“DON’T WORRY”
Avec un positionnement orienté vers la mise en lumière d’une nouvelle génération de galeries et d’artistes, Paris Internationale soutient la diversité d’une scène qui contribue à un art contemporain pluriel. Établie cette année dans le Central téléphonique Le Coeur, à Paris, la foire alternative réunit une sélection d’œuvres qui laisse émerger une tendance visuelle nourrie par l’inquiétude, l’accident, le danger.
Parmi les stands, The Steidz a sélectionné les indices de cette menace qui rôde.
Jennie Bringaker, Lineage, 2023, courtesy de Femtensesse (Oslo)
Sami Schlichting, f4, 2023, courtesy de Lucas Hirsch (Düsseldorf)
Par la notion d’inquiétude, s’entend un sentiment d’inconfort, d’incompatibilité, qui mène à se questionner sur les tensions qui résident au sein d’une chose, d’une scène ou d’un concept. S’appuyant sur ce constat, certaines œuvres présentées à Paris Internationale laissent percevoir une certaine agitation qui utilise l’image — plane ou tridimensionnelle — comme catalyseur de cette sensation. À commencer par d’étranges associations : les céramiques de Jennie Bringaker (née en 1978, Oslo) greffent carapaces de tortues et corps féminins, créant ainsi d’étranges figures tourmentées ; en parallèle, les sculptures murales de Sami Schlichting (né en 1987, Cuxhaven) déploient des sortes de cages métalliques dans lesquelles semblent piégés divers éléments organiques, méconnaissables.
Zoe Williams, Night drive, 2022, Zircon gem, ink and pencil on paper, 50,8 x 40,64 cm, courtesy de Ciaccia Levi (Paris / Milan)
Installation de Sofía Salazar Rosales, courtesy de ChertLüdde (Berlin)
Yu Nishimura, gaze, 2023, huile sur toile, courtesy de Crèvecœur (Paris)
La matérialité de ces pièces participe activement au niveau d’étrangeté qui leur est attribué. Ainsi, la froideur du bronze patiné dans les souliers reptiliens d’Angelika Loderer (née en 1984, Feldbach), ou le polyuréthane dégoulinant de la série Pokal de Raphaela Vogel (née en 1988, Nuremberg), entretiennent une aura lugubre qui fait dévier le réalisme de l’objet initial (une paire de chaussures, un trophée) vers une troublante métamorphose. Dans la même veine, l’installation artistique instaure dans un espace défini tous les indices que son auteur souhaite traduire : Veronika Hilger (née en 1981, Prien am Chiemsee) place, dans une logique monochrome entièrement noire, un duo d’hameçons sur socle, lui-même étant dressé sur un étrange tapis anthropomorphique. Sofía Salazar Rosales (née en 1999, Quito), quant à elle, n’hésite pas à faire planer un certain danger avec ses arabesques métalliques aiguisées, suspendues au-dessus de traces rougeâtres ensablées.
Raphaela Vogel, Pokal, 2015, élastomère polyuréthane, courtesy de BQ Berlin
Angelika Loderer, Counterpart, 2023, bronze patiné, courtesy de Sophie Tappeiner
Le bouleversement du paisible se manifeste aussi dans la peinture. Formes d’esthétisation qui s’inscrit dans la continuité du glitch art, les “flous brossés” de Yu Nishimura (né en 1982, Kanagawa) font preuve de ce parasitage. La figure frontale et stable de ses portraits affronte ici deux facteurs perturbateurs : l’abolition de toute netteté et la superposition d’éléments extérieurs qui s’imposent au cœur de la toile. Dans la peinture Night drive de Zoe WIlliams (née en 1983, Salisbury), une toute autre vision de l’intranquillité est explorée. Au-delà de la palette rose qui baigne la scène dans une ambiance surréaliste, l’artiste britannique fait coexister l’acte de conduite automobile avec une intrusion d’objets extrinsèques : un smartphone, une peluche, un sextoy. Autant d’indices semés qui viennent troubler la concentration vitale du personnage dont le regardeur est contraint d’adopter le point de vue ; soit un art de la divergence qui annonce une sortie de route volontaire, loin de toute quiétude.
Veronika Hilger, Untitled, 2023, ceramic, glazed, rope, 36.6 × 30 × 31.5 cm, courtesy de Sperling (Munich)