Interview avec Yvannoé Kruger, directeur artistique de POUSH
Marie Maertens : Yvannoé Kruger, vous êtes le directeur artistique de POUSH depuis sa création, et aujourd’hui son directeur. Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette aventure ?
Yvannoé Kruger : Je travaillais à la programmation artistique du Palais de Tokyo et j’étais au contact de nombreux artistes, notamment par des visites d’ateliers, quand j’ai rencontré Hervé Digne. A l’époque, il lançait Manifesto avec Laure Confavreux-Colliex, une jeune entreprise de projets artistiques et culturels qui a bien grandi depuis. En 2018, nous avons eu l’opportunité de réinventer une façon d’occuper une ancienne usine que nous avons nommée « L’Orfèvrerie » avant d’y convier plus d’une centaine de plasticiens tel que Neïl Beloufa, David Douard ou Jean-Marie Appriou… C’est après cette première aventure qu’Hervé et Laure ont co-fondé POUSH.
A ce moment-là, quelle était votre mission ?
Je pouvais m’exprimer en tant que commissaire, programmer des expositions et continuer de rencontrer des artistes. Ce qui comptait était de les comprendre et de pouvoir proposer ou devancer leurs envies. Puis, un promoteur immobilier, Sogelym Dixence, nous a contactés à propos d’une grande tour de bureaux des années 1960, qui se situait juste au-dessus du périphérique. Le lieu nous a orienté vers un profil d’artistes un peu plus jeunes ou plus émergents qu’à l’Orfèvrerie. Nous avons fait des appels à candidatures et la plupart des premiers arrivés étaient parisiens ou sortaient de l’école, mais il y avait aussi ceux qui avaient été seuls pendant longtemps et ressentaient l’envie de partager à nouveau avec d’autres. Nous l’avons appelé POUSH car nous étions Porte Pouchet et notre première saison s’est construite autour de cette idée de frontière, permettant de nombreuses collaborations. Nous pensions que cela allait être éphémère, d’autant plus que nous étions au début du premier confinement, mais quand nous avons pu ouvrir officiellement le lieu, cela a été une immense bouffée d’oxygène pour les artistes dont tous les projets avaient été annulés. Tout le monde avait de nouvelles productions à montrer et cette cohabitation a créé une grande proximité entre tous.
Vous aviez pensé le projet en termes d’ateliers d’artistes et d’expositions, mais pas nécessairement que POUSH allait faire émerger autant de collaborations ?
Exactement et au fil du temps, nous avons vu que la qualité des artistes rassemblés et le développement du collectif entre eux grandissait. Comme nous savions que notre occupation dans la tour à Clichy était éphémère, nous avons commencé à penser à une troisième ville, pour continuer à accompagner ces 250 artistes. Nous avons trouvé cet ancien campus industriel de 20 000m² à Aubervilliers où nous avons différents espaces d’expositions dont un spectaculaire de 2 000m². Nous avons continué à sélectionner davantage d’artistes dont environ 30% d’internationaux. Lors du dernier appel à candidatures, nous avons reçu des demandes de Londres, Berlin ou New York ! Le Grand Paris, comme la France, a retrouvé un pouvoir d’attraction pour les artistes pareil aux grandes années de Montparnasse et de l’École de Paris.
Comme si l’essai Quand New York vola l’idée de l’art moderne… de Serge Guilbaut – qui relatait comment l’art contemporain était passé de Paris à New York dans les années 1950 – était en train de s’inverser ?
Il y a un peu de ça… et il est extrêmement agréable d’avoir ces bulles culturelles rafraîchissantes qui viennent éclore à Paris. En effet, il est fascinant d’observer à quel point, dans un monde globalisé comme le nôtre, chaque région culturelle est différente. Celle de New York et distincte de celle de Londres, sans parler de l’Amérique latine, du Brésil, de l’Asie ou des pays du Moyen-Orient. L’histoire l’a souvent confirmé, mais la scène française ne se porte jamais aussi bien que lorsqu’elle bénéficie de cet enrichissement venant des quatre coins de la planète.
Avez-vous l’impression que l’identité de POUSH soit un modèle unique au monde ?
Peut-être par le nombre et le niveau des artistes, car nous en avons beaucoup de confirmés, aux côtés d’étoiles montantes, du moins nous l’espérons… Nous sommes assez exigeants dans l’attribution des ateliers et avons déjà eu des figures de la Biennale de Venise qui voulaient avoir des espaces à des prix accessibles, mais nous favorisons plutôt des profils d’artistes dans le partage. Le but est de trouver un intérêt pour le collectif alors que chacun doit créer sa signature, ce qui n’est pas évident. C’est très réjouissant de voir toutes ces interactions qui naissent, ces expositions qui ouvrent où un artiste en embarque deux ou trois autres. Cela fonctionne aussi avec les commissaires, car nous en accueillant à présent dans le bureau des penseur.euses. Ils sont témoins de ce qui se passe, viennent écrire et proposer des projets. Nous avons également un studio pour les chorégraphes ou ceux qui travaillent autour du corps et un étage dédié aux pratiques sonores.
Au sein de POUSH, faites-vous un nombre d’expositions dédié par an ?
Nous avons accueilli près de 170 expositions depuis l’ouverture de POUSH. La Coupole, espace central d’expositions de 2 000m², nous permet de présenter le travail des artistes résidents, en complicité des talents plus établis. Avec les ateliers qui montrent l’art en train de se faire, la Coupole est un aimant pour les visites du grand public, et notamment les scolaires et habitants du territoire. En ce moment, l’exposition Nord-Est met en valeur les artistes de POUSH en réseau avec ceux du 93 et notamment la participation généreuse d’un de ses pionniers, Thomas Hirschhorn. La Seine-Saint-Denis est probablement l’un des plus grands viviers d’artistes au monde, aussi avec le 6B, Artagon, la Fondation Fiminco ou le Wonder… et nous pouvons en être fiers.
D’ailleurs vous avez invité Thomas Hirschhorn a réaliser une grande installation immersive, que le public est amené à compléter…
Oui et nous avons suggéré aux artistes de faire des propositions plus en lien avec les habitants du quartier, qu’ils ont l’habitude de côtoyer. Par exemple, Emmanuelle Ducrocq a pris le temps d’aller voir chaque commerçant avenue Jean Jaurès, de la Porte de la Villette à la Courneuve pour leur emprunter une chaise. Le projet global rend hommage aux pizzaiolos, aux bistrotiers, aux boulangers, aux vendeurs de meubles, aux tailleurs de marbre… et à tous leurs ADN très particuliers. C’est la première fois que nous sommes autant ouverts au public.
L’identité POUSH se développe également hors-les-murs et vous avez été invités par la Collection Lambert pour l’exposition Revenir du présent, regards croisés sur la scène actuelle. Comment ce projet s’est-il monté ?
Il est vrai que nous sommes de plus en plus souvent conviés en extérieur. La Monnaie de Paris avait été le premier à nous inviter, en 2021, et ce sont toujours de formidables opportunités pour les artistes. Par exemple, nous avons récemment été appelés par le LRRH, Centre d’Art à Düsseldorf, où Dominique Gonzalez-Foerster intervenait également, ainsi qu’à Chaillot Théâtre national de la Danse pour une carte blanche le temps d’une soirée ou encore pour la programmation artistique et musicale de la soirée des 25 ans de Art Paris. La Collection Lambert nous a proposé d’inventer une exposition main dans la main sur la scène actuelle, pour laquelle nous avons fait voyager 40 artistes. L’idée est peut-être d’utiliser POUSH comme un point d’observation, un prisme pour regarder ceux qui travaillent en France aujourd’hui. Nous avons proposé une exposition en cinq chapitres aux esthétiques bien distinctes. A travers notre ADN, nous offrons au public un aperçu inédit de l’art en train de se faire et leur proposons de se plonger dans cette multitude de courants naissants.
« Nord-Est », POUSH, 153 avenue Jean Jaurès, 93300 Aubervilliers, du 5 avril au 13 juillet, du jeudi au dimanche (14h-18h). Visites guidées les samedis et dimanches à 15h. Médiation en permanence. Inscription sur www.poush.fr (gratuit).
« radicar raði’kaɾ », POUSH, 153 avenue Jean Jaurès, 93300 Aubervilliers, du 5 avril au 31 mai. Exposition ouverte le samedi de 14h à 19h. Visite sur rendez-vous (0764262576), Inscription sur www.poush.fr (gratuit).
« Revenir du présent, regards croisés sur la scène actuelle », Collection Lambert, 5, rue Violette, 84000 Avignon, du 10 février au 12 mai, collectionlambert.com