SE TIRER SUR LA COMÈTE
arpentage des planètes queer
Par Samy Lagrange
On arpente les fictions queer pour retrouver les histoires que l’on nous a dérobées, on se projette sur des planètes queer pour échapper à l’orbite imposé.
#11 MAXIME BUONO
Parfois, je joue seul derrière la maison. Même s’il a toujours été là, s’il est tout proche des autres lieux si familiers qui constituent mon domaine d’enfant, ce repli de terrain me paraît résolument inconnu. Pris entre deux murs – entre chez moi et plus chez moi – l’espace existe sans servir à quoi que ce soit. On n’y passe pas, on n’y fait rien, à peine on y stocke quelque chose. Il a, depuis longtemps, perdu sa fonction sociale. J’y suis mal à l’aise, je ne sais pas comment y jouer, j’arrive à peine à me tenir au centre quelques minutes. Pourtant, j’y vais régulièrement, guidé par un esprit de conquête ou bien hypnotisé par l’endroit. J’en ai fait le lieu d’une hantise incompréhensible, et l’ai placé juste derrière chez moi pour m’obséder au quotidien.
Well born est une sorte de pirate qui navigue à travers ces crypto-lieux. Il s’aventure dans ces espaces-frontières qu’on peine à définir, là où on ne vit plus vraiment. Il s’y installe et il traîne ; de là il observe.
@well__born
Enfant fin-de-siècle, Well born est l’héritier d’une génération qui a modelé les espaces suivant ses ambitions productivistes et ses envies rationalistes. En vérité, le territoire s’est fait rouler dessus par le capitalisme. Il a brouillé ses fonctions anthropologiques, il a forcé les géographes à tordre les définitions, à créer des non-lieux et des hyper-lieux. Certains ont surgi au milieu de nul part – Disneyland et l’aire d’autoroute de Montélimar. D’autres ont été rendus inopérants – un goût d’abandon dans les rues des cités-dortoirs. Côte à côte, ces nouveaux espaces se côtoient bizarrement. Entre, ça fait des creux et des fissures dans le paysage.
Parfois, par habitude ou par malaise, on n’y prête plus vraiment attention. On passe devant, on passe dedans, et c’est tout et c’est triste. Mais le pirate est bien né, il est clairvoyant. Il voit par-delà le voile de ruine et de seum, à travers les tromperies et les artifices. Il déchiffre les cadastres et démasque ce qu’il se passe derrière les agencements absurdes de la modernité. Le pirate est bien né, il est alchimiste. Il souffle dans le brouillard, et crache dans les flaques. Le plomb devient or, l’eau se fait vin. Alors, devant nous, un nouveau décor apparaît qui rend toutes les frontières factices.
@well__born
Que ce soit par le storytelling ou l’installation, Well born fait dans la réhabilitation d’espaces. Il nous entraîne dans des quêtes irrationnelles là où on pensait qu’il n’y avait plus rien à vivre. Il prend le temps d’explorer la map, il se penche sur tous les items. Il réfléchit en s’affranchissant de la logique et de la raison. Ici, on ne hiérarchise plus les savoirs. À la fois sorcier et sociologue, il formule des questions qui n’avaient jamais été formulées. Les réponses sont métaphysiques ou hallucinées, parfois les deux. Tout est vrai pourtant. Alors les espaces artificiels deviennent des seuils et, derrière, les réalités sont exponentielles.
Well born raconte les histoires cachées dans les souterrains de gare, au bas des éoliennes ; et il dévoile les potentialités fantasmatiques du repli de terrain derrière chez moi. Je sentais bien que quelque chose se planquait et m’appelait.
@well__born
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Merci à Maxime de vloguer les réalités parallèles où je crains parfois de m’aventurer.
Maxime Buono fait partie du collectif Château Faible qui a récemment ouvert l’exposition En chair et en vain aux Brasseries Atlas de Bruxelles.
Chemin de traverse, déviation dans l’arpentage : les errances virtuelles et irl de Titouan Makeeff.
@well__born