Le temps d’un weekend, une nouvelle édition des Ateliers Ouverts I Les Rencontres de Montmartre est organisée au sein des résidences d’artistes Art Explora x Cité internationale des arts x Académie des beaux-arts.

L’évènement relève d’un caractère unique et pour cause : la découverte d’un site protégé dont l’accès est normalement interdit, les ateliers d’artistes, nichés dans un parc à Montmartre, pour profiter d’un moment d’échange privilégié avec une trentaine d’artistes résidents.

Afin d’événementialiser ce temps de rencontres exclusif, un programme spécifiquement conçu va se déployer sur 48h, entre visites, discussions, ateliers, performances, mais aussi concerts et projections.

Félix Touzalin, artiste, performeur & chroniqueur pour Projets, a rencontré l’équipe de la direction artistique et nous livre une analyse de cette manifestation.

© Maurine Tric

Les ateliers ouverts d’Art Explora : une expérience performative ?

Les 21, 22, et 23 juin prochain, Art Explora ouvre les portes de ses ateliers d’artistes en plein cœur de Montmartre. L’occasion de découvrir des travaux et réflexions d’artistes internationaux, pris sur le vif de leurs déplacements, tant sur le plan géographique que sur le plan des pratiques, la déterritorialisation suscitant souvent des reconfigurations plastiques et théoriques favorisés par ces contextes de résidence. D’une durée variable allant de trois à six mois, le programme d’accompagnement d’Art Explora se veut complet et comprend des logements, une bourse de vie, une bourse de création et une assistance pour rencontrer les acteurs de la vie artistique parisienne. Notamment sur le plan de l’accès à des savoir-faire spécifiques ; le site de Montmartre n’étant pas pourvu d’ateliers techniques. 

© Maurine Tric

Intitulé Ateliers Ouverts I Les Rencontres de Montmartre, l’évènement pose en effet la question de la nature et de la temporalité d’une rencontre avec une œuvre. Les rencontres vont ici se produire au contact d’œuvres qui, pour la plupart, n’ont pas encore trouvé leurs contours, et dont l’avancement est incertain, cherchent à s’ajuster. Ainsi, ces trois jours de portes ouvertes déploieront des temps d’échanges, de visites d’atelier, de discussions et de débat, de performances, de projections et de lectures ; autant d’à cotés qui précèdent l’œuvre ou l’environnent mais ne la spécifient pas. On peut alors s’interroger sur le sens de cette mise à vue de la période de gestation d’une œuvre. Que contient la coulisse et qui informerait si bien sur le spectacle à venir ? De quoi est fait exactement cet accès à la « mise en œuvre », à la préparations, à ce qui annonce le geste artistique ? Mettre en œuvre c’est cheminer vers ; c’est donc une action qui pense ; un « faire » tourné vers l’horizon. C’est à cet endroit-là du mouvement que les artistes seront alors saisis et vus. Ce temps du mouvement, couplé à la mise à vue, dessine une manière originale de représenter qui n’est pas sans rappeler certaines marottes de la performance : produire des actions en dehors de tout contexte scénique conventionnel, et avec une démarche de remise en question des codes établis de la représentation. 

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Cet enjeu de mise en mouvement est au cœur du projet d’Art Explora. C’est ce que défend sa directrice Blanche de Lestrange : « Nous sommes attachés à la mobilité́ des œuvres et des artistes car à travers elle c’est une mobilité des idées qui est rendue possible. C’est d’ailleurs toute l’ambition du Festival Art Explora et de son bateau-musée qui repense le modèle classique de l’exposition en procédant par dépôt et agrégation autour du bassin méditerranéen. Nous travaillons également à un nouveau programme de résidence d’artistes à Tirana. Il ouvrira ses portes en décembre prochain et sera principalement à destination d’artistes des Balkans. Nous investissons la Vila 31, située au cœur de la capitale albanaise, et qui est l’ancienne demeure d’Enver Hoxha, ancien dictateur qui dirigea le pays de manière sanglante durant quatre décennies. Pour ce faire, nous collaborons avec le cabinet d’architecture NeM, connu pour leur implication aux côtés de Tadao Ando dans le projet de la Bourse du Commerce, il s’agit de repenser près de quatre mille mètres carrés pour accueillir les artistes dans les meilleures conditions ». Il est intéressant de noter qu’ici le geste architectural destiné à l’exposition rejoint celui destiné à l’accueil de la vie des artistes et à la fabrication des œuvres. L’un et l’autre n’étant peut-être plus qu’un seul et même moment ; en témoigne également l’exercice de ces ateliers ouverts ? 

Temps de répétition, salle de répétition, régie son et/ou lumière, sont autant d’exigences qui la distingue des arts visuels et qui dessinent pour les programmateurs une éthique nécessaire du soin et du temps long. 

© Maurine Tric

Si ces temps d’ateliers ouverts relèvent de la performance, on peut alors s’interroger sur ce qui les distingue de formes performatives indiscutablement admises comme telles ? C’est peut-être que l’objet d’attention reste ici encore trop indistinct ou emmêlé. Que voit-on dans ces ateliers ouverts ? Qu’est-ce qui est rendu visible, l’action de l’accompagnement – celle de l’institution – ou l’œuvre des artistes ? 

Visibiliser une action d’accompagnement n’est pas visibiliser une œuvre ; c’est peut-être, et c’est déjà beaucoup, conduire jusqu’à l’artiste, le plaçant dans une position de médiateur et de performeur de son propre travail. Or il s’agit bien là d’une voie particulière d’accès à l’œuvre. Une entrée qui semble à la fois nous en rapprocher, par le plaisir d’être en contact avec l’intimité́ d’un auteur, et en même temps nous en éloigner par une entreprise de séduction, de mise en scène, qui en altèrerait l’authenticité. 

© Maurine Tric

Le nœud trouve alors à se desserrer dans des propositions qui s’attachent à faire tenir ensemble la praxis et la poēsis. C’est-à-dire à donner une même importance à l’objet artificiel produit qu’à l’action qui a présidé à sa réalisation ; action qui pourrait se suffire à elle-même, n’avoir aucun autre objet ou visée qu’elle-même. C’est par exemple le cas du workshop Let the work speak for itself* de l’artiste Camerounaise Grâce Dorothée Tong, et qui consiste en la fabrication collective d’une grande broderie à partir de l’enseignement des points traditionnels du « Making » pratiqués dans la partie anglophone du Cameroun. L’artiste s’intéresse à la création artisanale et mène son projet de résidence sur l’étude des technologies ancestrales en zones rurales françaises, afin d’établir des dialogues favorisant l’engagement. Son but est de donner naissance à des productions issues de partage de racines qui se croisent et se tissent par des activations de savoir-faire. On comprend alors que l’atelier proposé pour ces portes ouvertes participe d’un même geste de fusion entre processus et résultat, dans un continuum qui en lui-même a valeur d’œuvre. 

Au fond, du haut de ce petit mont, Olympe profane, ce qui est posé à travers ces ateliers ouverts c’est peut-être la question du sacré. L’invisible reste-t-il l’apanage de l’art quand il est question de tout voir ? 

© Maurine Tric

*Workshop Actions before words – Let the work speak for itself. Bavarder, rester en silence ou travailler ? / par Grâce Dorothée Tong dimanche 23 juin, de 14h à 16h, dans le jardin, 15 rue de l’Abreuvoir 75018.