Pourvu Qu’iels Soient Douxces – Saison 3 – Épisode 36
↘ PROJET𝘚

Dans cet épisode, Jeunes Critiques d’Art s’est rendu à l’exposition « On Mass Hysteria » de l’artiste-chercheuse Laia Abril au BAL. Après « On Abortion » et « On Rape », il s’agit du dernier volet de sa trilogie qui explore l’histoire de la misogynie. À travers une recherche visuelle et documentaire, Laia Abril y interroge les mécanismes de contrôle du corps des femmes, en mettant en lumière la façon dont ces violences systémiques ont évolué à travers les époques et les continents.

Débat : Luttes et anxiété : comment gérer ?

Extrait :

« Parce que nous ne sommes pas touxtes égales et égaux dans la lutte. Il nous semble important d’essayer d’identifier les raisons qui peuvent périodiquement ou systématiquement nous éloigner de ces moments de militantisme collectifs et transversaux, et de se demander comment améliorer à la fois nos discours idéologiques, l’accueil, l’inclusion et la protection de touxtes. »

Avec Luce Giorgi, Samy Lagrange, Mathilde Leïchlé et Camille Bardin

« On Mass Hysteria »
Laia Abril
Jusqu’au 18 mai 2025 au BAL

Retranscription : 

[00:00:00.530] – Camille Bardin

Bonjour à toutes et à tous, on est ravi.e.s de vous retrouver pour ce nouvel épisode de Pourvu Qu’iels Soient Douxces. Ce soir au micro de ce studio, quatre membres de Jeunes Critiques d’Art, un collectif d’auteurs et d’autrices libres et indépendant.e.s. Depuis 2015, au sein de JCA, nous tâchons de repenser la critique d’art comme un genre littéraire à part entière et pensons l’écriture comme un engagement politique. Pour Projets, on a souhaité penser un format qui nous permettrait de vous livrer un petit bout de notre intimité, en partageant avec vous les échanges qu’on a officieusement quand on se retrouve. Pourvu Qu’iels Soient Douxces, c’est donc une émission dans laquelle on vous propose un débat autour d’une problématique liée au monde de l’art, puis un échange consacré à une exposition. Aujourd’hui, je suis avec Luce Giorgi.

[00:00:43.490] – Luce Giorgi

Salut !

[00:00:44.330] – Camille Bardin

Samy Lagrange.

[00:00:45.590] – Samy Lagrange

Bonjour, Camille.

[00:00:46.280] – Camille Bardin

Mathilde Leïchlé.

[00:00:47.420] – Mathilde Leïchlé

Bonjour.

[00:00:48.170] – Camille Bardin

Et moi-même, Camille Bardin. Pour ce 36ᵉ épisode de PQSD, nous sommes allé.e.s au BAL qui présente actuellement l’exposition personnelle de Laia Abril intitulée On Mass Hysteria / Une histoire de la misogynie. L’exposition nous est présentée comme je cite : « une lecture visuelle des différentes interprétations mises en œuvre pour tenter d’expliquer ce qui a longtemps été qualifié d’hystérie collective ». Mais avant de discuter de cette exposition qui court jusqu’au 18 mai prochain, nous avons choisi de débattre une fois de plus à partir du mouvement des Cultures en lutte. Vous le savez, depuis deux mois, les travailleureuses de l’art et de la culture s’organisent pour faire front face aux coupes budgétaires, à la réduction de nos droits et à la montée de l’extrême droite. Au sein du collectif, on a donc choisi de consacrer l’ensemble de nos débats à cette lutte. Après avoir parlé de la place que peut prendre ou non la critique négative, à un moment où les structures sont en grande fragilité, après nous être demandé si les médias de l’art étaient tous de droite et si on devait vraiment continuer à faire notre boulot comme si de rien n’était, on a choisi aujourd’hui de parler de militantisme et d’anxiété. Je laisse tout de suite Samy nous en dire un peu plus.

[00:01:55.920] – Samy Lagrange

Merci Camille. Alors oui, comme tu l’as rappelé, à l’heure où nous enregistrons, ça fait presque deux mois que le mouvement Cultures en lutte a débuté. Face aux coupes budgétaires dans le secteur culturel, aux réformes menaçant de précariser davantage les statuts d’intermittent.e.s et d’artistes auteurices et à la fascisation de la sphère politique, les AG, actions, grèves et manifestations se succèdent dans toute la France. Dans ces endroits de revendications collectives iels sont parfois des milliers, parfois des centaines, quelquefois quelques dizaines. Alors que notre nombre et notre solidarité sont des enjeux capitaux pour se faire entendre, il peut être frustrant de constater qu’on n’est pas tous aussi motivé.e.s, pas toustes présent.e.s au rendez-vous. À l’opposé, il est parfois violent de ne pas se sentir entendu.e.s, représenté.e.s ou accueilli.e.es dans ces nouveaux espaces qui émergent. Parce que nous ne sommes pas toustes égales et égaux dans la lutte, il nous semble important d’essayer d’identifier les raisons qui peuvent, périodiquement ou systématiquement, nous éloigner de ces moments de militantisme collectifs et transversaux. Et de se demander comment améliorer à la fois nos discours idéologiques, l’accueil, l’inclusion et la protection de toustes. Comme toutes les luttes sociales, celle-ci est portée et soutenue par des personnes qui ont décidé de s’organiser pour se défendre collectivement. Mais se défendre, c’est toujours se mettre en danger physiquement, psychologiquement, socialement, économiquement ou professionnellement. Un risque à géométrie variable et aux visages très différents, mais un risque qui ralentit nécessairement l’engagement. Bien que ce soit le contexte politique et son appareil de répression des luttes sociales qui soit le premier à exacerber nos divisions et nos fatigues, il nous appartient encore de nous interroger sur nos conditions et fonctionnements internes. Alors comment déplacer l’énergie ailleurs quand on en a à peine assez pour soi-même ? Comment faire grève alors qu’il faut payer les factures et la bouffe ? Comment militer encore quand on n’a pas attendu la révolution pour s’épuiser ? Quand nos identités et nos travaux sont déjà politisés tout le reste de l’année ? Comment y croire encore quand on a fait toutes les autres manifestations et que l’on a vu toutes les luttes les unes après les autres être réprimées, méprisées ou oubliées ? A l’inverse, comment savoir comment faire quand on n’a jamais fait ? Où peut-on acquérir une culture militante ou syndicale ? Comment conjuguer troubles anxieux et neuro-atypie avec les modalités de la lutte collective ? Comment exiger que certains corps racisés, genrés, queer, en situation de handicap s’exposent et se mettent en danger dans l’espace public ? Comment ne pas craindre les violences policières toujours plus banalisées ? Comment trouver sa place ? Se sentir légitime dans un secteur où le sentiment d’appartenance est habituellement ralenti par la compétitivité et l’isolement ? J’ai bien conscience que les questions sont plus nombreuses que les réponses et que l’on ne pourra pas parler à la place de toustes les concerné.e.s. Mais à partir de vos expériences et de vos questionnements personnels, je vous le demande, comment croire aujourd’hui en la lutte collective, même si elle est imparfaite, éreintante et incertaine ?

[00:04:39.330] – Camille Bardin

Hmm hmm. Mais faites pas cette tête, on va y arriver. [iels rient] Qui veut commencer ? Mathilde ou Luce ? Mathilde ?

[00:04:46.710] – Mathilde Leïchlé

Hum. Bah pour commencer, je vais peut-être partir de ma propre expérience. Hum. Déjà, mon expérience des manifs a été très ralentie ces dernières années parce que j’avais justement beaucoup d’anxiété par rapport aux répressions policières et j’avais manifesté contre le CPE au lycée, puis dans les manifs de novembre organisées notamment par NousToutes contre les violences faites aux femmes. Et c’était un peu mes dernières expériences. Et là, avec tout ce qui se passe en ce moment politiquement, j’étais assez accablée et je suis allée donc à la manif du 20 mars à Paris et franchement, c’était vraiment super. C’était un super moment et je pense que c’est important de le dire et de le partager parce que je n’ai pas du tout ressenti cette peur que j’avais pu avoir en appréhendant ce qui allait se passer. Et c’était lié à plusieurs… plusieurs choses. On voyait assez peu les policiers. Il y avait un super service de sécu, avec Camille dedans, et ça c’était hyper badass.

[00:05:57.780] – Camille Bardin

Oui ! 

[00:05:58.320] – Mathilde Leïchlé

Et puis le trajet était était était très agréable, il faisait beau… Enfin. Et puis aussi, manifester avec Cultures en lutte, ça veut dire avoir une super playlist, ça veut dire avoir des supers banderoles. C’est aussi tout un… tout un écosystème dans lequel il fait bon de manifester. Donc j’avais envie de commencer par ça, en fait, par mon retour en manif et par ce que ça a fait pour moi. Parce qu’en fait justement, j’avais ce sentiment d’accablement et le fait de pouvoir hurler à plusieurs, plein de… plein de choses, plein d’idées et puis plein de choses aussi tournées vers le futur. Ça, ça m’a fait beaucoup de bien.

[00:06:38.910] – Camille Bardin

Trop bien de commencer aussi par là. Luce ?

[00:06:42.780] – Luce Giorgi

Ouais, pour poursuivre sur un sentiment joyeux, moi, le milieu du militantisme actuel pour les Cultures en lutte m’apporte beaucoup de joie militante, m’apporte beaucoup d’énergie aussi. Je pense qu’on essaye chacun/chacune de trouver des endroits qui nous conviennent. Et moi c’est un endroit qui me qui me convient beaucoup pour ça. Je pense que ça apporte beaucoup d’énergie de se rendre compte qu’on n’est pas seul.e justement, contrairement à ce qu’on nous fait croire dans notre monde professionnel, qu’on peut partager des expériences similaires, mais aussi on peut partager des solutions. On peut être aussi beaucoup dans l’écoute. Et ce que j’apprécie beaucoup dans ce mouvement, c’est que on est intersectoriel, donc on n’est pas qu’avec des gens de l’art contemporain, on est aussi avec des intermittents/intermittentes du spectacle, il y a des… le milieu associatif qui nous rejoint. On essaye de créer aussi des liens avec d’autres secteurs, avec des associations antiracistes, avec… tout ce… tout ce milieu-là associatif, tout ce tissu associatif. Et ça, je trouve ça très encourageant. Je trouve qu’on a beaucoup à apprendre les uns, les unes des autres. C’est un… C’est un milieu qui est pour moi très riche à ce niveau-là, des expériences d’écoute et de… et de joie partagée, même s’il y a… Il ne faut pas non plus être dans la naïveté, il y a aussi énormément de problématiques qu’on pourrait soulever par la suite. Mais… Mais je pense que c’est important de parler de ça en premier, en tout cas. De dire que c’est aussi un endroit dans lequel on peut se ressourcer, dans lequel on peut se sentir écouté.e, dans lequel on peut prendre la parole. Ce sont des endroits qui nous autorisent ça. Et je parle en AG au moment des plénières où chacun/chacune peut lever la main, s’exprimer et partager une expérience individuelle ou partager des convictions politiques. Il y a… Il n’y a pas de distinctions qui sont faites. D’ailleurs, on ne va pas… Enfin, chaque prise de parole se vaut. Ces enjeux-là réflexifs, ils sont aussi hyper précieux. Je suis ravie d’apprendre d’autant plus sur l’histoire, par exemple de l’intermittence, de savoir comment nos collègues et camarades ont lutté pour pouvoir l’obtenir et comment nous, on peut aussi s’inspirer d’elleux pour pouvoir justement mettre en œuvre une forme d’intermittence pour les artistes auteurices qui est, je le rappelle, la proposition de loi pour une continuité des revenus et qui serait… qui serait génial qu’on puisse… qu’on puisse avoir. Et je pense que savoir aussi nos revendications, les nommer, c’est quelque chose d’encourageant.

[00:09:29.420] – Camille Bardin

Complètement. Je te rejoins complètement. Je vais aussi faire quelques minutes pour commencer sur ce qu’il y a de positif, parce que j’avoue que ça m’en apporte beaucoup des choses positives depuis le début du mouvement. Je te rejoins Luce sur ce point-là. Il y a… En fait, faire partie de Cultures en lutte, je trouve que c’est aussi un bel endroit de formation et d’apprentissage, autant quant aux actions militantes que à toutes… d’un point de vue théorique aussi, j’ai l’impression d’avoir appris mille et une choses depuis le début du mouvement. Et ça c’est vraiment hyper réjouissant. Enfin, on sent vraiment que ton corps est en mouvement, mais ton cerveau est aussi en ébullition et ça c’est hyper agréable. Après il faut aussi dire que tu parlais des plénières pendant les AG, mais il y a aussi en fait… Toi, tu es basée à Marseille – peut-être qu’on peut le dire – et nous trois, Samy, Mathilde et moi, on est à Paris. Donc moi j’ai pas vu les AG à Marseille, j’ai fait que celles de Paris. Mais du coup… Sans doute que c’est un peu la même chose, mais comme ça on pose un peu le cadre aussi. En l’occurrence, en fait, on est aussi divisé.e.s en commissions. Donc il y a les plénières où il y a tout le monde en AG, mais après on s’est réparti.e.s en groupes de travail. Donc il y a la commission action, la commission pancarte, la commission communication, la commission ALS, donc tout ce qui est sécurité en manif, animations en manif, etc. Enfin bon bref, voilà. Et du coup, c’est aussi un moment où il y a beaucoup de personnes qui se disaient aussi craintives à l’idée de… bah d’arriver face à une multitude de personnes. Et en fait, les commissions, c’est aussi un moment où on se retrouve en plus petit groupe et aussi avec des personnes qui sont peut-être… qui ont les mêmes skills que nous ou qui sont… Enfin voilà qui ont des appétences un peu similaires. Et du coup c’est aussi un endroit de création de liens d’amitié en fait. Enfin, moi j’ai rencontré là une trentaine de personnes et… Un petit groupe d’une trentaine de personnes qui sont un peu le le noyau dur on va dire, du mouvement. Et en fait, c’est ultra agréable parce que c’est des amitiés intersectorielles comme tu me disais, j’ai jamais autant traîné avec des théâtreuxses, des régisseureuses, etc. Mais c’est aussi des amitiés intergénérationnelles. Et ça c’est trop cool. Enfin de pouvoir discuter aussi avec des vieux de la vieille avec qui, en fait, le lien est parfois rompu quoi. Et… Et ça, c’est vraiment trop trop chouette je dois dire. Mais ça m’a aussi amené à un autre truc. Un des premiers points un peu négatif que j’ai eu en tête, c’est la question de la FOMO, en fait, la peur de manquer quelque chose. C’est que du coup, moi, assez vite, je me suis dit que j’allais m’engager un peu corps et âme dans ce mouvement-là, aussi parce que j’avais peur de louper le coche et qu’à un moment donné, si j’arrivais quinze jours, trois semaines, un mois après que ça ait commencé, bah en fait, j’allais pas avoir les ref, j’allais pas connaître les gens. J’avais peur un peu d’être esseulée comme ça en arrivant en cours de route. Donc dès la première AG, j’ai voulu un peu mettre les mains dans le cambouis. Et donc j’ai fait pas mal d’actions, de trucs. Mais par exemple, là, je sors d’une semaine et demi où j’étais dans un rush professionnel où vraiment, bah en fait j’avais pas la possibilité d’aller en réunion. J’ai fait l’AG mais c’est tout… Et non, j’ai loupé une AG parce que j’étais en déplacement professionnel. Et en fait, quand je suis allée à la suivante, j’avais l’impression que je ne faisais plus partie du mouvement quoi. Enfin, j’étais en mode j’ai plus…

[00:12:37.886] – Samy Lagrange

Social traitre. 

[00:12:38.480] – Camille Bardin

Ah ouais, vraiment. Il y a les camarades qui me posaient des questions en mode : « Ouais… » Surtout qu’on parle beaucoup en nom de code, etc. Donc en fait, du coup, j’étais en mode : « Mais merde, je sais plus rien, je suis… Ça y est, genre j’ai plus de copain/copine » [sur un ton larmoyant]. Genre c’était… C’était vraiment… J’étais… J’étais dans une culpabilité immense aussi parce que voilà, j’avais l’impression d’avoir un peu trahi le truc. Et ce qui est évidemment faux. Et ce qui est super, c’est que j’ai pu aussi en parler en fait à mes camarades et leur dire : « Bah voilà, je suis désolée, j’ai pas pu être là, je suis… » Et en fait je me suis rendu compte qu’on était un peu toutes et tous comme ça quoi. Enfin en fait on peut pas… Ça fait deux mois que la lutte a commencé, on peut pas être là partout, tout le temps. Et c’est pas souhaitable non plus parce qu’en fait c’est comme ça aussi qu’on tend vers le burn out militant en fait. C’est qu’on est tous et toutes à avoir des boulots hyper prenant. Enfin moi je saute tous mes dimanches depuis X semaines donc c’est normal à un moment donné de ne pas pouvoir tout faire. Et donc c’est là aussi où la camaraderie fonctionne, c’est que dès lors qu’on commence à parler aussi de ces endroits de crainte, de culpabilité, etc. Les autres viennent aussi nous rassurer et même nous dire : « Attention, la FOMO c’est jamais bon parce que c’est là où tu te crames aussi quoi ». Donc voilà un peu… les endroits d’anxiété, le premier que j’ai vu, c’est un peu celui ci ces dernières semaines. Samy ?

[00:13:56.730] – Samy Lagrange

Heu bah je suis absolument d’accord avec ce que vous avez énoncé toutes les trois. Je ne l’ai pas dit en introduction, mais pour bien préciser qu’évidemment on ne se place pas en donneureuse de leçons de morale ou encore moins en parangon de la vertu militante. Très loin de là.

[00:14:11.754] – Camille Bardin

Ouais vraiment pas. 

[00:14:11.970] – Samy Lagrange

Et surtout que nos engagements sont finalement assez similaires politiquement, mais aussi très hétérogènes dans comment ils se matérialisent. Et c’est un peu là ce qu’on défend, c’est qu’il y a plein de façons de pouvoir partager, de pouvoir participer aux luttes sociales et tout ce qu’on essaye de faire, c’est des allers-retours entre nos expériences lorsqu’on rejoint ces endroits de luttes et nos ressentis potentiellement anxieux lorsqu’on ne les rejoint pas pour comprendre ce qui peut un peu coincer des deux côtés. Donc oui, je rejoins tout à fait vos expériences. Je pense qu’on a à peu près le même parcours militant Mathilde avec, sinon une pause dans la vingtaine, en tout cas une transformation de notre militantisme. Moi aussi, entre les révolutions estudiantines du tout début des années 2010 et les… les manifestations contre les violences sexistes et sexuelles. En tout cas, mon militantisme avait changé d’endroit et je le plaçais plutôt dans ce que je faisais et ce que j’incarnais professionnellement ou alors socialement. Ce qui est une autre façon aussi de lutter quelque part sur le… sur le temps long. Et effectivement, le fait de revenir en AG, cette première AG, je vous rejoins Lucie et Camille, c’était hyper exaltant effectivement de se sentir réuni.e.s de avec ce prisme multisectoriel. Parce que moi j’arrêtais pas de penser que pratiquement l’intégralité de nos conversations quand on rejoint des gens qui font à peu près le même travail que nous, alors que ce soit des professionnel.le.s de l’art et de la culture ou des artistes, on fait à peu près la même chose. Et pourtant nos réalités concrètes sont tellement différentes qu’on n’arrive jamais à résonner totalement les un.e.s avec les autres et que là, pour une fois, l’oppression était telle sur tout le monde dans le monde de la culture, que même entre intermittent.e.s et artistes auteurices ou autres entrepreneureuses du monde de la culture, on n’avait plus de points communs, que de différences à cause de cette oppression socio-politique. Et c’était très exaltant. Et moi j’avais vraiment l’impression… J’entends beaucoup de gens dire qu’iels ont vraiment l’anxiété d’aller en AG particulièrement parce que je pense que le mot peut faire un petit peu peur. Alors qu’effectivement, en sautant le pas dès la première AG, comme on l’a fait ensemble Camille, moi j’ai trouvé que c’était justement un endroit qui générait finalement assez peu d’anxiété, moi qui en ai beaucoup. Parce que tu peux être très anonyme, on ne te demande rien, tu n’as qu’à écouter au milieu d’une masse ou finalement tu vois que les gens ne se connaissent pas tant que ça, surtout aux premières AG. Et surtout, il y avait… il y avait cette idée de venir récolter le savoir. C’est un savoir qui est disponible partout. Par contre, si tu ne vas pas le chercher, il arrive très difficilement à toi. Et là j’avais l’impression qu’on m’avait fait une…

[00:16:47.770] – Camille Bardin

On te branche.

[00:16:48.070] – Samy Lagrange

… une masterclass. On m’avait branché à l’actualité militante spécifique de notre domaine pendant 2h et en plus d’un point de vue collectif et participatif. Donc c’était absolument fou. J’avais l’impression que c’était… Je ne sais pas, les premiers parlements du Moyen-Âge. C’était waouh ! [Camille rit] Il y a quelque chose qui m’a un peu dépassé. C’est une très longue introduction sur sur le positif pour dire que je vous rejoins. Je voudrais quand même parler de problèmes potentiellement un peu plus structurels qui nous éloignent un peu des luttes.

[00:17:18.133] – Camille Bardin

Ouais allons-y ! 

[00:17:18.160] – Samy Lagrange

C’est quelque chose qui se dit beaucoup en AG, en tout cas que j’ai beaucoup entendu en AG, c’est que « À gauche, on est toujours en retard ». Je pense que c’est tout à fait vrai dans le sens où on est constamment piégé.e.s dans un mécanisme de réponse d’urgence. On nous impose quelque chose politiquement et on doit répondre, autant sur des réformes concrètes que sur des visions globales de la société. Et en fait, on passe notre temps à devoir contredire, riposter, au lieu de mettre notre énergie à imposer de nouveaux imaginaires et de mettre en place des programmes plus idéaux. Souvent, on est condamné.e.s à demander le retrait d’une réforme sans avoir vraiment la latitude pour exiger une réforme opposée. Et c’est le même schéma selon moi dans notre organisation, en étant piégé.e.s dans une économie précaire la majeure partie du temps, on n’a pas le temps de se préparer lorsqu’il devient urgent de répondre. Donc, la majeure partie d’entre nous se mobilise finalement au moment où il est presque déjà trop tard et au moment où on a déjà l’impression de ne plus avoir le temps de se préparer ou de s’organiser convenablement, où l’action immédiate prend le pas sur la réflexion dense et particulièrement l’auto-réflexion. Et je trouve ça hyper normal en vrai comme réaction. Mais pourtant je pense qu’on ne peut plus vraiment faire aujourd’hui l’économie de cette réflexion sur nos conditions et nos fonctionnements internes, que ce soit la mémoire des luttes passées, l’étude de notre environnement socio-professionnel actuel ou la mise en place d’outils. Alors bien sûr, tout ça, ça existe déjà dans une certaine mesure grâce au travail syndical et des différents groupes militants. Mais les quelques questions que je soulevais en intro montrent bien qu’il y a quand même encore un besoin à la fois de mettre en commun les outils préexistants et de se confronter à de nouvelles problématiques qui se posaient moins frontalement – pas qu’elles n’existaient pas, mais de… ou… qu’on interrogeait moins dans le passé.

[00:19:06.530] – Camille Bardin

Je réponds très rapidement à ce que tu viens de dire, parce que en même temps j’ai presque envie d’aller contre ça, parce que…

[00:19:13.448] – Samy Lagrange

Allez-y donc madame. 

[00:19:13.790] – Camille Bardin

Il y a plein de moments, en fait, où stratégiquement on s’est dit qu’il y avait déjà du savoir qui était créé et qu’en fait on n’allait pas s’épuiser à répéter inlassablement les mêmes choses. Par exemple, quand je pense à… de manière très concrète, le rendez-vous qu’on a eu au ministère avec l’intersyndicale pour faire remonter nos revendications. En fait, la stratégie qu’on a décidé d’adopter à ce moment-là, c’était de ne pas redire nos revendications. D’arriver en disant « Bah du coup, on vous écoute ». Enfin, en fait, les revendications, on les répète en boucle. « Vous les avez. » et la preuve, iels nous ont… Iels les avaient écrites face à elleux, tu vois. Et du coup, l’idée c’était de se dire « Mais en fait, on ne va pas préparer la réunion pour dire : « Alors déjà, qu’est-ce qu’on revendique ? » En fait, tout le monde le sait. Et du coup, l’idée c’était vraiment de dire : « Bon bah maintenant qu’est-ce qu’il en est quoi ? » Mais même quand il s’agit à d’autres niveaux, par exemple, juste d’écrire un post Instagram, de reprendre ce qui a déjà été produit par les syndicats, par les militant.e.s, et de ne pas s’épuiser inlassablement, encore une fois, à recréer des choses ex nihilo comme ça, je trouve que c’est aussi une bonne manière de ne pas s’épuiser quoi. Luce ? 

[00:20:17.790] – Luce Giorgi

Oui, et puis en fait, j’entends tout à fait cette remarque de l’urgence, la difficulté à se mobiliser, etc. Et en même temps, ça fait quand même plusieurs années que des syndicats existent, que des collectifs militants existent et questionnent ces problématiques-là, qu’on… Il y a une volonté vraiment très prégnante dans nos secteurs de repenser le travail dans sa globalité et… et pas juste de faire comme si de rien n’était, d’acquérir soi-disant des nouveaux privilèges avec par exemple la continuité des revenus. Non, en fait c’est repenser le travail en tant que tel, tout le système qui va avec. Et je pense que c’est important aussi de le redire. Il y a quand même ces données-là qui existent, qui ont déjà été pensées, qui ont déjà été rassemblées sur des sites internet, qui ont déjà été rassemblées auprès de formations. Les artistes auteurices on s’auto-forme pour ensuite faire des formations à des gens qui devraient être formé.e.s.

[00:21:21.260] – Samy Lagrange

C’est un système pyramidal. C’est juste une arnarque ! 

[00:21:22.490] – Luce Giorgi

C’est juste l’inverse quoi c’est… voilà. [iels rient] Et en fait, je pense que la problématique pour moi, elle se situe pas là. Elle se situe de justement ce que tu disais Camille, c’est que nos interlocuteurs et nos interlocutrices n’y connaissent rien, ne connaissent pas du tout notre statut, ne connaissent pas du tout nos problématiques, ne connaissent pas du tout nos conditions de travail et les réalités de ce qu’on vit, en fait, au quotidien. Et… Et je pense que c’est plutôt là la difficulté, parce que je vais dire le collectif La Buse va dans les écoles d’art, continue à faire des formations, le STAA a été créé en 2020 qui s’ajoute au Snap CGT. Il y a quand même beaucoup de syndicats qui commencent aussi à…

[00:22:06.620] – Camille Bardin

Sud Solidaires.

[00:22:07.490] – Luce Giorgi

Avec Sud Solidaires bien évidemment, mais il y a beaucoup de syndicats qui… qui quand même sont tournés autour… autour de nos activités, de nos secteurs, qui essayent de rassembler aussi avec le milieu des auteurs et des autrices, des traducteurices. Voilà. Donc je pense qu’il y a… les choses, elles sont faites, elles sont portées des fois, en effet, par un petit nombre, mais qui ne cesse de grandir et de faire des bébés, ce qui est super, mais… Mais voilà, je pense que c’est important de se de se rappeler ça. Les choses elles sont déjà là, on peut déjà s’en saisir. 

[00:22:37.380] – Camille Bardin

Et que finalement aujourd’hui on est dans la mise en action de tout ce qu’on énonce depuis X années je trouve.

[00:22:43.650] – Luce Giorgi

Exactement.

[00:22:43.860] – Camille Bardin

Samy ? 

[00:22:44.280] – Samy Lagrange

Alors, je suis tout à fait d’accord avec votre élan d’optimisme et votre foi envers le militantisme et le syndicalisme. Alors certes, le problème c’est… c’est nos opposants politiques et… plus que… plus que nous-mêmes. Et certes, ces outils existent, certes, cette culture existe, certes, elle est diffusée par plein de canaux différents. Malgré ça, le constat est que on n’est pas tant à savoir s’en saisir. Et si on regarde… Enfin, je pense que… Moi, là on parle d’expérience, de… de frustration qu’il y a eu pendant ces AG, et notamment de cette question de se dire : « Oui, ces outils existent et nous, on connaît plein de gens qui partagent nos opinions politiques et nos revendications, pourtant, 80 % de ces personnes ne sont pas là. Pourquoi ? » Donc ça veut dire quand même que la diffusion de ces outils et de cette culture et… ou en tout cas la médiatisation de qu’est une lutte, que tu appelles toi « la mise en action d’outils précédemment mis en place », bah ne parle pas, ne résonne pas avec toutes ces personnes-là. Et donc du coup, il faut admettre qu’il y a forcément un problème ici. Et c’est un peu ça qu’on est en train d’adresser dans ce podcast, de se dire genre : « Est-ce qu’il y aurait… » On n’aborde qu’un seul problème qui serait les problèmes d’anxiété ou… ou du fait de ne pas se sentir en phase avec ce type de lutte. Et donc je pense qu’il faut juste déjà qu’on acte ça et qu’on essaye de trouver… Enfin pas de trouver des… 

[00:24:19.160] – Camille Bardin

Non mais parlons-en. Mathilde ? 

[00:24:20.720] – Mathilde Leïchlé

Oui alors déjà ce que tu as dit Samy sur ce qui est… ce qui est dit… diffusé en AG, pour moi ça a été aussi un moment très important. Déjà, j’ai eu la même expérience que toi, même si je suis venue un peu plus tard dans les AG. Et pourtant, même s’il y avait déjà eu plusieurs AG de passées, j’ai tout de suite compris toutes les données sans que… Enfin, juste en y assistant et en écoutant et parce que c’était très… la pédagogie était très efficace. Et il y avait cette idée de lutter contre, mais surtout de lutter pour. Et d’arrêter ce que tu disais, de toujours réagir pour préserver les acquis, mais de se dire : « En fait, qu’est-ce qu’on veut vraiment ? Qu’est-ce que… Si on… Si on fait abstraction de tout ça, qu’est-ce que ce serait l’idéal pour nous ? » Et je pense que repartir dans cette dimension de l’ordre de l’imaginaire, de l’utopie qui peut être concrète aussi, c’est ce qui est… C’est ce qu’il y a de plus stimulant et ce qui crée l’élan pour… pour y aller quoi. Et ensuite, il y a plusieurs choses dont je voulais parler. D’abord le fait de sauter le… de sauter le pas.

[00:25:32.620] – Camille Bardin

Ouais. Je pense que c’est le plus important.

[00:25:35.530] – Mathilde Leïchlé

Moi, ce qui m’a donné envie de faire ça, déjà, c’est de vous voir toustes très engagé.e.s dans le mouvement. Et je pense que c’est, c’est une donnée importante de se dire que c’est important de faire équipe aussi. Donc soit d’y aller avec des gens que vous connaissez déjà et d’être primo-arrivant.e.s ensemble, soit de contacter des personnes que vous connaissez et que vous savez déjà engagées pour y aller avec elleux. Ou alors de rentrer en contact avec des gens que vous voyez diffuser des choses sur les réseaux sociaux et de leur poser les questions très simplement, et tout le monde sera très heureuxses de vous répondre.

[00:26:09.826] – Camille Bardin

Il n’y a pas de questions bêtes. 

[00:26:10.420] – Mathilde Leïchlé

Il n’y a aucune question bête. Et franchement, on commence toustes quelque part et… Et voilà. Enfin c’était… C’était ça que je voulais souligner aussi. Sur le FOMO dont tu parlais Camille, je pense qu’en effet, c’est quelque chose qu’on observe hyper souvent dans les milieux militants, et d’autant plus quand la lutte est aussi… est aussi physique, enfin implique aussi une démarche dans l’espace public, un engagement du corps quoi. Et je pense que à l’inverse… Oui, c’est ça, en fait, ce FOMO, c’est intéressant de voir que toi tu le vis, mais à plein de niveaux d’engagement très différents et beaucoup moins importants que le tien, on le vit aussi quoi. Et donc à mon sens – mais je ne sais pas si vous… si vous serez d’accord avec ça, mais je pense que c’est important de dire qu’il n’y a pas vraiment de hiérarchie de l’engagement en fait. Il n’y a pas de bonne… Il n’y a pas de mauvaise manière de s’engager surtout. Il y a plein de bonnes manières de s’engager mais il n’y a pas de mauvaise manière de s’engager et ça peut être une AG de temps en temps, ça peut être une manif si vous avez des copaines qui y vont, ça peut être une banderole super… super drôle qui égayera tout le monde pendant la manif. Enfin, j’ai vraiment… c’est vraiment ce sentiment… Ce sentiment-là que j’ai et que j’essaye aussi d’intégrer pour pour moi-même. Voilà.

[00:27:33.020] – Camille Bardin

Beh je te rejoins complètement, j’ai envie de rebondir sur absolument tout ce que tu as dit Mathilde. Parce que… Bon, déjà sur la question de l’accueil, parce que ça a été un gros sujet en AG, parce qu’on a bien compris qu’il y avait des personnes qui étaient un peu craintives à l’idée de… d’arriver comme ça et qui avaient un peu ce fantasme, peut-être d’arriver et que tout le monde allait se connaître et que tu arrives devant 500 personnes et tout le monde se check et toi t’es là genre [mal à l’aise]. Et de reproduire en fait des violences qu’on vit déjà en vernissage tout simplement. Du coup, il y a des choses qui ont été pensées. Par exemple, on a mis… Du coup, une fois ce constat fait, on a décidé de mettre en place une commission accueil – comme quoi il y a vraiment beaucoup de commissions – et donc cette commission accueil-là, vraiment est à l’entrée des AG, et dès qu’il y a une personne qui rentre dit : « Coucou ! Est-ce que c’est ta première AG ? Si c’est ta deuxième, cinquième, dixième AG (bientôt), est-ce que tu as des questions ? etc. » Et en fait c’était trop cool de voir que les gens avaient l’air hyper contents/contentes en fait, même pour celleux qui étaient déjà venu.e.s de pouvoir juste en savoir un peu plus, etc. Donc ça, ça a été mis en place. Et même pour les manifs, en fait, est remonté aussi le fait qu’il y avait des personnes qui étaient anxieuses à l’idée d’aller en manif parce que pas de potes ou je sais pas, enfin ça arrive, voilà. Et du coup pareil, cette commission accueil s’est mise aussi en manif, un petit coin en mode : « Bah écoutez, si vous êtes solo etc. bah en fait on fait un petit groupe de de manifestants/manifestantes qui peut manifester ensemble quoi ». Donc ça c’était pour ce qui était des des choses mises en place pour l’accueil. Et ensuite, je te rejoins complètement Mathilde, en fait, on a besoin de tout le monde dans cette lutte, dans celle-ci et les autres par ailleurs. Et en fait quand je dis tout le monde, c’est des plus timides et plus anxieuxses aux plus aguerri.e.s. En fait, c’est-à-dire que militer, c’est pas simplement aller brûler des caisses enfin tu vois ou aller caillasser des flics. En fait, vraiment, il y a différentes échelles… différentes échelles d’engagement et tout le monde ne peut pas tout faire et tout le monde n’a pas envie de tout faire. C’est-à-dire que celles et ceux qui sont les plus chauds et les plus tête brûlée, en fait, iels auraient le seum de devoir se mettre plus en retrait ou de faire… ou de devoir faire d’autres choses. Par exemple, de manière très concrète, par exemple quand il y a une action, on aurait besoin de personnes pour garder les téléphones. Encore une fois, la tête brûlée, elle a un peu les boules de ne pas être à l’action et de devoir garder les téléphones. Une personne, tu vois qui… qui aurait à l’inverse plus de stress à l’idée de faire… faire une action, elle peut complètement faire ça. On a aussi besoin de personnes dans la legal team, on a besoin de personnes qui font du phoning, vous pouvez aussi garder des enfants pour les personnes qui vont en manif. En fait, il y a tout, tout, tout, tout, tout un champ d’actions hyper large qui permet de… mais même faire des sto… Enfin, je ne sais pas. Après ça ne suffit pas tu vois non plus. Mais faire une story, etc. ou contacter des gens, contacter des journalistes. Enfin, en fait, il y a plein, plein plein, plein, plein de choses qui peuvent être faites. Et depuis son lit, comme depuis la première ligne en manif quoi. Et du coup, je pense que c’est hyper important, quand bien même vous soyez anxieuxse ou quoi, ce qui m’arrive aussi, de… aussi de lever la main et de dire : « Bah voilà, moi c’est ça mes conditions de vie, d’existence psychologique, physique, qu’est-ce que je peux faire à partir de ça ? » Et en fait, il y aura forcément un truc que vous pourrez faire à partir de ça, j’en suis sûre. Luce ? 

[00:30:54.740] – Luce Giorgi

Ouais, ben je te rejoins totalement. Il y a vraiment… Enfin je vous rejoins toutes les deux totalement. Il y a mille manières de militer, il y a mille manières de prendre part à la lutte. Je suis un peu crispée quand j’entends la comparaison avec les vernissages, parce que pour moi ça n’a rien à voir, on n’est pas du tout dans…

[00:31:14.150] – Camille Bardin

Oui mais c’est des projections qui sont faites, je te rejoins complètement. 

[00:31:15.380] – Luce Giorgi

Oui bien sûr. Mais c’est vrai qu’on n’est pas du tout dans les mêmes dynamiques, on n’est pas du tout dans les… Voilà. C’est pas du tout les mêmes cercles.

[00:31:23.450] – Camille Bardin

Il n’y a pas de camaraderie en vernissages je dirais. [elle rit] 

[00:31:24.950] – Luce Giorgi

Voilà. Et on se regarde beaucoup. Contrairement à… Il y a d’autres problématiques qui pourraient être soulevées dans le milieu militant, avec par exemple les syndicats, où quand on fait partie ou pas d’un syndicat, il y a des… Il y a d’autres données qui rentrent en compte. On peut… Potentiellement, on peut aussi souffrir de ça quand on est non syndiqué.e et être face qu’à des… qu’avec des gens qui sont syndiqué.e.s. Ça c’est certain. Mais c’est pas du tout les mêmes dynamiques. Et c’est vrai que pour moi c’est important quand même de le rappeler. Non, en fait on n’est pas… On n’est pas dans un vernissage quoi. On lutte pour le collectif, on lutte pas pour… Et justement, en fait, c’est peut-être une des réponses qui pour moi est… est peut-être à soulever par rapport à ce que tu posais comme question Samy, c’est pourquoi on n’arrive pas à faire en sorte que les gens viennent. Peut-être parce qu’on est trop ancré.e dans ce système d’individualisation, d’atomisation du secteur où on est encore trop dans cette dynamique-là de vernissage justement en pensant qu’on va dans une AG comme dans un vernissage pour se montrer. Alors que non, en fait, on ne vient pas pour se montrer, on ne vient pas avec notre étiquette de critique d’art ou quoi que ce soit. On peut venir avec nos compétences, on peut venir avec notre vécu, ça c’est certain. Mais on ne vient pas pour écrire des textes sur les artistes. On vient pour rencontrer des camarades, on vient pour parler de la lutte, on vient pour aussi amener de la joie dans cette lutte-là. Et je pense que c’est important. Nous, à Marseille, on voit qu’il y a des difficultés à rameuter du monde. On a ces difficultés-là à faire en sorte qu’il y ait beaucoup de gens en AG. Au début, on était… On était pas mal et puis ça s’est…

[00:33:07.673] – Camille Bardin

Ça s’étiole. 

[00:33:08.510] – Luce Giorgi

Voilà, ça s’étiole, le mouvement s’épuise, même si on reste quand même un groupe, un petit peu toujours les mêmes qu’on va recroiser, évidemment. Mais c’est important de faire envie aussi je pense, et de dire que : « Ben non, en fait, on peut aussi faire des… » Par exemple, là, pour le… pour la journée du 10, il y a un pique nique qui a été organisé. C’est un moment qui… qui devait être joyeux. Alors moi je n’y étais pas malheureusement, mais avec justement le fait de faire des banderoles, le fait de discuter, d’être dans un cadre un peu plus justement tranquille, on a évoqué l’idée, il est vrai, de faire une AG sur la plage. Voilà. [iels rient]

[00:33:49.580] – Camille Bardin

On en attendait pas moins vous.

[00:33:50.930] – Mathilde Leïchlé

Il ne faut pas bouder son plaisir.

[00:33:52.790] – Samy Lagrange

Vivement Paris plage pour enfin être compétitif !

[00:33:56.240] – Luce Giorgi

Tu parles ! Hâte de voir vos maillots ! [iels rient] 

[00:34:01.460] – Camille Bardin

Samy ?

[00:34:02.750] – Samy Lagrange

Bon.

[00:34:04.010] – Camille Bardin

Aïe aïe aïe !

[00:34:04.460] – Samy Lagrange

Je suis d’accord avec vous sur l’optimisme, le positivisme et surtout sur l’importance de donner envie.

[00:34:11.636] – Camille Bardin

Vas-y recentre nous ! 

[00:34:12.500] – Samy Lagrange

Je partage ces ambitions-là. Néanmoins, je pense qu’il faut tout de même reconnaître que les raisons pour lesquelles… certaines raisons pour lesquelles certaines personnes sont éloignées de la lutte sont autrement plus profondes que simplement le fait de penser qu’on n’a pas de copaines pour aller à la manif et que ça nous bloquerait. Il y a quand même des conditions, là, on a décidé de mettre, un petit peu à l’emporte-pièce, le terme « anxiété » dessus. Même si on garde ce terme, ce terme est quand même beaucoup plus large que ce à quoi on l’a réduit jusque là. L’anxiété, c’est parfois ne pas pouvoir vivre sans médicaments, c’est être incapable de se lever le matin, c’est d’avoir une peur viscérale pour sa vie, pour plein d’autres conditions qui sont souvent intersectionnelles où il y a des vraies raisons d’avoir peur pour sa… pour sa vie. Et donc effectivement, il y a tout un pan où c’est hyper important, et je vous rejoins, où il faut vraiment donner envie aux gens qui le peuvent de rejoindre la lutte et de rassurer les gens qui se pensent éloigné.e.s, mais aussi de se mettre à la place des gens qui ont l’impression ou qui véritablement ne le peuvent pas pour essayer de s’adresser à elleux de la manière la plus juste et la plus convaincante au final. Parce que c’est un petit peu ça l’enjeu. Enfin, on ne va pas se cacher, c’est quand même con…  convaincre les autres. Du coup, par exemple, on parlait d’avoir… Chacun.e peut trouver sa place dans cette lutte à différents postes, à différentes missions, à différents rôles. Mais par exemple, je pensais au fait qu’on en a beaucoup parlé, à la fois en AG et aussi entre nous, que ce qui est de l’ordre de l’action doit rester hyper discret pour que justement elle soit efficace jusqu’au bout. Mais ça veut dire aussi juste faire confiance à des inconnu.e.s jusqu’au bout, qui, effectivement ont un protocole pour rassurer, qui sont formé.e.s pour dire quel est le risque ou le non risque qu’il y a dans cette action, qu’est-ce que ça va impliquer ? Et même moi qui suis un homme blanc cisgenre, bah faire confiance sur ces choses-là, à quelque chose qui va engager mon corps et ma personne dans un lieu que je ne connais pas, selon des modalités que je ne connais pas, bah c’est pas hyper ok. Et même avec les conditions qui sont les miennes, j’ai l’impression quand même de… de déjouer un risque quand je fais ça et du coup je peux pas m’empêcher de me mettre à la position du coup de 80 % de la société qui a moins de privilèges sur ces aspects-là que moi et qui du coup peut en être totalement tétanisé.e. Tout ça pour dire que pour moi, la moindre des choses à faire pour éviter notamment les frustrations, une fois qu’on est dans la lutte, de ne pas voir les gens s’engager autant, c’est tout simplement d’avoir un exercice constant d’empathie. Vous le savez sûrement autour de la table, c’est un peu ma marotte à moi. Ça peut paraître très naïf et un petit peu hors-sol d’appeler à une culture militante de l’empathie dans des moments de luttes concrètes. Mais je pense qu’au contraire, c’est absolument indispensable pour travailler ensemble et donc lutter efficacement. Ça… Ça signifie simplement se mettre à la place de l’autre, que ce soit en faisant l’effort de se rappeler comment nous on a pu se sentir à d’autres moments face au poids de la précarité, au poids de la frustration, au poids de la colère ou de l’aigreur, qui est très à la mode en ce moment, à celui de l’empêchement d’agir, etc. Ou bien en reconnaissant que d’autres ne vivent pas les mêmes réalités que nous et donc a priori, ont de bonnes raisons de ne pas s’engager de la même façon. Déjà, ça diminue les frustrations, on évite le : « Si moi je le fais, je ne comprends pas pourquoi tout le monde ne le fait pas comme moi ? » et ça permet d’ouvrir la discussion, de s’adresser aux autres sans être culpabilisant.e et potentiellement convaincre de la bonne manière. Et juste pour finir, j’ai bien conscience que pousser ce raisonnement à l’extrême, c’est potentiellement stérile et tomber dans un relativisme radical où tout le monde a une bonne raison de ne pas agir, du coup on ne fait rien. Mais je pense qu’il y a quand même un équilibre à trouver entre ne pas se culpabiliser sans pour autant se déresponsabiliser, qui pour moi sont deux choses différentes. On peut ne pas ressentir la culpabilité tout en prenant ses responsabilités. Et ça marche dans beaucoup d’aspects de la vie d’ailleurs.

[00:37:58.630] – Camille Bardin

Mais Samy, en fait, je pense que c’est exactement pour ce que tu viens de décrire que j’attends aussi de certains/certaines un engagement. C’est parce que justement tout le monde ne peut pas absolument s’engager comme iel le souhaiterait et que dès lors que tu as un certain nombre de privilèges, j’attends aussi de toi, à titre personnel, que tu t’engages aussi, tu vois. Aussi, je te rejoins complètement et c’est pour ça que j’avais envie de m’engager. C’est que je pense que, à titre personnel, je ne serais pas allée en action si je ne savais pas où je vais, sous quelles modalités, etc. Néanmoins, pour comprendre un peu la manière dont ça fonctionne, c’est que quand action il y a, à Paris en tout cas, on a mis en place une échelle qui permet aux gens de se projeter sans avoir de connaissance sur le lieu de l’action, sur les modalités exactes de l’action. On dit si c’est une piste verte, une piste bleue, une piste rouge, une piste noire. Et du coup, tu sais dans quoi tu t’engages. Si en fait, potentiellement ça va être trop… genre « flocon de neige » trop tranquille en fait, il n’y a pas de souci, tu y vas voilà. Ou si, à l’inverse, potentiellement, il va y avoir des tensions avec les flics ou que sais-je. Et aussi, en fait, parfois on se projette dans un truc et au moment de l’action, on voit que, en fait, la tension, elle monte plus que ce qui était prévu. Ça a été le cas notamment à Pompidou où en fait on était en mode : « Bon bah en fait ça va être assez chill. A priori c’est bon ». Et en fait, il y a eu dix camions de CRS qui nous ont accueilli.e.s et genre 200… Il y avait deux CRS, si ce n’est trois, par manifestants et manifestantes qui nous ont chopé.e.s et tout. Et en fait là, typiquement, il y avait des personnes qui étaient hyper chaudes pour être en mode : « On s’allonge, tant pis, on va se faire traîner machin. C’est parti ! On s’en fout, on continue ! » Mais il y avait aussi des personnes qui étaient… Qui avaient pas du tout, du tout, du tout prévu ça et qui étaient en mode genre giga stress quoi. Et ce qui a toujours été dit, c’est que dans ces cas-là, on part toujours du niveau le plus bas. S’il y a une personne qui est genre hyper anxieuse et qui a pas envie de se faire choper par les flics, et ben en fait, on se lève et on se casse. Et c’est ce qui s’est passé. On s’est levé.e.s et on est parti.e.s tranquillement. Il n’y a rien eu. Il n’y a même pas eu une prise, un relevé d’identité ou quoi que ce soit. Donc on s’adapte toujours aussi. En fait, si on a dit qu’on faisait une piste verte, ça restera une piste verte quoi. Donc ça, je pense que c’est aussi important de le dire. Après c’est clair que bah… Enfin, moi là j’ai été face au fait de devoir vraiment réussir à canaliser mes émotions. Parce qu’en fait, quand tu fais des actions, en fait, t’es vraiment en mode tu te prends des shoots d’adrénaline en permanence, on vit des moments franchement pas rigolos, on vit des défaites, mais on vit aussi des réussites. Il y a des moments hyper joyeux, ensuite hyper hardcores, etc. Et du coup, il faut vraiment réussir à… à gérer ça, genre en faisant du sport, en discutant avec ses potes, en disant quand ça ne va pas, etc. Enfin, je ne sais pas si je peux le dire… Mais du coup on était à la Gaîté le soir de l’expulsion avec Samy et on est resté.e.s de 3h à 7h et demi du mat. Moi je suis rentrée chez moi, j’ai dormi 2h, même pas. J’ai fait genre des giga cauchemars. Enfin, c’était horrible. Quand je me suis réveillée, j’ai appelé ma maman et j’ai chialé ma race quoi. Parce que vraiment… Et du coup, c’était les conversations qu’on avait avec les camarades derrière. C’est que on a tous été giga traumat quoi. C’était fin… C’était horrible. Et en plus… Enfin « C’était horrible », nous on avait un logement où dormir le soir quoi. Donc voilà. Et c’est aussi pour ça quand tu disais que effectivement, on lutte avec… On on lutte et on milite avec nos privilèges. Et même ça, tu vois, c’était un des exemples à la Gaieté, c’est que, en fait, nous, ce qu’on nous répétait aussi au moment où les CRS sont arrivés, c’est que, en fait, nous, on est privilégié.e.s. C’est-à-dire que la plupart des gens qui étaient autour pour… pour essayer de ralentir un maximum l’arrivée des CRS, on avait nos papiers. Et du coup c’est ce que les assos aussi sur place nous ont dit : « En fait, ne cherchez pas à faire monter la pression… heu la tension avec les flics et tout. Le but c’est que ce soit le plus calme possible, que ça se fasse sans… sans tension encore une fois. Parce que vous, à la rigueur, vous êtes chopé.e, vous allez 2h en garde à vue et basta quoi. Eux c’est des OQTF à la fin quoi. » Donc du coup, c’est aussi prendre en compte toutes les identités et toutes les données avec lesquelles toutes et tous on milite. Et je crois que vraiment il y a un soin particulier qui est apporté à ça, ou en tout cas, si ce n’est un soin, une attention particulière qui est à porter à ça. Mathilde ? 

[00:42:16.720] – Mathilde Leïchlé

Simplement, je voulais juste préciser que mon but n’était pas du tout de dire que le problème majeur, c’était de trouver des copaines pour aller en manif.

[00:42:25.663] – Camille Bardin

Bien sûr. 

[00:42:25.690] – Mathilde Leïchlé

C’était simplement de faire sentir que la porte est ouverte si vous en avez l’envie et pas de reporter la pression sur des personnes qui subissent déjà beaucoup de choses au quotidien. Et aussi, je pense que ce débat-là, il est… il est là aussi pour vous dire que si vous avez des questions, cette porte-là, elle est ouverte aussi. Si vous avez besoin ou envie de transparence sur certaines choses, même sans vous engager simplement pour savoir ce qui se passe, on est là pour ça aussi.

[00:42:57.060] – Camille Bardin

Clairement. Luce ?

[00:43:00.840] – Luce Giorgi

Non mais je voudrais quand même revenir sur ce truc de l’empathie que tu évoques Samy. Je pense que… Enfin, évidemment qu’il faut avoir de l’empathie pour les personnes qui ne peuvent pas ou qui ont des difficultés à nous rejoindre dans la lutte, mais aussi pour les personnes qui… qui ont du mal à faire confiance aux… à la commission action. Ça a été une vraie problématique à Marseille qui a un petit peu annihilé en fait nos… nos élans. Je pense que c’est important d’avoir une empathie à double sens, c’est-à-dire qu’il faut aussi avoir de l’empathie pour les personnes qui prennent des risques. Et ces personnes-là sont souvent quand même des personnes qui sont syndiquées. Alors, il y a la protection des syndicats, c’est important de le rappeler. S’il y a une… Il y a un problème en manif, s’il y a un problème au moment d’une action, ce sont les syndicats qui vont prendre d’abord. Même si on peut être convoqué.e individuellement ou qu’on peut être amené.e au commissariat individuellement. La chose à faire, c’est de dire : « Je ne sais pas, j’ai suivi le mouvement. » De toute manière, la CGT et le reste va colmater. [ils rient] Mais… Non, c’est important quand même de le rappeler. Il y a des gens qui prennent véritablement des risques. Il y a… C’est pour ça qu’il y a ces enjeux de sécurité qui sont… qui sont présents. Et il faut aussi rappeler que l’empathie, il faut aussi qu’elle s’étende aux militants et militantes qui justement ont un passé militant plus important que seulement les… La culture en lutte. Et… Et je pense que ça, c’est hyper important de le rappeler parce que il y a des gens qui justement donnent énormément d’énergie à ce mouvement, qui essayent de perpétuer nos actions, d’essayer de perpétuer nos revendications, de les amener jusqu’au ministère. Il faut aussi avoir non seulement de l’humilité face à ces… ces personnes-là, leur engagement, mais aussi avoir conscience de tout ça. Et… Et je pense que voilà c’est important de le rappeler et… Et d’avoir cette double empathie.

[00:45:06.100] – Camille Bardin

Clairement. Tu finis par des ressources Samy et on passe à l’expo ?

[00:45:09.910] – Samy Lagrange

Ouais. Ouais, je suis totalement d’accord avec toi Luce sur cette double empathie. Et alors, des ressources ? Je pense que le plus simple c’est peut-être pour mutualiser de suivre le compte, les comptes Cultures en lutte, notamment sur les réseaux, pour avoir accès après de manière tentaculaire à tout le reste. Oui, quelques petites ressources pour creuser plutôt la réflexion qu’on a eue. Il y a deux jours, il y a eu la première édition du… d’un cycle géré par After Hours qui s’appelle le Cycle Cash, dont le sous-titre est « De quelles ressources disposons-nous pour accroître notre pouvoir collectif et comment s’en saisir ? » Et la première occurrence il y a deux jours était sur « Comment rendre plus visible, protéger, investir l’énergie des personnes racisées, queer et trans en tant que ressources matérielles nécessaires pour alimenter le centre des luttes ? » C’était très intéressant. Notamment, ça posait cette question de la défiance ou même de la peur envers la sécurité. Alors là, iels parlaient d’abord du monde festif, mais je pense que ça peut être… on peut parler de sécurité un peu pareil, tant que c’est des gens qu’on ne connaît pas. C’est vrai qu’il y a de fait une défiance envers la sécurité qui n’incarne pas en vrai comme métier le désordre et la lutte, mais plutôt l’ordre et le pouvoir. Donc c’est un peu normal, notamment quand on peut être une personne queer, trans ou racisée. Et aussi qui dénonçaient le manque de formation à toutes les échelles en ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles, mais aussi racistes ou d’inclusivité envers tous les publics. Ils ont aussi beaucoup… Iels ont aussi beaucoup parlé de la question de l’usage de la violence : Comment s’y préparer ? Comment savoir ou non riposter ? Est-ce que la gauche doit avoir une culture de la violence ? Également la question de la nécessité d’une coopération entre les différents groupes militants et que ce soit entre générations ou entre communautés, secteurs différents, pour se partager des outils et contrecarrer justement ces dynamiques habituelles qui font qu’on doit toujours réapprendre, toujours répéter, toujours se… se reformer et surtout se frictionner parfois entre nous. Et aussi sur ces questions, peut-être tout bonnement à la base d’anxiété, de trouver d’autres endroits quand vraiment on n’a pas envie ou qu’on ne pense pas pouvoir aller en AG, en manif ou en action. Je me rappelle qu’il y a eu… il y a eu il y a quelques temps des posts de Géraldine Miquelot de @artboulot qui parlait justement de que… de l’anxiété que pouvaient générer ces endroits sociaux, de la difficulté de franchir la porte quand on n’a pas forcément la culture, la connaissance et le fonctionnement qui va avec ces endroits militants ou syndicaux. Et je me rappelle aussi que Jeanne Mathas avait répondu tout bêtement que c’était possible de retrouver d’autres espaces plus intimes pour débattre, pour amener ces sujets d’actualité et de politique dans nos endroits habituels de sociabilité. Je pense que c’est hyper important et que ça permet aussi de se former entre nous et de prendre conscience parfois de ses propres ressources qu’on pourra plus tard emmener dans de plus gros endroits.

[00:47:55.180] – Camille Bardin

Trop bien ! Merci Samy. On passe à l’exposition si ça vous va.

[00:47:59.410] – Mathilde Leïchlé

Super !

[00:48:22.930] – Camille Bardin

Mathilde, est-ce que tu veux bien nous introduire l’exposition ?

[00:48:26.110] – Mathilde Leïchlé

Avec plaisir. Du 17 janvier au 18 mai 2025, au BAL, lieu d’exposition parisien dédié à l’image-document, l’artiste-chercheuse catalane Laia Abril  nous propose une exploration d’un phénomène étrange qui a été qualifié – de manière d’abord tout à fait misogyne – d’hystérie collective. L’exposition est ainsi intitulée On Mass Hysteria et c’est le troisième volet de la série Une histoire de la misogynie, après On Abortion, sur l’avortement, et On Rape, sur le viol. Il s’agit, ici encore, de s’intéresser aux outils, méthodes et discours développés pour contrôler, exploiter, nier les corps des femmes à travers le monde. C’est parti pour la visite. Il faut d’abord descendre dans le sous-sol du BAL pour découvrir un espace organisé en trois îlots, qui correspondent à trois cas d’hystérie collective envisagés par Laia Abril . Le premier advient en 2007 à Chalco au Mexique et concerne une épidémie de paralysie des jambes dans un pensionnat catholique pour jeunes filles. Le second advient entre 2012 et 2022 et a lieu au Cambodge, il concerne une épidémie d’évanouissements chez des ouvrières dans des usines de confection. Enfin, le troisième date de 2012 quand une épidémie de tics se déclare dans un lycée et se déroule dans la ville de Le Roy aux Etats-Unis. En parallèle de ces trois moments à la mise en scène spécifique dont nous reparlerons sans doute, il y a, tout au long des murs, des archives d’autres cas, 68, qui vont des couvents du Moyen-Âge aux épidémies sur TikTok. Enfin, en remontant l’escalier, l’exposition se clôt sur une installation vidéo qui croise images de manifestations et scènes de pathologie collective, renvoyant ainsi au sous-titre de l’exposition : l’hystérie collective serait en fait, selon l’artiste, un protolangage de résistance. Alors, qu’avez-vous pensé de cette mise en espace de la recherche, des témoignages et des archives ? Qu’avez-vous pensé de cette proposition autour des violences misogynes et qu’avez-vous ressenti pendant ou suite à votre visite ?

[00:50:20.020] – Camille Bardin

Mais juste en intro, ça m’a re-excitée de cette exposition, vraiment…

[00:50:24.280] – Mathilde Leïchlé

Super, ça me fait plaisir. 

[00:50:26.440] – Camille Bardin

Luce, Samy qui veut y aller ?

[00:50:27.460] – Camille Bardin

Aller ! Je commence !

[00:50:28.510] – Camille Bardin

Aller, Samy.

[00:50:30.400] – Samy Lagrange

Bah oui.

[00:50:31.480] – Camille Bardin

[en imitant Samy d’un ton moqueur] J’ai adoré cette exposition !

[00:50:34.180] – Samy Lagrange

Ça fait longtemps que je n’avais pas été aussi excité par une exposition et encore plus par une exposition dont on parle dans PQSD. Alors pas dans le sens où j’aurais trouvé qu’elle était absolument parfaite mais, comme tu l’esquissait un petit peu Mathilde, parce qu’elle fait à plusieurs endroits bouger les lignes de la réflexion curatoriale. Alors parfois on a un peu cette impression qu’on tourne en rond à la fois dans nos manières d’adresser toujours les mêmes sujets sans trouver de nouveaux angles ou de multiplier les manières de faire sans toujours avoir beaucoup de réussite, notamment sur le sujet de la représentation du genre en exposition, ou tout du moins dans le contexte parisien aujourd’hui. On peut avoir l’impression de tourner un peu en rond et c’est normal. C’est aussi le temps de la réflexion individuelle et collective et à cause du manque de moyens alloués pour penser de nouvelles manières de dire ou de montrer. Alors, j’ai pas vu pour ma part les deux premiers chapitres du cycle de Laia Abril , mais je trouve qu’en tous cas ici, à mon sens, elle a trouvé un angle et une stratégie curatoriale vraiment intéressants. Je pense que ça s’explique déjà par sa double casquette revendiquée d’artiste et chercheuse. Et le fait qu’elle ne sacrifie jamais l’une à l’autre. J’ai l’impression qu’on est assez habitué.e.s aux expositions artistiques qui s’appuient sur la recherche scientifique, mais qui peinent à la faire voire, à l’incarner dans l’espace ou même à l’assumer pleinement, quand c’est le cas. Ou bien des expos beaucoup plus scientifiques qui, à l’inverse, utilisent l’art et les œuvres comme simple illustration du propos, sans chercher vraiment l’articulation ou la collaboration des deux sphères. Par exemple, j’ai là le souvenir paradigmatique qui me vient, c’est le Faits divers au MAC VAL cet hiver, qui n’est pas une mauvaise exposition selon moi, mais qui est une exposition très très riche et je ne sais pas exactement pourquoi elle dissone, mais en tous cas c’était un sujet sociétal hyper dense, hyper intéressant, mais avec une multitude d’œuvres qui étaient posées là pour illustrer. Et alors du coup, c’était… J’en étais arrivé à me dire : « Mais en fait j’aurais été passionné par une exposition socio-historique sur le sujet ».

[00:52:29.540] – Camille Bardin

Oui voilà, juste assume jusqu’au bout.

[00:52:31.040] – Samy Lagrange

Et pas 300 œuvres qui ont un rapport plutôt distant avec le sujet et l’analyse qu’on veut faire du fait divers. Donc c’est un peu souvent… souvent ça. Au point où on se dit que c’est un petit peu vain de rapprocher les deux et qu’on préférerait vraiment des expos assumées soit pleinement artistiques, soit pleinement scientifiques. Et là, c’est pas du tout le cas. Parce que l’exposition de Laia Abril  s’inscrit déjà dans un travail de recherche beaucoup plus large, où l’artiste prend son origine dans une théorie anthropologique contemporaine relativement pointue et qui donne lieu à un nouveau travail d’enquête à la fois quantitative et qualitative de l’artiste. Et en plus de ça, l’exposition pense également en même temps la médiation de cette recherche par le médium artistique et curatorial. Donc, comme tu l’as expliqué pendant ta visite virtuelle Mathilde, les œuvres et la mise en espace sont pensées selon l’artiste, pour être la manière la plus pertinente de présenter cette recherche. Alors même si tout ne marche pas à 100 %, je trouve que le travail de recherche dense offre vraiment une nouvelle entrée déjà absolument fascinante sur le sujet du contrôle des corps. C’est… C’est bizarre de dire ça pour un sujet aussi triste et violent, mais c’est une perspective assez rafraîchissante sur ce sujet-là et qu’en plus les dispositifs curatoriaux, selon moi, sont pensés de manière hyper pertinente pour la rendre à la fois accessible, convaincante et pédagogique.

[00:53:53.010] – Camille Bardin

Je suis pas d’accord avec toi, je crois. 

[00:53:55.890] – Samy Lagrange

On va pas s’en sortir aujourd’hui. [iels rient] 

[00:53:56.670] – Camille Bardin

Mais non mais on dit toujours qu’on est d’accord. Donc… Non, en vrai je suis un peu d’accord quand même. Mais… Non mais je suis d’accord sur toute ta première partie sur… Effectivement, souvent les artistes chercheureuses échouent un peu dans leur forme. Leur enquête est passionnante, mais la mise en forme et la monstration de celle-ci est… Parfois ça ne fonctionne pas et souvent… Et j’ai souvent ce truc-là où je me dis : « Mais même moi, critique d’art, du coup j’ai le privilège – et je le dis souvent à ce micro – mais j’ai le privilège d’avoir accès aux réflexions, aux doutes de l’artiste, etc. Mais dans les faits, l’expo elle est pas ouf quoi ». Et là, en l’occurrence, j’ai trouvé que Laia Abril, à certains endroits, c’était prodigieux en termes de forme quoi. Notamment sur le fait qu’elle assume qu’il n’y ait que des voix. C’est-à-dire que dans ces cas, que tu que tu présentais Mathilde, en fait, quand on arrive du coup dans ces petits box, dans ces petits espaces, en fait, qui sont consacrés à chacun des cas, en fait, on se met sous des douches… des douches sonores hein… et on a accès, en fait, à la voix des personnes qui ont été victimes de ces… de ces moments de détresse et qui nous expliquent du coup ce qu’elles ont ressenti, comment ça s’est passé, etc. Et leurs voix sont… s’alternent avec celles de… des autorités, des institutions dans lesquelles elles étaient, etc. des parents… Voilà. Et, en fait, j’ai trouvé ça trop fort parce que on a juste la voix – qui n’est pas en français du coup, c’est vraiment la voix de la personne – et on a juste un écran noir sur lequel se trouve la traduction quoi. Et j’ai trouvé que le fait d’assumer qu’il n’y ait que des voix et qu’elles n’aillent pas tenter de filmer des mains, des paysages, des archives, je ne sais pas quoi. En fait, ça pourrait sembler hyper sec, mais pas du tout. Ça nous permet d’être très proches des filles et ça nous emmène au plus près de la chair de ce qu’elles ont vécu. En fait, il n’y a pas d’artifices à cet endroit-là et c’est pour ça que je ne suis pas d’accord avec toi Samy, c’est que je trouve que par ailleurs, et je reviendrai là-dessus. Je trouve que malheureusement, il y a des endroits où elle est hyper radicale et ça fonctionne trop bien, notamment ce truc-là. Mais d’autres endroits où j’ai trouvé qu’il y avait plein d’œuvres artificielles, en fait. Il y avait plein de trucs où elle en faisait un peu trop, comme si elle avait peur justement qu’il n’y ait pas assez en fait. Et ce que je peux comprendre. Mais là, je déborde sur ma prochaine prise de parole. Mais en tous cas, ce truc-là pour parler des voix, moi qui suis une grande fan de podcast comme vous le savez. En fait, ce que j’adore dans le podcast et ce que j’ai adoré et ce que j’ai retrouvé ici, c’est qu’en fait t’as pas ce gros oeil de Sauron qui est la caméra qui vient capter tous tes faits et gestes et qui peut être hyper violent en fait. Qui plus est là. On parle de personnes qui ont été victimes du coup de grandes souffrances, etc. Et je pense que ça m’aurait beaucoup dérangé de voir leur corps en souffrance justement. Donc on ne voit pas ces corps-là. Mais par contre elles… elles posent les mots qu’elles ont envie de poser sur leur souffrance et ça j’ai trouvé ça trop bien. Et… Et du coup on est vraiment au plus proche de ce qu’elles ressentent. À savoir que même si c’est pas en français, et justement parce que c’est pas en français, on sent le rythme qui accélère, etc. Enfin, il y a vraiment une proximité dans l’intimité sans que ce soit non plus voyeur. Et à cet endroit là, encore une fois, j’ai trouvé qu’elle avait excellé. Mais du coup, je ne dis pas pourquoi je ne suis pas exactement d’accord avec toi, hormis un truc superficiel. Mais je laisse Luce poursuivre.

[00:57:18.420] – Luce Giorgi

Je pense que c’est une exposition qui est intéressante à divers endroits, et notamment sur la question de l’art documentaire. Comment une artiste utilise comme méthodologie de travail l’enquête ? Je trouve que ça a été très bien montré. Et justement, même avec ce dispositif de dossier plus ou moins complet qui sont affichés, donc les 68 cas… études de cas dont tu parlais dans ton introduction Mathilde, sont présentés sur l’ensemble des murs de l’exposition qui entourent ces trois îlots. Moi, j’ai la sensation que c’est vraiment une exposition sur l’interprétation. L’interprétation de ces symptômes-là, avec des études de cas, bien évidemment, mais l’interprétation qu’on en a fait à cette époque-là, au moment où ces événements se sont produits, l’interprétation extérieure, l’interprétation personnelle, puisque les… les femmes, en effet, racontent leur vécu. On peut voir aussi des imbrications un petit peu troublantes. Alors ces interprétations sont très ancrées dans les territoires dans lesquels ces événements se déroulent. Je pense que c’est important de penser ces données-là. Il y a des interprétations qui peuvent être sociologiques, liées à la topographie, à la géographie, à l’environnement, la qualité de l’air, de l’eau, etc.

[00:58:50.150] – Samy Lagrange

À la religion.

[00:58:50.900] – Luce Giorgi

À la religion.

[00:58:51.917] – Camille Bardin

L’histoire, à la culture. 

[00:58:52.160] – Luce Giorgi

Voilà. Donc là, c’est aussi des interprétations cultuelles, culturelles avec la possession des esprits. Et je trouvais que c’était intéressant de voir aussi comment les interprétations extérieures venaient parfois aussi influencer les interprétations individuelles, comment ça se transforme aussi en manifestations et scènes de pathologie collective. Mais en gros, ce que… ce que je voudrais dire simplement, c’est qu’il y a ces interprétations-là qui existent, qui… qui sont intéressantes et qui sont bien montrées, je trouve. Néanmoins, je pense qu’il y a aussi quand même une interprétation qui est le postulat de départ, qui est que c’est des formes de protolangage de révolte, et je pense que c’est quand même présent et on le ressent bien cette interprétation au sein de l’exposition. Ce n’est pas une exposition qui se veut neutre soit disant scientifiquement, mais au contraire, il y a quand même ce postulat qui est posé dès le départ et qui transparaît quand même dans ses… dans sa proposition curatoriale et artistique. Et… Et je pense que justement il y a des doubles oppositions dans son exposition, une double… une opposition… une première opposition entre en effet la voix et les images. D’ailleurs, tu parlais des douches sonores sous lesquelles on venait s’abriter pour écouter les témoignages des malades victimes à la fois des oppressions et des symptômes. Ces douches sonores ne retranscrivent seulement que la parole des… de ces femmes-là. Mais on peut voir sur un écran se dérouler la traduction en anglais et en français, mais aussi d’autres échanges, notamment je pense pour le cas numéro 1 au Mexique où ça se déroule dans un pensionnat catholique pour jeunes filles, donc en 2007, où il y a également des retranscriptions de soeurs religieuses qui sont présentées. Et donc là, on a… là aussi le texte est transformé en images. Et pour moi, il y a cette opposition-là un peu entre l’interprétation – et d’ailleurs, l’interprétation aussi de l’artiste – avec ces différentes images qui sont présentées dans ces îlots.

[01:01:18.020] – Camille Bardin

Oui, de préciser quand même que c’est pas dans la vidéo qu’il y a les…

[01:01:21.315] – Luce Giorgi

Non. 

[01:01:21.450] – Camille Bardin

Voilà. C’est au-dessus de ces écrans sur lesquels on peut lire, du coup, les témoignages retranscrits, il y a des images, des photographies, des images en tous cas.

[01:01:31.476] – Luce Giorgi

Voilà tout à fait. 

[01:01:32.070] – Camille Bardin

Mathilde du coup ?

[01:01:33.450] – Mathilde Leïchlé

Moi j’étais vraiment ravie de visiter cette exposition parce que Laia Abril c’est une artiste dont j’aime le travail depuis quelque temps. Je l’avais découverte d’abord au moment d’une rencontre au BAL où elle présentait son ouvrage lié à son projet On Abortion et… et c’est important de le dire aussi pour chacune de ses expositions, il y a un livre qui… qui paraît et qui est un très bel objet, un beau livre d’artiste, avec beaucoup d’images d’archives, des photos aussi qu’elle crée et qu’elle travaille. Et puis c’est entrelacé de textes, d’interviews avec des chercheureuses à partir desquel.le.s elle pense. Donc là, pour… pour Mass Hysteria, il y a notamment l’anthropologue Aihwa Ong qui justement théorise cette idée de protolangage de résistance. Et puis elle parle aussi avec un sociologue de la médecine, une anthropologue, une spécialiste de géographie humaine, un neuropédiatre, une psychiatre. Donc c’est tout ce réseau aussi intellectuel, qui se rencontre et qui produit… enfin qui l’aide à produire ces œuvres, que je trouve absolument passionnant. Et ensuite, pour moi, elle développe vraiment dans toute cette série Une histoire de la misogynie, une esthétique et une éthique du témoignage. Parce qu’en fait, elle a une formation de… de journaliste et de photojournaliste en particulier. Et donc toute son idée, c’est comment présenter ces cas de violences sans réactiver la violence et sans en faire un spectacle qui viendrait choquer et donc annuler la réflexion. Et dans On Abortion c’était encore assez proche de son travail de photojournaliste. Donc il y avait des portraits des femmes qui témoignaient. Dans On Rape déjà, ça se décalait parce que il y avait une évocation des corps avec les vêtements dans lesquels ces femmes avaient été violées, photographiées et mis à côté du texte de leur témoignage. Et là, c’est aussi une évocation des corps par la voix et le choix là du témoignage oral dans Mass Hysteria, il est vraiment extrêmement pertinent parce que dans l’histoire de l’hystérie, au départ, c’est Charcot à la Salpêtrière qui ausculte les hystériques et qui les met vraiment… Ça devient des objets de spectacle. Elles sont prises en photo dans les différentes poses de leur hystérie. Et en fait, pendant ces crises d’hystérie, elles témoignent, elles parlent et il nie leurs paroles. Il s’intéresse uniquement à l’image. Et donc là, revenir au cœur du témoignage par le corps, par la voix, ça me semblait extrêmement puissant. Et en plus, dans ces images, dans la manière dont elle présente ces images, il y a aussi plein de références à l’histoire de l’art féministe, notamment ces grandes photos en noir et blanc avec le texte très violent écrit en rouge dessus, très misogyne. Ça m’a fait penser à Barbara Kruger.

[01:04:15.161] – Camille Bardin

Bien sûr oui. 

[01:04:15.890] – Mathilde Leïchlé

Et après il y a la question de l’accessibilité de ce réseau d’images qu’elle crée. Parce que dans On Rape, en fait, chaque photo qu’elle associait à des photos d’objets, enfin de cette culture du viol, en fait, qu’elle présentait dans le parcours était assez expliquée. Ici, je trouve que c’est assez hermétique pour préserver aussi une part de la… de la vie privée de ces… de ces personnes qui ont… qui ont subi ces crises. Mais donc ça reste un peu hermétique aux spectateurices, aux visiteur… visiteureuses. Par exemple, dans chacun de ces booth, de ces de ces box, il y a un scan du cerveau avec à chaque fois une émotion : la peur, la colère, la tristesse. Donc ça, ça nous permet de nous positionner à la fois dans le domaine du médical et dans le domaine de l’émotion et de la réaction émotionnelle. Ce que je trouve très intéressant. Mais il y a aussi plein de photos qu’on ne peut décrypter que si elle… que si elle nous les explique. Par exemple, dans le cas numéro 1, il y a un gâteau d’anniversaire avec plein de bougies dessus. Et elle a choisi cette image-là parce que les jeunes femmes de ce pensionnat ne peuvent pas fêter leur anniversaire et fêtent leurs anniversaires toutes ensemble le jour de l’anniversaire du créateur de ce pensionnat qui est un homme.

[01:05:31.260] – Camille Bardin

Oui, grosse angoisse.

[01:05:32.580] – Mathilde Leïchlé

Mais donc ça c’est passionnant. Mais ça ne nous est pas donné en fait. Il faut vraiment aller le chercher. Et même dans l’ouvrage, ces clés ne sont pas données. Et par ailleurs, Magali Lesauvage soulignait dans le podcast l’Esprit critique de Médiapart le fait que la plupart des études de cas qui sont présentées le long des murs sont en anglais et donc ça rend aussi difficile l’accès. Personnellement, moi je trouvais que c’était surtout l’effet d’accumulation qui était fort et intéressant, plus que la lecture cas par cas, mais c’est vrai que c’est aussi une donnée à souligner. Donc voilà, il y a peut-être cet aspect plus cryptique dans cette proposition-là qui m’a qui m’a posé question.

[01:06:11.290] – Camille Bardin

Samy ?

[01:06:12.460] – Samy Lagrange

Oui, on part dans le tour, plutôt des points négatifs. Déjà, je suis hyper d’accord avec vous deux sur le reste, Mathilde et Luce. [sur un ton solennel] Je trouvais que c’était des analyses tout à fait pertinentes de cette exposition. [il rit] 

[01:06:24.550] – Camille Bardin

Moi j’aime encore plus cette expo, plus vous en parler. [Camille et Samy rient]

[01:06:28.000] – Samy Lagrange

C’était vraiment un super commentaire d’expo. Merci ! Oui, dans les points négatifs, je pense qu’on est d’accord sur le fait qu’il y ait des choses qui ne marchent pas à certains endroits, tu parlais de superficialité. Mais je ne suis pas sûr qu’on ait identifié les mêmes écueils. Effectivement, pour moi, le gros écueil, ça va être un peu ces clipboard au mur. Et en même temps… Enfin voilà, moi je pense que j’aime bien cette exposition parce que si elle est pas parfaite… Je trouve qu’elle rejoue les écueils de ces expositions qui essayent de faire de la monstration de recherche par le medium artistique, mais qu’elle y arrive beaucoup mieux que ce que j’ai vu récemment. Et du coup, c’est pour ça que ça me plaît. Par contre, effectivement, tout n’est pas parfait. Là, par exemple, moi ce qui me touche, c’est qu’elle essaie quand même de répondre à une grande question curatoriale : Comment montrer les ressources scientifiques, les corpus qui ont véritablement servi à monter l’exposition ? Ce qui est un enjeu hyper important, à la fois pour la valeur scientifique de l’exposition, mais aussi pour que les visiteureuses puissent se ressaisir de ces ressources, mais qui échouent souvent sur l’écueil de la scénographie. Comment éviter l’effet vitrine de musée ? L’effet salle d’archive ou bibliothèque au mur ? Qui, même si on n’a rien contre ces dispositifs en soi, peuvent être un petit peu froid, un petit peu excluant, qui peuvent avoir un petit peu de mal à attirer l’attention de tout le monde. Et ici donc, elle trouve, je trouve, plein de solutions. En tout cas, l’exposition est attirante et excitante en tant qu’enquête, tu as envie de mener aussi l’enquête avec elle. Enfin… en plus c’est assez monumental… partout. Mais ici pour retranscrire spécifiquement l’enquête quantitative, vous l’avez dit, on a des dizaines de clipboard accrochés aux murs, qui retracent un cas identifié dit « d’hystérie collective » par le regroupement d’articles scientifiques et de presse – effectivement, souvent en anglais. Alors ça rend trop bien. Effectivement, je suis d’accord pour l’effet scénographie et l’effet de masse. Et j’adore la démarche de rendre accessible la recherche… recherche faite en amont de l’exposition et de l’intégrer à la fois comme une ressource et comme une œuvre en soi. Mais effectivement, au niveau de l’efficience et de la praticité, c’est vraiment une tannée à consulter. Enfin je veux dire…

[01:08:35.910] – Camille Bardin

Oui, j’étais là : « Bon, elle nous a fait un coucou, j’ai compris ».

[01:08:38.850] – Samy Lagrange

Ben oui, mais enfin, c’est quand même dommage parce que ça reste un petit peu du simulacre. C’est-à-dire qu’on t’a donné accès : « Regarde, toute ma recherche est là ». En plus, une enquête quantitative, c’est ouf comme recherche en soi. Au niveau des sciences humaines et sociales, c’est hyper important et pourtant ça reste un simulacre parce que en vrai tu peux pas vraiment le consulter et… Et on tombe dans le seul effet un peu déco. Et par contre après je sais pas – Mathilde, c’est toi qui a un peu plus creusé le sujet – s’il y a une plateforme potentiellement accessible avec ses recherches et ses documentations.

[01:09:08.000] – Mathilde Leïchlé

Il y a son ouvrage, mais dans lequel il y a toutes ses recherches. Mais sinon, non. Par contre, il y a des… Il y a des choses qui ont été pensées par le BAL pour prolonger la réflexion, mais ça ne peut-être que j’en parlerai après.

[01:09:19.190] – Samy Lagrange

Oui. C’était aussi ma question parce que moi je connaissais très très mal le BAL, sinon pas, en fait, je pense. Parce que c’est perdu la Place de Clichy.

[01:09:26.120] – Camille Bardin

C’est à Place de Clichy.

[01:09:27.860] – Mathilde Leïchlé

Quelle exagération !

[01:09:29.960] – Luce Giorgi

De pire en pire. [iels rient]

[01:09:31.430] – Samy Lagrange

Mais je savais pas, tu l’as dit en introduction que c’était un lieu d’image et de documentation qui est…

[01:09:36.980] – Mathilde Leïchlé

Dédié à l’image-document.

[01:09:37.760] – Samy Lagrange

Dédié à l’image-document. Donc iels ont peut-être pensé la documentation de leur exposition… [laisse en suspent sa voix] point d’interrogation. 

[01:09:46.250] – Mathilde Leïchlé

Ah d’accord.

[01:09:47.930] – Camille Bardin

Luce ?

[01:09:49.610] – Luce Giorgi

Oui. Mois j’ai pas la même interprétation de ces clipboard. Moi je pense que c’était vraiment l’idée de rejouer un aspect bureauca… bureaucratique. D’ailleurs… Donc, en effet, à l’intérieur les articles sont… sont rédigés en anglais, mais peut-être aussi lié au fait que l’artiste ne soit pas francophone. Par contre, les « titres », les premières pages sont rédigées quand même en français. Et pour moi, j’ai eu du mal à comprendre qu’on pouvait déjà manipuler ces objets. Ensuite, je me suis amusée à regarder de temps en temps, mais je pense que l’aspect d’accumulation comme tu disais et puis aussi juste la description des symptômes sur la première page était déjà assez signifiant et moi je les ai plutôt perçus comme potentiellement des cas à réactiver. Je ne sais pas, je l’ai imaginé un peu comme ça. S’il y a d’autres expositions autour de l’hystérie que l’artiste voudrait nous proposer, ça pourrait être d’autres cas qu’elle viendrait piocher comme ça parmi ces 68 dossiers.

[01:10:58.210] – Camille Bardin

Je reviens sur ce que je commençais à teaser, mais effectivement, moi j’ai trouvé qu’il y avait certaines œuvres qui étaient un peu artificielles, en fait. Comme si, en fait, Laia Abril avait peur de pas en faire assez ou qu’elle avait pas réussi à faire certains choix. Ce que je comprends parfaitement parce que c’est un travail qu’elle a mené depuis près de dix ans et qu’elle doit avoir énormément de matière – on peut le deviner très vite. Mais parfois j’ai pu trouver que certains gestes n’étaient pas nécessaires. Je pense notamment au triptyque dont tu parlais, Mathilde, qui sont à l’entrée de chaque box et qui mêlent des textes et des images et qui rejouent un peu, comme tu le disais, l’esthétique de Barbara Kruger, où on peut lire des phrases prononcées par des anthropologues, des psys, etc. Donc il y a « Les femmes peuvent être plus influençables que les hommes » ou encore « Cela se fait inconsciemment, mais ça permet d’atteindre son objectif ». Donc je comprends l’idée de faire ressortir la violence, de l’exposer, de faire en sorte qu’elle nous saute aux yeux. Et en même temps, le fait d’alterner les voix des personnes qui ont été victimes de ces crises avec celles des autorités, des médias, leurs parents, les institutions, etc. C’était déjà tellement fort et en fait franchement suffisant pour moi. De manière générale, j’ai pas accroché avec la scéno. Déjà… Donc moi j’ai fait l’exposition deux fois. Je l’ai faite une première fois vraiment pour le plaisir et je l’ai refaite il y a quelques jours pour préparer cet épisode. Et je dois dire que la première fois que j’y suis allée, c’était genre un dimanche ou un samedi aprem. Donc vraiment, l’exposition avait été complètement victime de son succès. Et en fait, je me suis rendue compte qu’elle avait vraiment pas été pensée pour accueillir du monde parce que du coup, en fait, on pouvait pas… Enfin vraiment, tu glissais une tête pour réussir à avoir accès, en fait, aux témoignages. Tu lisais vite fait ce qu’il y avait écrit. Enfin, iels avaient augmenté le son des… des douches, mais c’est tout quoi. Et… Et du coup ouais, la scéno, j’ai pas accroché. Je comprends… En fait, je comprends la décomposition en espace, le fait de nous faire rentrer dans ces petits box et pour que ça nous permette en fait à la fois de créer une intimité, mais aussi de rejouer un peu l’enfermement. Seulement là, j’ai trouvé que ça… c’était un peu trop biscornu, un peu trop lourd. J’aurais aimé que ce soit encore plus radical, en fait. J’ai trouvé que ce geste-là de mettre simplement les témoignages et qu’on ait juste accès à la voix et qu’on puisse lire les traductions. J’ai trouvé ça tellement, tellement bien, en fait, que du coup, tout le reste, je l’ai trouvé vraiment superficiel. Et… Ouais, et en plus, tu vois là ce que tu me dis Mathilde… ce que tu nous dis sur sur cette histoire de gâteau d’anniversaire et tout. Enfin, du coup je trouve ça trop cool et en même temps, du coup, je trouve qu’à cet endroit-là, à nouveau, ça rejoue le truc de l’artiste-chercheureuse qui… enfin, va essayer de composer quelques formes pour nous montrer qu’iel pense aussi, enfin voilà, la composition formelle de son exposition au-delà de la recherche. Et là, je trouve que typiquement, à ce genre d’endroit, elle tombe complètement dans cet écueil-là quoi. Mathilde? 

[01:13:54.580] – Mathilde Leïchlé

Je suis complètement d’accord avec toi, notamment aussi pour les photomontages qu’elle a réalisés pour chaque, qui sont censés illustrer, symboliser chacun des cas, qui sont en fait hyper hermétiques, pareils. Et elle les explique un peu dans certains entretiens. Mais… Mais franchement, ça aurait été bien d’avoir en tous cas un dispositif de médiation un peu plus conséquent pour nous donner accès à ça. Et pour les photographies en noir et blanc avec le texte en rouge, en gros, c’est quelque chose qu’elle avait déjà fait dans On Rape et je trouve que ça marchait super bien parce que ça montrait vraiment cette culture du viol extrêmement misogyne.

[01:14:27.860] – Camille Bardin

Mais alors que ça.

[01:14:28.490] – Mathilde Leïchlé

Mais là, en fait, comme cette culture misogyne… En fait, la culture misogyne de l’hystérie était développée très différemment dans cet espace-là. Et du coup, ces œuvres-là résonnaient un peu moins fort, je trouve. Même dans les phrases choisies où c’était un peu moins explicite. Ensuite, je voulais juste revenir un peu sur les dispositifs proposés par le BAL pour prolonger l’exposition. Il y a… Ça se concentre essentiellement autour de rencontres qui sont diffusées après par leur podcast L’écho du BAL. Il y a notamment un entretien avec Laia Abril, mais qui est uniquement en anglais. Et puis, il y a tout un cycle de podcasts, des rencontres sur l’hystérie qui sont vraiment passionnantes, je vous les recommande. [Podcasts] qui sont modérés par Pauline Chanu qui a réalisé la série Les fantômes de l’hystérie pour… pour LSD sur France Culture. Il y a aussi un book club avec des recommandations de lecture sur… sur le sujet de l’hystérie. Donc c’est comme ça que l’espace prolonge… prolonge cette réflexion sur ce sujet de l’hystérie.

[01:15:26.730] – Camille Bardin

Luce ?

[01:15:27.330] – Luce Giorgi

Oui. Peut-être juste un mot sur la deuxième partie de l’exposition.

[01:15:31.467] – Camille Bardin

Ah ouais complètement. 

[01:15:32.520] – Mathilde Leïchlé

La vidéo ?

[01:15:33.300] – Camille Bardin

J’ai pété mon crâne. [elle rit]

[01:15:35.970] – Luce Giorgi

La deuxième, du coup… Le deuxième espace qui nous est proposé quand on remonte cet escalier, c’est une black box de nouveau, mais qui cette fois-ci nous présente un grand écran et trois petits… trois petites télés cathodiques sur lesquelles donc différentes typologies d’images sont présentées. D’abord sur le grand écran des images de manifestations, de manifestations de femmes qui luttent toujours pour leur droit à l’avortement, pour leurs droits sociaux, pour l’égalité, etc. Et puis, sur ces petites télés cathodiques, des images de ce protolangage de résistance avec des images qui sont parfois très fortes, très même difficiles à regarder. Où cet écran… ce plein écran s’éteint et on est face… Et on est confronté.e à parfois ces gros plans sur les visages en train de convulser. Et donc elle… elle fait ce parallèle-là. Alors pour moi, il y a… C’est pour ça que je pense que la question des oppositions dont je parlais tout à l’heure, elle se rejoue ici d’une autre manière. Il y a la… Justement les manifestations qui sont un moment collectif, et puis après il y a ces moments individuels, très corporels aussi. Enfin voilà, il y a quand même ce double enjeu et comment la résistance se trouve à différents endroits, donc au niveau de la rue, au niveau du collectif et puis au niveau du corps. Et je pense que c’était… c’était aussi important de finir sur cette touche-là. Et au niveau de l’exposition, je trouvais que c’était quand même bien pensé de terminer… Alors, je dirais pas que c’est joyeux, mais… Mais c’était quand même…

[01:17:19.590] – Samy Lagrange

C’est la clé de lecture de tout le propos.

[01:17:21.630] – Luce Giorgi

C’est ça. Et… Et c’était quand même important de le… de le trouver à ce moment-là.

[01:17:28.050] – Camille Bardin

Complètement. Donc cette dernière installation, elle s’appelle L’épilogue et je trouvais que nous laisser là-dessus, c’était incroyable. Mais même tu vois, sur ma deuxième visite, je me suis dit : « Bon, je l’ai déjà vue. Aller, je me recale deux secondes, voilà ». Et en fait elle m’a réaccrochée, je l’ai revue. Elle dure 20 minutes, j’y suis retourné avec… Voilà. Je me suis délectée. J’ai pleuré, j’ai été en colère, j’ai détesté encore plus les flics. Mais il y avait vraiment… Mais surtout, en fait, cette vidéo, elle m’a fait gonfler le cœur. Genre vraiment j’étais… Enfin je me suis dit : « Ok, je quitte l’expo, je vais brûler des caisses en fait ». Genre vraiment ça y est, c’est parti, enfin la révolution est en marche, etc. Enfin, faut vraiment se dire qu’on voit des images de luttes à travers le monde, de femmes qui gueulent, qui crient, qui se soutiennent entre elles. Enfin vraiment c’est… c’est juste… Et c’est hyper simple comme geste, c’est vraiment genre des images d’archives, etc. qu’elle met côte à côte et c’est hyper agissant et ça vient vraiment mettre les corps en mouvement. Et je trouvais qu’en plus c’était trop beau du coup d’allier cette exposition avec notre sujet-là, parce qu’il y avait vraiment ce truc-là de ok, la lutte elle est hyper violente, ok c’est hyper dur, etc. parce que vraiment on voit les flics s’en donner à cœur joie en tabassant les nanas, tu vois. Mais… Et en même temps, ce truc de… Enfin, il y avait des gestes trop… Par exemple, enfin moi je sais pas, genre cette image-là elle m’habite encore. C’est que à un moment donné, il y a une… une nana qui tient une pancarte ou que sais-je, qui gueule, etc. Et tu as les flics qui lui balancent de l’eau dessus pour la faire fuir quoi. Et en fait, t’as juste un mec qui se met derrière elle et qui la tient, qui juste la tient pour pas qu’elle tombe, en fait. Et juste il y avait des images comme ça. Je sais pas juste d’en reparler, ça me donne des frissons et tout. Et… Et j’ai trouvé que ce geste-là était hyper simple mais hyper efficace quoi. Bueno ? [elle rit] Ok. Bon, vous faites tous et toutes oui de la tête. Donc je pense qu’on va finir là-dessus. Merci cher.ère.s auditeurices de nous avoir écouté.e.s.

[01:19:22.390] – Luce Giorgi

Merci.

[01:19:23.203] – Samy Lagrange

Merci.

[01:19:23.230] – Camille Bardin

On remercie également toute l’équipe de Projets sans qui ce podcast ne pourrait pas exister. Donc il y a Marc Beyney-Sonier, Gelya Moreau, Antoine Allain, Lucie Dumoulin et Martin Hernandez qui monte ces épisodes, merci à elleux. Merci aussi Cosima Dellac qui retranscrit les épisodes pour Jeunes Critiques d’Art. Merci à vous trois pour cet échange.

[01:19:43.870] – Mathilde Leïchlé

Merci !

[01:19:44.140] – Luce Giorgi

Merci !

[01:19:44.290] – Samy Lagrange

Merci beaucoup !

[01:19:44.440] – Camille Bardin

On vous dit à dans un mois mais d’ici là, prenez soin de vous et on vous embrasse. Ciao !

[01:19:48.586] – Mathilde Leïchlé

Salut ! 

[01:19:49.121] – Samy Lagrange

Au revoir !

[01:19:49.180] – Luce Giorgi

Ciao !