SWEET MONSTERS

Véritable plateforme prospective, la jeune foire internationale de design contemporain Collectible, dédiée aux pièces de collection, s’inscrit cette année à Bruxelles dans les Sheds de Tour & Taxis. Alors que la diversité des productions exposées corrèle à la sélection pointue de galeries, collectifs, designers et créateurs trans-disciplinaires participants, une tendance se dégage particulièrement de cette sixième édition : une fascination pour la monstruosité, interprétée par des morphologies inattendues.

Au cœur de Collectible, le studio et concept store danois Tableau présente l’exposition « You Can Be Anything » : un group show qui met à l’honneur la notion d’inclusivité et d’acceptation à travers des pièces hors des sentiers battus. Célébrant l’association de l’étrangeté et de l’ouverture d’esprit, les créations exposées invitent le regardeur à s’interroger sur la définition de l’identité : c’est notamment ce que montrent les créations de Kristine Mandsberg (née en 1983, Danemark) avec ses sculptures à franges qui semblent presque vivantes.

Kristine Mandsberg, Pink Fringe Bomb, 2018, courtesy of TABLEAU (Copenhague)

 

Dans la même veine plastique, et partageant un esprit tentaculaire similaire, on retrouve le Boudins Bowl du studio français Sabourin Costes, fondé par Paola Sabourin et Zoé Costes : entièrement réalisé à la main en résine translucide, ce centre de table paraît en mouvement comme le serait une anémone ou une créature ovniesque. La couleur verte acidulée renforce sa nature extra-ordinaire, ce qui en fait un objet de curiosité au relief graphique.

Sabourin Costes, Boudins Bowl, 2018, courtesy of Objects With Narratives (Belgique)

 

Cette démarche artisanale qui vise à envelopper la surface de l’objet par une matérialité expressive se retrouve dans le grand cabinet Ova du studio stambouliote Yellowdot : cinq cent soixante balles de tissus conçues à la main recouvrent la « peau » du meuble cylindrique, évoquant ainsi l’idée d’une mue.

Studio Yellowdot, Ova Pink Cabinet, 2023, courtesy of Studio Yellowdot (Hong Kong / Istanbul)

 

Cette idée de mutation, qui suppose le passage d’un état normal à un état « monstrueux », s’affirme pleinement dans le secteur Curated de Collectible, piloté par l’artiste et designer Leo Orta. Ce dernier a invité le studio allemand Basse Stittgen à présenter son projet Tree of Culture qui consiste en plusieurs éléments inspirés des identités et matières végétales (écorce, cellulose, tiges). En résultent des étagères murales croisées à des lampes en formes de champignons, habillées d’un fascinant noir pétrole célébrant, a contrario, la beauté du bio-design.

Studio Basse Stittgen, Tree of culture, 2022, courtesy of the studio (Allemagne)

Plus loin, les lampes de Sangmin Oh (né en 1994, Amsterdam) établissent une atmosphère mystique qui rappelle la lueur des récifs coralliens sous-marins, par le biais de l’expérimentation textile : le jeune designer d’origine coréenne enclenche ici une réflexion sur l’apparence des formes issues de la nature, réinterprétée par le biais de la couleur et de la maille.

 

Sangmin Oh, Caulastraea Junior of Knitted Light, 2023, courtesy of the designer (Amsterdam)

 

À l’image de la chimère, la notion de monstruosité implique l’emprunt de plusieurs signes iconographiques dans la constitution d’un seul être, d’un seul objet. C’est par ce leitmotiv esthétique que la créatrice Anna Aagaard Jensen (née en 1991, Rotterdam) exprime son mobilier : mi-humaines mi-végétales, ses sculptures-objets exposées par la galerie Etage Projects offrent une subtile critique du genre par l’exagération des symboles féminins. En définitive, le design contemporain s’ouvre à l’interrogation de sa propre nature, de son propre genre ; et ses codes visuels, plastiques, participent activement à cette remise en question.

Anna Aagaard Jensen, Dining with Daisy Table #1, 2022, courtesy of Etage Projects (Copenhague)