si tu nous écoutes. Mais en même temps, ce texte, il est signé par JP Fournier, le maire actuel de la ville depuis 2001, qui lui est condamné en 2009, puis en appel en 2010 pour prise illégale d’intérêt dans l’affaire dite « du diamant noir. » Au total, à ce jour, ce fameux JP, son palmarès présente deux procès pour corruption et trafic d’influence et un pour prise illégale d’intérêt. Après cette découverte, je me suis demandé si ce climat politique avait pu jouer un rôle sur le discours de la Triennale et notamment les inflexions politiques ou militantes qui auraient pu éclore dans les cartels et la proposition des artistes, dont je sais que certaines et certains d’entre elleux portent certains discours politiques. Et donc, le discours global de cette Triennale, je l’ai trouvé très mis à plat, avec des mots englobants. Or, j’ai fait des petites recherches pour nourrir mon propos et Andrea Bellini, qui est directeur du Centre d’art contemporain de Genève, écrivait ce qui me questionne un petit peu dans le catalogue 2018 de la Biennale de l’image en mouvement : « Dans les circonstances politiques et culturelles actuelles, les curators courent le risque de tomber dans le flou éthique et de se désintégrer dans le désengagement. » Alors oui, j’ai un peu eu l’impression de traverser une fête foraine sans forains et de manger des churroses sans gras, de manquer d’un petit bout, celui qui ajoute à l’expérience et vous fait repartir complètement chamboulé.e. En dehors du protocole, qui, on vous l’expliquera peut-être après, jouait d’un mentorat entre l’artiste dit.e « émergent.e » et l’artiste dit.e « confirmé.e. » Le discours était pour moi trop en surface. Le fil conducteur en termes de réflexion semblait presque absent. Et pour vous expliquer par les mots ce que j’ai ressenti, j’ai choisi quelques termes vagues et uniformes qui agrémentent la note d’intention, page 8 à 11 du livret. Et donc, citation « nous adresser à la jeunesse d’aujourd’hui. » ; autre citation « les grands sujets qui l’animent. » Des généralités qui me mettent personnellement un petit peu à l’aise. Le pompon pour moi étant : « Parler de transmission, une idée civile et importante dans le sud de la France et les cultures méditerranéennes. » Alors, est-ce que plus qu’ailleurs ? Il est question d’une fameuse « double chaîne de transmission » (ça, c’est une citation aussi) dite « intergénérationnelle » depuis, je cite « les héros, les mentors » aux « talents émergeants de différents champs de la création. » Mais ce champ de la création donc est majoritairement marseillais et parisien, puisque sur 25, iels sont 15 Francilien.ne.s, si ce n’est Parisien.ne.s, et sept Marseillais.e.s, le reste des localisations se répartissant au-delà du territoire national. Donc, peut-être qu’il n’y a pas d’artistes à Nîmes. Je n’en sais rien, je ne suis pas Nîmoise. Mais dans ce cas-là, pourquoi insister sur le caractère local et régional de la manifestation qui ne relève que de l’accueil et de la participation des groupes associés et non pas de la proposition artistique ?
Camille Bardin
[Sur un ton tendu] Samuel ?
Samuel Belfond
Une fois n’est pas coutume, je vous trouve super dur.e.s.
Camille Bardin
Ouais, moi aussi, je suis… Ça me rassure. Bon ça va, on est deux teams.
Samuel Belfond
Je pense que tu as raison, Adèle, de repartir du contexte politique, sur le côté un peu livre noir de la politique nimoise des 20 dernières années, dans le sens où, effectivement, c’est sûr que le contexte de la Triennale est indissociable d’une volonté politique derrière.
Camille Bardin
C’est bien d’en parler.
Samuel Belfond
Quand une ville met de manière… Le process s’est fait hyper rapidement. Quand une ville met 1,2 million d’euros, soit 60% du budget d’une manifestation de cette ampleur comme ça sur la table et fait confiance à des commissaires relativement jeunes à l’échelle de l’ampleur de ces manifestations, on peut se poser la question de pourquoi. Ce que disent Anna et Keimis, en l’occurrence sur la volonté politique derrière, elleux leur cahier des charges manifestement c’était d’ancrer une manifestation destinée en premier lieu aux Nîmois et Nîmoises et pas destinée, en tout cas, selon les dires politiques, de développer le tourisme ou même un rapport au marché de l’art ou d’ancrer Nîmes sur le marché de l’art. En ce sens-là, il me semble… Effectivement, vous dites que les propositions sont un peu timides d’un point de vue de l’engagement politique par rapport aux artistes, notamment, qui sont, pour la plupart des émergents et émergentes, relativement enfin très engagé.e.s sur ces questions. Et c’est vrai que ça balaye très large sur les questions féministes, décoloniales, antiracistes et queers, mais dans le sens de venir, entre gros guillemets, « coloniser une ville avec des artistes extérieurs » et de proposer dans des espaces souvent publics, dont les usagers et usagères, les fréquentent au jour le jour depuis plusieurs années. Il me semble qu’il y a aussi une forme de respect dans le fait d’imposer des propositions qui sont certes relativement engagées et parfois peuvent sembler un peu timides en tant qu’insider de l’art contemporain ou militant/militante sur ces questions-là, mais peuvent faire office, si on veut vraiment se faire avocat de ça, de porte d’entrée vers des réflexions à un grand public dont il est parfois ou averti ou pas sur ces questions-là. Dans ce sens-là, il faut peut-être exemplifier. Par exemple, l’exposition jointe de Neïla Szermak Ichti, qui est une artiste d’une trentaine d’années, ancienne résidente d’Artagon à Marseille, et Baya, qui est une peintre algérienne qui est morte il y a quelques années ; Neïla Szermak Ichti, travaillant notamment sur sa question de l’identité diasporique algérienne et un dialogue se fait au Musée des Beaux-Arts à Marseille, à cet endroit-là. Un dialogue qui me semble extrêmement fécond et qui nourrit le regard qu’on peut porter sur les pratiques de ces deux artistes dans un Musée des Beaux-Arts, dont les quelques peintures que j’ai pu voir à côté étaient quand même relativement proches de l’hégémonie patrimoniale française. Il y a quelque chose d’intéressant qui se fait à cet endroit-là. Le film de Rayane Mcirdi également sur cette sorte de retour en vacances au pays natal d’une famille issue, il me semble de première ou deuxième génération diasporique algérienne, dans un cinéma, pour le coup, d’arrêt d’essai, mais qui était relativement très fréquenté pendant la Triennale, est quelque chose d’intéressant et d’accessible à un public assez large. Dans ce sens-là, ça me semble un peu difficile d’aller demander aux commissaires et aux artistes de répondre à un cahier des charges qui fonctionnerait autant pour un public large et non averti nécessairement sur ces sujets qu’aux insiders de l’art contemporain qui sont habitué.e.s justement à voir Donna Haraway et Édouard Glissant cité.e.s dans l’intégralité des textes d’exposition qu’on rencontre aujourd’hui.
Camille Bardin
Ouais ouais. Je te rejoins complètement, Samuel. Moi, j’ai trouvé que c’était assez fou de voir l’énergie en fait de… pour le coup de notre génération. Il y avait vraiment un truc où il y a une vraie proximité entre les artistes et nous, pour le coup en termes d’âge et de référentiel, etc. Et ça m’a… En fait, j’ai été particulièrement émue de voir des artistes que je suis depuis des années prendre de l’espace, faire des propositions qui étaient super solides. Par exemple, je pense à Valentin Noujaïm, que j’ai rencontré alors qu’il commençait ses recherches sur Héliogabale et qui, montre/anime un triptyque de vidéos appelé « Les trois visages d’Héliogabale », qui fait face au masque produit par Ali Cherri, dont la scénographie est franchement à couper le souffle. Et je trouve que c’est là-dessus aussi, tu parlais d’effet « waouh » Samy, bah je trouve que sur certaines scénographies, on l’avait vraiment. Et après, j’ai été aussi scotchée par la proposition de Jeanne Vicerial « Avant de voir le jour » en regard avec Soulages. Franchement, c’était délirant à quel point, même face à Soulages, Jeanne est vraiment loin d’être ridicule. Et j’ai entendu parler de cette expo tout le week-end et je crois que c’est notamment dû au fait qu’il n’est même pas nécessaire d’en savoir grand-chose en fait sur les boulots de l’une comme de l’autre pour se prendre une claque esthétique immense. Et j’ai trouvé que c’était ça qui était aussi assez fort. Et pour avoir lu l’intégralité des cartels, pour le coup, j’ai trouvé qu’iels avaient très bien réussi à avoir cette espèce de… ces différents strates aussi de compréhension. Je pense notamment à Feda Wardak et Tadashi Kawamata, qui se trouvent dans le jardin de la Fontaine, un peu plus haut dans Nîmes, où là, on a vraiment une œuvre in situ qui se déploie, etc. Et en fait, typiquement, cette œuvre-là, je l’ai trouvée… Je trouvais qu’ils avaient vraiment bien réussi l’exercice parce qu’on voit vraiment les boulots des deux artistes se fondre, s’enlacer l’un dans l’autre et en même temps venir choper l’eau de la fontaine du coup pour faire tout un cycle comme ça. Et, je me disais que c’était plein de choses comme ça qui étaient parfois super fines et en même temps très belles. Et surtout, je crois qu’il n’y a pas un seul épisode de Pourvu Qu’iels Soient Douxces dans lequel on le dit que soutenir une scène, c’est pas uniquement l’exposer. Arrêtons de… fin voilà… faire des expositions avec 46 artistes où tout le monde a été payé 150 balles pour trois mois d’expo. Là, en l’occurrence, il me semble que tout le monde a été justement rémunéré.e, qu’il y a eu un vrai accompagnement vraiment intense quoi. Et tout ça me rassure quand même pas mal. Et… J’étais très inquiète en y allant parce que justement, dans la perspective de ce PQSD, je me disais « Mon Dieu, j’espère que ça va être bien parce que sinon, je sais pas comment je vais me démerder. » Et en l’occurrence, vraiment, je me suis pris plein de claques, juste de kiffe esthétique, vraiment. J’ai eu… Ouais j’ai été émue aux larmes parfois. Donc vraiment, j’ai trouvé que c’était quand même une très très belle proposition. Après, évidemment, il y a des… Pour le coup, sur ce qui m’a comme toi, Adèle, dérangé, c’était plus sur le manque de… C’est vrai, d’artistes Nîmois/Nîmoises, sachant qu’il y a les Beaux-Arts de Nîmes qui étaient là à côté. Iels ont ouvert pendant quatre heures leur école le samedi du week-end d’ouverture. Donc, on avait la possibilité d’aller les rencontrer. Iels ont été par ailleurs accompagné.e.s par Andréanne Béguin, curatrice, pour justement penser une espèce de mi-workshop, mi-curation. Et en même temps, je sentais que… Ça s’est fait un peu last minute et je trouvais que ça se sentait un peu malheureusement. Alors même que tout le monde, j’ai l’impression, avait envie aussi de découvrir bah les boulots de ces artistes-là qui sont présent.e.s et qui bossent au quotidien à Nîmes quoi. Samy ?
Samy Lagrange
Je pense qu’on n’est pas en désaccord.
Camille Bardin
Ça va. [Elle sourit]
Samy Lagrange
Je sais pas ce qu’en pense Adèle mais…
Camille Bardin
Adèle hoche la tête.
Samy Lagrange
On a peut-être un peu commencé par la fin parce qu’effectivement, le commentaire de base, genre moi, j’ai… j’ai un très bon week-end. J’ai beaucoup aimé l’expérience. J’ai beaucoup aimé la majorité de ce que j’ai vu. J’ai trouvé ça bien. Je pense que c’est toi, Samuel, pendant le week-end, qui disait que c’était une très bonne copie. Et du coup… Bah tu me fais des gros yeux.
Samuel Belfond
Dans quel sens ?
Samy Lagrange
Que la Triennale était une très bonne copie, elle cochait tout ce qu’on demandait au minimum de faire, ce qui est extrêmement rare dans le microcosme de l’art contemporain et notamment à l’échelle de ces événements nationaux et internationaux. Moi, c’est plutôt une position… Effectivement, j’ai vraiment peut-être commencé par la fin avec un peu une conclusion générale sur cet événement, mais c’est aussi une position, et ça rejoint ce qu’on disait dans le débat juste avant, de pas non ériger en modèle et de dire que c’était parfait, c’était exactement ce qu’il fallait faire. Non, il y a quand même une latitude. Je suis d’accord aussi avec ce que tu as dit, Samuel, sur le positionnement politique qui doit être en résonance avec son public et son inscription territoriale. Et en même temps, il y a forcément quand même encore une latitude. Je pense qu’il y a moyen de faire, par exemple, des cartels de présentation d’exposition qui soient plus précis, plus développés et peut-être de trouver un moyen de parler de politique et de complexité des discours sans les évacuer par des termes, comme le disait Adèle, très flottants et très globalisants. Et donc du coup c’était vraiment juste pour dire ça que ça donne beaucoup d’espoir. Ça va clairement dans la bonne direction. C’est clairement, pour moi, un très bon événement culturel de l’art contemporain. Mais du coup bah c’est plutôt une bonne nouvelle qu’on ne s’arrête pas que sur les critiques et qu’on se dise « mais on pourrait faire tout ça aussi quoi. »
Camille Bardin
Ouais. Adèle ?
Adèle Anstett
Je voulais compléter, effectivement, on n’est pas en désaccord parce que si j’ai certains doutes et certaines réticences par rapport à cet événement, c’est surtout pas relatif ni à la forme des œuvres, ni à leur réalisation, ni aux discours des artistes et à leurs propositions. Où moi aussi, j’ai été touché par certaines réalisations, certaines installations où j’ai trouvé que les artistes avaient réussi par ailleurs à se dépasser dans un contexte où, il faut le dire, la majorité des pièces ont été des productions pour cet événement, ce qui est assez exceptionnel. Mais c’est plutôt sur le fond, le sens de cette Contemporaine sur lequel je m’interroge et du coup, par extension, sur le discours des commissaires. Et si je chipote un petit peu, parce que je chipote, c’est ce que je sais faire [Samy rit], c’est que pour moi, ce type de manifestation dispose de budget et de visibilité privilégiées. Et il me semble donc presque nécessaire que ces espaces puissent proposer une position, un point de vue au-delà de l’exposition physique que ces moments aient la volonté de porter un processus de réflexion, de recherche, d’analyse, d’expérimentation pour profiter de ce type de plateforme exceptionnelle et participer au cheminement de l’art contemporain, ce qui, pour moi, ne va pas à l’encontre de l’ouverture au public parce que on n’a pas… enfin il faut pas penser que proposer un point de vue situé, ça veut forcément dire un point de vue complexe et donc empêcher la visite du public nîmois. C’est juste voilà essayer d’aller un petit peu plus loin de cette proposition qui, effectivement, coche plein de cases. Et moi aussi, j’ai beaucoup aimé cette Triennale. [Elle rit]
Camille Bardin
Mais je trouve pour le coup pour te… Je trouve que l’engagement curatorial à cet endroit-là, il se situe aussi dans le simple soutien aussi aux artistes, dans le fait de pouvoir choper des artistes qui sont… qui ont… qui sont sorti.e.s d’école, pour la plupart il y a cinq ans, on va dire. Approximativement, il y en a qui sont sortis il y a un peu plus longtemps, mais approximativement on est dans ces eaux-là, et de montrer, d’autant plus à un moment où on parle de juste rémunération des artistes auteurices, etc., de montrer que bah en fait quand tu finances ces gens-là, quand tu leur donnes de la thune et du temps, de l’espace et un vrai accompagnement, eh ben en fait iels te sortent des trucs de ouf quoi. Et moi, c’est là-dessus que je trouve qu’il y a un vrai engagement et que l’engagement de Keimis et Anna il se situe je trouve. C’est vraiment de… voilà. C’est vraiment dans le… dans le fait de montrer que dès lors qu’on a un peu une ambition et qu’on s’en donne les moyens, eh bah on arrive quand même à un résultat qui est canonissime quoi. Samuel ?
Samuel Belfond
Oui, dans l’accompagnement des artistes et aussi dans la volonté, en tout cas, affichée des commissaires et qui n’a pas été battu en brèche par les artistes, de mettre en place de nouveaux standards justement d’accompagnement, d’accompagnement aux frais d’honoraires, de production, la mise en place aussi de beaucoup d’ateliers. Parce que chaque projet, il me semble, était lié à un public spécifique de la ville, que ce soit du jeune public, compagnon du devoir, etc. Et Anna et Keimis, pour le coup, semblent toujours très, très, très fort et forte dans la manière de répondre à un cahier des charges. Ce qui, dans le sens contraire, peut être un peu un écueil parfois. Par exemple, ce systématisme de faire travailler avec des publics locaux, ça marche très bien sur certains types de projets. Par exemple, moi, à mon sens, celui d’Aïda Bruyère, qui va travailler avec des enfants pour leur faire faire un récit post-apocalypse, qui essaie de développer une nouvelle norme de genre, etc, ça marche franchement bien. À d’autres endroits, quand tu sens qu’il y a quelque chose d’un peu forcé, ça peut être un peu plus bancal. Moi, à mon sens, la collaboration entre Delphine Dénéréaz, qui est tapissière, et Sonia Chiambretto, qui est poète, qui ont travaillé manifestement les ateliers de poésie avec des collégiens/collégiennes, et qui font des espèces de tapisseries qui sont en guirlande devant la gare de Nîmes. Je trouve que le contenu des textes est un peu faible et que ça fait un peu genre… oeuvre EAC (enfin action culturelle), et que ça s’en ressent un peu. On sent un peu un truc forcé. C’est le deuxième truc. Et parfois aussi, il y a une volonté de répondre un peu à un cahier des charges de l’œuvre dans l’espace public et ça peut devenir un tout petit peu, pour pas dire plus, cringe. (cf. Une œuvre qui me semble vraiment foirée, et notamment à l’aune de son cartel de Caroline Mesquita et Laure Prouvost, qui est une sorte de manège interactif, c’est-à-dire qu’il faut le pousser pour que s’animent des mobiles en son pinacle (j’avais pas de meilleurs mots), et qui, franchement, est un cartel qui t’explique que genre c’est pour renouveler les usages de l’espace public d’une place nîmoise. Là, pour le coup, ça peut passer pour du foutage de gueule.
Camille Bardin
Ah ouais, tu vas jusque-là ?
Samuel Belfond
Ouais, non, mais vraiment.
Camille Bardin
Pourquoi ?
Samuel Belfond
Non, parce que quand tu dis que tu vas réinventer les usages d’une place dont les usagers et usagères ont coutume de l’utiliser avec un manège qui fonctionne à moitié.
Camille Bardin
Oui, mais c’était le week-end d’ouverture, soyons sympa, ça se trouve… Enfin, tu vois, il y a aussi des fois que ça arrive.
Samuel Belfond
Oui, mais même juste le fait de mettre un… Même s’il était complètement fonctionnel, le manège, même dans ce sens-là. C’est pas parce que tu mets une espèce d’attraction au milieu d’une place que tu en réinventes les usages. Là, pour le coup, il y a un truc qui semble assez descendant et qui est plus dans un cahier des charges un peu à la Nuit blanche.
Samy Lagrange
Il faut une œuvre comme ça qui vient souligner l’usage de la ville par les publics locaux. Oui, c’est très cahier des charges.
Camille Bardin
Ouais moi, enfin… Moi, la grosse interrogation que j’ai, mais même depuis le début même de l’annonce de cette Triennale et du fait que Keimis et Anna allaient en être les curateurices, c’est de savoir comment iels allaient par ailleurs gérer la direction artistique des Magasins Généraux, la direction d’Artagon, sachant qu’iels ont désormais trois lieux à Pantin, Marseille et Vitry-aux-Loges. Bref, on a déjà fait un épisode sur le multitasking et le cumul des mandats dans lequel on parlait de tous les écueils que cela impliquait. Je me souviens qu’on avait notamment souligné le risque d’uniformisation des pratiques. On parlait du malaise de certains et certaines artistes qui n’étaient pas dans les petits papiers de celleux qui sont de tous les jurys, de toutes les DA, qui ont en plus des postes importants. Et je crois qu’on rappelait aussi que les journées faisaient 24 heures et que pour cumuler plusieurs activités, il fallait nécessairement se reposer sur d’autres personnes. Alors, quelles lumières du coup prennent-elles, ces personnes-là ? Comment sont-elles payées ? Quelle liberté et marge de manœuvre ont-iels dans leur poste ? J’ai pas du tout de réponse à ces questions et je ne présume de rien du tout. Mais je crois que c’est des endroits où il est nécessaire d’être vigilant et vigilante. Et moi, c’est un peu le premier truc où je me suis dit putain, ça fait quand même beaucoup. Et je me souviens de conversations avec des artistes qui n’avaient rien à voir avec Keimis et Anna, pour le coup, mais sur des personnes, justement, qui ont des postes aussi, qui multiplient aussi ce genre de postes et qui se disaient « mais en fait, je sais même pas si je vais postuler à tel prix parce que je sais que ce type-là, il s’en fout un peu de mon boulot, sauf qu’il est à Montrouge, il est à machin, il est à truc, il gère ceci, il gère cela. Et du coup bon ça sert à rien tu vois. » Et donc ouais, il y a peut-être un petit risque d’uniformisation. Moi, je me suis rendu compte qu’il y avait un.e artiste sur deux que j’avais reçu dans PRÉSENT.E. Enfin, tu vois il y a un peu ce truc-là où c’est des… Bon, je reste en suspens là-dessus.
Samy Lagrange
Oui, mais qui sont présenté.e.s à un public qui ne les connaît pas, pour le coup.
Camille Bardin
Oui, tout à fait. Ah non, mais ça, complètement, complètement. [silence]
Samuel Belfond
Parle, lève-toi et marche !
Camille Bardin
La prochaine intervention…
Samy Lagrange
Ça fait un petit peu parade de fêtes foraines. S’il faut présenter les artistes partout. Enfin, c’est une excuse pour dire qu’on peut transposer notre regard un petit peu partout et l’imposer parce qu’il faut montrer ces artistes qu’on pense être les meilleur.e.s de la scène émergente. Je suis pas à contre, mais c’est pas non plus la réponse à tout. Effectivement, on en revient encore là parce que je suis d’accord, c’est tout bête, mais pour moi aussi, c’est le problème principal. J’aurais voulu découvrir une scène un peu plus locale qui aurait probablement pas démérité quand on donne 20 000 balles de production. Je pense que ça peut… Tout le monde, enfin pas tout le monde, mais de très bon.ne.s artistes avec moins de visibilité peuvent faire des projets qui auraient pas démérité non plus. Mais peut-être qu’on peut faire nos coups de cœur comme Camille pour…
Camille Bardin
Ouais. De toute façon, il faut qu’on termine derrière. Donc, petit tour de coups de cœur. Qui commence ? Adèle ?
Adèle Anstett
Oui ! Alors, il a déjà été cité, ce duo, mais je vais le reciter et en parler un peu plus en détail, peut-être. C’est le duo de… le duo de Valentin Noujaïm et Ali Cherri, deux artistes que, pour le coup, dont je connaissais le travail, que je ne connais pas personnellement, et à la différence des autres artistes que je connais, pour le coup, moins. Et donc je vous propose une rapide description pour celleux qui n’auront pas l’occasion, peut-être, de se rendre sur place. Il s’agit d’une installation disposée dans un espace ouvert, un lieu de passage, où Valentin Noujaïm propose un film tourné au temple de Diane, où la Tristesse, la Folie et le Cynisme, soit Jean qui rit, Jean qui pleure et Jean qui danse, trois masques sculptés par Ali Cherri racontent l’empereur Héliogabale, sa vie, sa mort et son effacement. Donc trois écrans font face aux trois masques d’Ali Chéri, dans lesquels ils se reflètent lorsque les écrans font le noir. Cette installation s’expérimente depuis une passerelle, et moi, avec le vertige, j’ai regardé les films, du coup bah j’ai pas eu le vertige, donc c’est vertige proof. Au-dessus de la fosse de la Rue romaine du Musée de la Romanité. Il s’agissait pour moi donc d’interroger les instances mémorielles, comme disait le poète Élie Yaffa : « Les vainqueurs l’écrivent, les vaincu.e.s racontent l’histoire », au pied du Musée d’Archéologie. Héliogabale a été frappé de damnatio memoriae, ce qui est pour les gens comme moi qui ne connaissais pas ce terme, la pratique post-mortem visant à plonger les impétrant.e.s dans l’oubli et à être progressivement gommés de l’histoire impériale dans la Rome antique. Donc, c’est l’effacement de figures qui ont fait Histoire. Et ça m’a évoqué la question du récit national, la censure, la réécriture de l’histoire et la nécessité de l’esprit critique et des archives, toutes les archives, comme outils pour comprendre nos mondes et faire vivre et survivre et ressusciter même des histoires silenciées ou manipulées. Donc, merci beaucoup à Valentin Noujaïm et Ali Cherri de m’avoir offert ce moment. Voilà.
Camille Bardin
Grave.
Samy Lagrange
En quatre secondes. Pas d’originalité. Valentin Noujaïm et Jeanne Vicerial. [Iels rient]
Camille Bardin
Iels ont un peu tout éclaté quoi.
Samy Lagrange
C’était très beau et très émouvant. Et c’était peut-être pas les commentaires d’ailleurs les plus politiques. C’était des propositions très esthétiques, mais j’ai trouvé ça, pour le coup, j’ai eu un peu mes effets « waouh » à ce moment-là.
Camille Bardin
Hum. Samuel ?
Samuel Belfond
Hyper rapidement aussi, je les ai cité.e.s déjà, mais Neïla Szermak Ichti et Baya, au Musée des Beaux-Arts de Nîmes. Je sais qu’on n’était pas tous et toutes d’accord sur ça, mais j’ai trouvé ça intéressant dans le sens où… Donc Baya, qui est une peintre du XXᵉ siècle algérienne, qui… dont la pratique a été assez vite récupérée par notamment les surréalistes, qui… Elle est très exotisée, parlant de son côté naïf, etc, avec une vision très condescendante et qui aujourd’hui est regardée complètement différemment. Je trouve que la mise en regard avec le travail de Naïla, qui est une pratique du dessin, parfois qui va même jusqu’à être performée sous forme de marionnettes, qui, pareil, peut passer sous ce truc un peu bad painting, qui est un peu lié à la scène marseillaise aujourd’hui. Donc, on peut regarder aussi de manière condescendante. Je trouve que, justement, malheureusement, dans ma connaissance située, pour le coup, j’ai pas une connaissance du contexte, notamment socio-culturel, énorme pour en parler plus que ça, mais je trouvais que, justement, les résonances qui se faisaient entre ces deux travaux qui n’ont rien à voir visuellement, mais finalement, s’enrichissaient, étaient extrêmement bien faite.
Camille Bardin
Hum. Pour ma part… En vrai, j’ai du mal à faire une sélection, notamment parce que je pense que je connais intimement certains et certaines artistes. Non, mais c’est vrai enfin… pour le coup, j’ai été hyper… Du coup, je vais parler d’un artiste que je ne connaissais pas, ou très peu, c’est Alassan Diawara et Zineb Sedira. Je sais pas, c’était assez clivant comme expo. J’ai entendu tout le week-end des gens qui avaient adoré, d’autres qui étaient passés à côté. Et moi, je ne sais pas, j’ai trouvé que l’échange était si juste et tendre. Et je trouve qu’Alassan a une tendresse dans son regard qui rejoignait celui que Zineb Sedira pose aussi sur sa mère, sa fille, etc. J’étais juste ravie aussi de revoir « Mother Tongue », qui est une des plus belles œuvres de ce monde. Donc… Non, non Alassan Diawara et Zineb Sedira. Je pensais pas dire ça, mais je vais finir là-dessus. C’est bon, pas de frustration ? On finit l’épisode. On est excessivement à la bourre. Donc, on vous dit tout de suite à dans un mois avec une autre équipe cette fois-ci. On espère que cet épisode vous a plu. On remercie l’équipe de Projets pour l’accompagnement et on vous souhaite un très bon mois.
Samy Lagrange
Bonsoir.
Camille Bardin
Ciao ciao.