Ce mois-ci, rendez-vous au au Musée d’art et d’histoire de Genève, où Félix Touzalin a rencontré l’artiste Rasheedah Phillips. Dans le cadre du programme « IT’S ABOUT TIME », initié par Thomas Conchou au MAH, artistes, théoricien·nes, auteur·ices et chercheur·euses sont invité·es à investir les espaces du musée, un jeudi par mois, pour dévoiler des performances inédites autour de la notion du temps.
Le 6 février dernier, l’artiste queer interdisciplinaire Rasheedah Phillips y a présenté une conférence performée en lien avec son dernier ouvrage : « Dismantling the Master’s Clock : On Race, Space, and Time ».
TRANSCRIPTION
00:00:32:11 – 00:00:54:03
Felix Touzalin
Bonjour Rasheedah Phillips. Merci d’avoir accepté cette interview pour Projets Media. Nous sommes actuellement au Musée d’art et d’histoire de Genève, où vous avez présenté hier soir une performance consistant en une lecture de votre livre « Dismantling the Master’s Clock: On Race, Space, and Time ». Pourquoi avez-vous choisi le format de conférence performée pour partager vos réflexions sur la construction du temps ?
00:00:54:05 – 00:01:18:17
Rasheedah Phillips
La conférence performée est quelque chose que j’utilise tout au long de ma pratique pour présenter mon travail, en partie parce que le travail, les mots eux-mêmes peuvent être complexes et les concepts vraiment compliqués. Donc, pouvoir les décomposer de manière plus performative et interactive, je pense que cela peut être utile pour que les gens puissent accéder au contenu.
Cela rend aussi la chose plus amusante pour moi, de pouvoir intégrer des éléments performatifs plutôt que de simplement lire. Parce que pour moi, ça devient trop ennuyeux de juste lire. Donc, oui, j’ai adopté ce format comme une manière de présenter mon travail, et je l’utilise très souvent, en performant avec ma partenaire Camae, qui est musicienne, et avec qui nous avons un collectif qui s’appelle Black Quantum Futurism. C’est donc vraiment un mode de performance que nous avons adopté. Typiquement, quand je fais des conférences performées, il y a de la musique derrière moi, de l’improvisation, et d’autres éléments qui s’ajoutent. Cette version, hier, de la performance était un peu plus simple que d’habitude.
00:02:07:18 – 00:02:38:17
Felix Touzalin
Vos performances reposent souvent sur ce modèle de conférence ?
Rasheedah Phillips
Oui. Presque toujours. Je ne me considère pas vraiment comme une poétesse, mais mes mots peuvent parfois se prête à des éléments plus performatifs, en fonction de la manière dont ils sont construits. Et j’écris certains de mes essais pour qu’ils soient performés, d’une certaine manière. Donc, oui, c’est quelque chose que je fais souvent, mais je fais aussi des conférences traditionnelles, car je suis également avocate et militante, et je dois parler beaucoup et faire de nombreuses présentations. Ce n’est pas quelque chose que je fais tout le temps, mais plutôt dans le contexte d’événements comme celui-ci.
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Felix Touzalin
Votre réflexion sur le temps est politique, elle s’ancre dans une perspective queer et décoloniale. Mais elle est aussi ancrée dans la science. Dans votre travail, vous expliquez que l’hypothèse fondamentale de la physique des particules modernes perturbe la notion linéaire du temps et nous invite à réimaginer l’interaction du passé, du présent et du futur. Alors, comment intégrez-vous la dimension scientifique dans votre processus créatif ? Et aussi, pourriez-vous nous expliquer en quoi consistait votre résidence au CERN en 2021 ?
00:03:22:16 – 00:03:48:24
Rasheedah Phillips
Oui. La science fait partie de mon travail, et ce, depuis longtemps, principalement à cause de ma fascination pour les voyages temporels. C’est de là que vient une grande partie de mon intérêt pour la science et la physique quantique. J’ai toujours été vraiment intéressée par la science-fiction depuis mon enfance.
En grandissant, j’écrivais mes propres histoires, et cela m’a poussée à faire beaucoup de recherches sur le temps. La physique quantique offrait vraiment un mécanisme intéressant pour déconstruire le temps, ou pour penser le temps différemment, pour imaginer des choses au-delà de ce qui nous est présenté dans la réalité.
C’est donc en grande partie de là que vient ma fascination. Et lorsque je me suis associé·e Camae, et que nous avons formé Black Quantum Futurism, elle avait aussi un intérêt de longue date pour la physique quantique et la science. Et donc, tout s’est parfaitement assemblé pour nous permettre de contextualiser notre pratique artistique et notre collaboration autour de la physique quantique en particulier.
J’ai aussi vu beaucoup de connexions entre des éléments de la physique quantique et la manière dont le temps est traité dans d’autres cultures. Il y a beaucoup de parallèles et de connexions qui ne sont pas toujours abordés ou simplement, encore une fois, présentés à nous comme une autre façon de regarder le temps.
Et c’est ce qui nous a amené au CERN. Notre projet au CERN s’appelait « CPT Symmetry and Violations ». Nous avons étudié ce phénomène en physique appelé CPT, qui signifie charge, particule et temps. Et c’est essentiellement un principe qui dit que ces choses dans l’univers sont symétriques. Donc, pour le temps, par exemple, cela signifie qu’une particule de temps au niveau de la physique quantique devrait être capable d’aller en avant et en arrière dans le temps.
Mais nous ne voyons pas cela dans notre réalité quotidienne. Dans notre réalité quotidienne, nous voyons la linéarité. Et donc, oui, nous voulions aller au CERN et pouvoir parler à un physicien quantique de ce phénomène, du temps en général. Quelque chose qui, vous savez, nous obsède à nouveau. C’était donc vraiment une excellente occasion d’étudier et de discuter avec des physiciens sur le temps et d’en apprendre davantage à ce sujet, et d’échanger avec des scientifiques sur la manière dont ces choses, encore une fois, s’appliquent à travers différentes cultures, différents contextes, comment le temps peut être perçu différemment selon ce que le physicien cherche à découvrir, ce qu’il cherche à poser comme question ou à étudier.
Donc, ce n’est pas juste une chose, ce n’est pas juste une dimension ou quelque chose qui est mesuré par l’horloge nécessairement. Mais il existe différentes manières de mesurer le temps, tout comme il existe différentes manières de penser le temps dans d’autres cultures.
Felix Touzalin
Et en réunissant les sciences humaines, les arts, la science et la création artistique dans la même enquête sur le temps, vous soulevez essentiellement la question de la vérité, en suggérant que c’est une notion vraiment relative et subjective, et que la science est une discipline créative. Est-ce correct ? Pouvons-nous dire cela à propos de votre projet artistique en général ?
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Rasheedah Phillips
Je pense que oui, c’est une manière précise de le dire. Je crois définitivement que la science est plus créative que ce qu’on nous a dit. Ou du moins dans mon contexte, dans ce qu’on m’a appris, on m’a toujours enseigné que la science est une discipline très rigide.
La science, c’est une seule chose. Vous ne pouvez pas violer ses lois. Mais c’est finalement une pratique très créative et imaginative. On apprend d’ailleurs que les scientifiques sont inspirés par des choses comme les rêves ou des choses très abstraites, que l’on pourrait ne pas associer à la science. Car ces personnes sont aussi humaines et ont des désirs humains et des inspirations humaines.
Et, vous savez, quelque chose dont je parlais beaucoup avec les scientifiques du CERN, c’est que beaucoup d’entre eux sont poussés par le désir de savoir ce qu’est la vérité ou ont ces questions fondamentales sur l’univers, ce qui est une chose très humaine. Ce n’est pas une réflexion pragmatique.
00:08:20:16 – 00:08:39:10
Felix Touzalin
Sur la façade de ce musée, il y a une œuvre célèbre de Gianni Motti, « Big Crunch Clock », qui consiste en un compte à rebours jusqu’à la fin du monde, présentée sous forme d’une ligne de chiffres rouges. La forme du temps est l’un de vos sujets. Il semble que vous soyez particulièrement intéressée par la forme de l’horloge. Pourquoi cette forme est-elle importante pour comprendre l’approche occidentale et normative du temps ?
00:08:39:12 – 00:09:08:17
Rasheedah Phillips
L’horloge a une très longue histoire et a été utilisée à des fins politiques, à des fins coloniales. Ces histoires sont vraiment importantes à comprendre parce que, encore une fois, la manière dont nous pensons à l’horloge, lorsque nous lisons l’horloge, nous la considérons comme l’heure véritable.
Et pour reprendre votre question précédente sur la vérité, la vérité signifie des choses différentes pour différentes personnes. Et ce n’est pas quelque chose qui est objectif ou séparé, ou qui peut être décontextualisé des expériences des gens. Et je trouve que l’horloge fait ça. Elle décontextualise ces choses. Nous regardons souvent l’horloge et c’est un objet, mais nous la voyons comme quelque chose qui nous dit la vérité à propos de quelque chose.
La vérité est flexible et contextuelle. Et oui, je vois l’horloge comme un outil, mais elle ne nous dit pas nécessairement quelle heure il est. C’est quelque chose qui est censé mesurer le temps, mais qui ne le pas mesure en fait.
Felix Touzalin
La pièce de Gianni Motti est une autre manière de dire le temps, ce n’est pas une horloge, et c’est censé dire la même chose. Donc pourquoi l’horloge a-t-elle une forme particulière ?
00:10:00:02 – 00:10:29:10
Rasheedah Phillips
Je pense que la manière dont l’horloge a été utilisée, pour compter les gens par exemple ou, quelque chose dont je parle beaucoup dans mon travail, c’est le chronomètre de marine. C’est une horloge, n’est-ce pas ? Et elle a été construite pour permettre aux gens de mieux naviguer en mer. Mais cette horloge a facilité la navigation vers l’Australie pour la coloniser, et pour aider les colonisateurs à arriver en Afrique et à coloniser l’Afrique. Elle a donc été utilisée de cette manière très particulière, et cette histoire n’est pas toujours racontée, parce que, à nouveau, l’objet lui-même est vu comme un objet et non comme quelque chose qui peut avoir une histoire politique ou une histoire d’oppression.
Et je parle aussi de cela en relation avec l’esclavage, dans le contexte américain, l’esclavage américain, et comment les horloges étaient utilisées pour punir les gens. Si vous n’êtes pas réveillé et que vous ne travaillez pas dans les champs à une certaine heure, vous êtes puni. Ou votre temps est coupé de cette manière. Et tout cela est médiatisé par l’horloge.
Pour certains regarder une horloge et voir que vous n’êtes pas à l’heure selon cette horloge revient à dire que vous avez tort. C’est un objet très très complexe qui a beaucoup d’histoire et de contexte. Qu’est-ce que ça signifie ? Cela signifie beaucoup de choses dans de nombreux contextes différents pour de nombreuses personnes différentes.
Explorer cela est intéressant pour moi. Une grande partie de notre travail tourne autour des cultures matérielles du temps, quelle est cette histoire ? Comment le temps a-t-il été utilisé ? Comment les horloges ont-elles été utilisées comme symbole, comme objet, comme symbole de statut, de richesse ? Et qui a été lésé en retour, quand vous le voyez sous cet angle ?
00:12:10:23 – 00:12:40:20
Felix Touzalin
Hier, dans votre performance, vous portiez un masque au début de la performance. Que signifiait-il ? Est-ce que cela faisait référence à Frantz Fanon et à son livre « Peau noire, masques blancs » ?
Rasheedah Phillips
Pas littéralement, non. Ce n’est pas une référence à ça. Mais, cela signifie des choses différentes selon les performances. Je ne porte pas toujours un masque, mais pour cette performance particulière, c’était juste une façon pour moi de signifier un changement dans la manière dont je lisais et dans la manière dont je performais.
Quand j’avais le masque, je lisais de manière plus poétique, un peu plus performative. Et ensuite, quand je l’ai enlevé, c’était une lecture plus directe. Donc pour moi, hier, c’était juste une manière de signifier ce changement.
Felix Touzalin
D’accord, c’est un processus qui modifie votre performativité.
Et pouvez-vous nous en dire plus sur le matériau du masque ? Qu’est-ce que c’est ? Il semble que ce soit de la broderie.
Rasheedah Phillips
Oui. C’était une sorte de masque en dentelle brodée.
Felix Touzalin
D’accord. Et vous l’avez réalisé vous-même, cela ?
Rasheedah Phillips
J’ai plusieurs masques différents. J’ai beaucoup de masques.
Felix Touzalin
Et chacun, a une performativité associée ?
Rasheedah Phillips
Oui. Je le réalise dans ce but, oui.
Felix Touzalin
Et pouvez-vous juste décrire les différentes performativités en fonction des masques ?
Rasheedah Phillips
Je préfère garder cela un peu plus mystérieux. D’une certaine manière, c’est pour moi, et c’est moins pour le public. C’est aussi une façon pour moi de me protéger.
Surtout si je me sens plus timide ou plus introvertie. Et parfois la performance n’est pas nécessairement juste pour le public. Parfois, la performance est pour moi, ou une performance est un moyen de me connecter à mes ancêtres. Ce n’était pas le cas hier. Hier, c’était vraiment plus direct.
Quand je performe, c’est la plupart du temps avec ma partenaire. Et donc il y a tout un travail qu’on construit avec le son, avec les mots, avec les choses que l’on choisit de porter. Nous faisons beaucoup de performances basées sur des sites, où nous allons construire la scène et créer une scène qui est spécifiquement pour nous.
Donc il y a beaucoup d’aspects techniques à cela. Mais hier, c’était plus direct car je suis ici aussi pour d’autres choses : j’étais au CERN et également venu·e présenter mon nouveau livre. Et donc c’était moins une performance construite qu’un moment où je partageais des éléments de mon travail, de mon livre. Je voulais que ce soit direct plutôt que trop mystérieux. Quelque chose que où les gens doivent comprendre… De toute façon, il faut réfléchir et décomposer ce que je dis. Mais je voulais que les gens puissent l’entendre et ne pas s’évader. Je voulais qu’iels soient présent·e·s avec moi. Et parfois, le masque me permet de me déconnecter de l’espace et du lieu, comme un véhicule qui m’emmène ailleurs. Et il y a des moments où il m’introduit. Il peut y avoir un masque qui introduit une influence de la diaspora africaine par exemple ou quelque chose comme ça, mais ce n’était pas le cas hier.
Hier, c’était juste un dispositif pour passer à un mode différent.
Felix Touzalin
Et la performance était également accompagnée d’un écran affichant diverses images d’origines et de nature différentes, y compris des images d’un film montrant que vous enseigniez. Pourriez-vous nous en dire un peu plus, sur ces images et l’écran ?
00:16:07:18 – 00:16:42:06
Rasheedah Phillips
L’un des courts-métrages qui passait était issu de mon passage au CERN. Parce que ce que je lisais hier parlait de différentes choses que j’ai étudiées au CERN, y compris les trous noirs et la symétrie CPT dont j’ai parlé. Je voulais montrer des images de cet endroit. Et cela faisait également référence à beaucoup de ce dont je parlais concernant les autres cultures et de la manière dont elles pensent au temps et à l’espace, et comment elles symbolisent cela à travers différents moyens. Par exemple, des objets comme les cercles ou les coquillages et comment leurs positions peuvent avoir une résonance ou une connexion avec le cosmos ou avec des objets cosmiques. Et donc, oui, ces films font référence à ces différentes choses dont je parlais dans la conférence, mais ce sont aussi des éléments qui font partie de notre travail. Réfléchir à la façon dont nous essayons de visualiser les choses que nous disons.
Certains des films sont issus de courts-métrages que nous avons créés. Un film qui est actuellement projeté au CERN s’appelle « Write No History », et parle de capsules temporelles. Des personnes noires transportent ces capsules temporelles pour pouvoir communiquer entre elles à travers le temps. Donc, oui, les films font référence à beaucoup de choses différentes, mais, encore une fois, en fin de compte, tout est lié à ce dont j’ai parlé hier soir et à ce qui est dans mon livre.
00:17:43:24 – 00:18:10:03
Felix Touzalin
Et comment construisez-vous ce genre de vidéo ? Est-ce une manière spontanée de construire, ou plutôt précise ? Chaque image arrive à une durée précise de votre performance ou non ?
00:18:10:05 – 00:18:33:22
Rasheedah Phillips
Hier soir, il y avait quatre courts-métrages différents assemblés et qui tournaient en boucle. Pour certains d’entre eux, ils sont très spontanés. Beaucoup de courts-métrages que j’ai fait viennent de mon téléphone, juste des images que j’ai prises avec mon téléphone avec des glitches. Il y a une idée sur le timing, mais d’une certaine manière, non, c’est comme ça que cela se rassemble. C’est plutôt spontané.
Mais aussi, nous avons des courts-métrages plus planifiés et techniques. Le film « Write No History », par exemple, nous avons eu des acteurs, nous l’avons filmé, au fil du temps, avec un réalisateur, et donc ce film-là était un projet très spécifique, avec un script écrit spécialement pour ça.
00:18:58:07 – 00:19:28:08
Felix Touzalin
Vous travaillez en duo au sein de votre collectif Black Quantum Futurism, que vous avez fondé avec la poètesse Camae Ayewa, mieux connue sous le nom de scène Moor Mother. Pouvez-vous expliquer comment fonctionne votre collaboration ? Et que signifie le format duo dans la forme que vous créez ensemble ?
00:19:28:10 – 00:19:52:03
Rasheedah Phillips
Collectif ou duo, parce que c’est principalement elle et moi, nous sommes interdisciplinaires. Elle est musicienne, mais elle est aussi poète et artiste visuelle. Et, moi, je suis principalement… Je ne sais pas ce que je suis… Une artiste défenseuse. Je fais aussi beaucoup de choses différentes. Et donc, nous mettons ces choses ensemble, dans le collectif.
C’est difficile de dire que nous sommes une seule chose, non ? Nous faisons de la performance. La performance est une très grande partie de notre pratique. Et, quand nous faisons des performances, c’est nous qui venons ensemble. C’est lire ou partager une partie de son travail. Mais elle fait aussi d’assemblages sonores d’improvisation. Et cette improvisation est vraiment importante pour nous.
Il y a une raison derrière cela. Lorsque nous pensons à la musique et au son, nous pensons à la manière dont le temps voyage à travers le son. Nous pensons à la manière dont la musique et le son portent le temps. Et nous invoquons cela dans notre pratique. Nous avons aussi une pratique visuelle, nous créons des collages, nous faisons des expositions. Beaucoup de nos expositions sont conceptuelles. Mais cela nous permet, encore une fois, de réaliser certaines des théories et des pratiques qui sont ancrées dans notre travail.
Par exemple, nous avons un objet récurrent qui apparaît dans nos expositions, qui est une horloge « Black Grandmother Clock », qui est cette grande horloge qui peut prendre différentes formes. Elle ne ressemble pas à une horloge traditionnelle. Elle prend la forme d’un triangle. Nous avons quelques modèles plus traditionnels, mais l’horloge est en réalité une cabine d’enregistrement. Ce n’est pas une horloge qui donne l’heure de 12 à 12. Non, elle récolte le temps. Elle parle du temps communautaire. Elle permet aux gens de venir et d’enregistrer des souvenirs. Ils peuvent enregistrer des souvenirs futurs, partager des souvenirs passés. Et ensuite, nous prenons ces enregistrements et nous les partageons par le biais d’enceintes ou d’un autre type d’objet sonore afin que les esprits et les mémoires des gens puissent se superposer et raconter une histoire.
Raconter un récit partagé ou collectif. C’est une façon pour nous de réinterpréter l’horloge. Mais cela fait partie de notre manière de travailler. Nous faisons beaucoup de choses différentes. Nous aimons aussi les cartes. Nous utilisons beaucoup de cartographie dans notre travail.
Nous avons une carte appelée la « Quantum Event Map », qui découpe le temps de différentes manières. Et donc, pour nous, les cartes sont comme des horloges. Ce sont des outils utiles pour nous localiser, mais au final, la carte n’est pas le territoire, tout comme l’horloge n’est pas le temps. L’horloge essaie peut-être de représenter le temps, mais ce n’est pas le temps lui-même.
Les cartes peuvent être un outil. Souvent, lorsque nous regardons une carte, nous la prenons pour acquise. Mais les cartes ont aussi des histoires politiques. Elles ont aussi un contexte, en termes de qui a créé la carte, comment ils ont choisi de la montrer, comment ils ont créé les différentes échelles qui font partie de la carte, les différents symboles. Et c’est pareil avec les horloges. Vous pouvez aller dans une exposition d’horloges et voir différents types d’horloges, et ces horloges viennent de quelque part. Et quelqu’un les a fabriquées et elles ont une histoire particulière. Nous sommes d’ailleurs à Genève, en Suisse, qui est le pays d’origine de l’horlogerie et de la fabrication de montres.
C’est une histoire très spécifique, un contexte très spécifique. Il y a tellement à faire et à penser à propos de ces objets qui sont souvent, encore une fois, pris pour acquis concernant la nature de notre réalité et des choses qui représentent notre réalité.
00:23:48:18 – 00:24:16:02
Felix Touzalin
Merci beaucoup. Pourriez-vous également partager avec nous vos projets futurs ?
Rasheedah Phillips
Mon livre vient tout juste d’être publié, il est presque encore comme un futur projet. C’est une chose très importante. J’ai récemment fait moins d’expositions et d’autres travaux pour me concentrer sur ce livre. Il y a tellement de choses dedans. Il fait plus de 300 pages. Et donc il y a beaucoup de choses à décomposer et à discuter avec différents publics et différentes personnes. Dans un avenir proche, je suis impatiente de partager plus sur le livre et d’écrire le prochain.
Merci beaucoup.
Felix Touzalin
La performance de Rasheedah Phillips s’inscrit dans la programmation de Thomas Conchou, le commissaire invité cette année par le MAH. Intitulé « It’ about time », ce programme prend pour point de départ l’œuvre « Big Crunch Clock » de Gianni Motti. Le prochain rendez-vous est le 27 février avec un séminaire de recherche autour des Chronopolitiques avec Amelia Groom, Caroline Honorien, Salma Mochtari, Rachael Rakes et Gary Zhexi Zhang