Dans la cadre de la Biennale de Lyon, la journaliste et critique d’art Anaël Pigeat a été interroger les deux commissaires de cette édition, Till Fellrath & Sam Bardaouil, en revenant sur différents choix d’œuvres et d’artistes. L’occasion d’écouter les commissaires revenir sur les travaux de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Clément Cogitore, Gabriel Abrantes, Huguette Caladn, Jean Claracq, Sylvie Selig ou encore Tarik Kiswanson.

Pour PROJETS, la critique d’art Anaël Pigeat a créé un podcast, Conversations d’après une exposition, une plongée par les mots dans une exposition, qu’elle soit en cours, passée d’un mois ou de vingt ans.

Retranscription du podcast : 

Anaël Pigeat
Nous vous remercions du temps que vous nous accordez. Aujourd’hui, nous sommes à l’ouverture de la Biennale de Lyon : Manifesto of fragility. Au lieu de vous poser des questions générales sur cette belle Biennale, j’ai choisi quelques œuvres dans la plupart des lieux de la Biennale dont je souhaiterais que vous nous parliez.

Till Fellrath
Parfait.

Anaël Pigeat
Pour commencer, j’ai pensé à quelqu’un, même si une personne n’est peut-être pas une œuvre, mais je
voulais que vous parliez de Louise Brunet, qui est au cœur de la première exposition de la Biennale.
C’est un personnage qui, d’après ce que j’ai compris, est un peu réel mais aussi un peu imaginaire.

Sam Bardaouil
Il y a une Louise Brunet réelle, et il y a une Louise Brunet complètement fictive. C’est entre la fiction et la réalité que la vraie Louise Brunet existe. Fondamentalement, lorsque nous faisions nos recherches pour Lyon et pour la Biennale, nous sommes allés chercher dans l’histoire et les archives municipales, mais aussi dans les archives du Ministère des Affaires étrangères à Paris et à Nantes. Nous avons trouvé l’histoire de Louise Brunet, une jeune femme d’environ 18 ans, qui était une tisserande de soie, et qui a rejoint la Révolution des Canuts en 1834 ici, à Lyon.

Sam Bardaouil
Elle a été envoyée en prison, puis quand elle en est sortie quelques années plus tard, elle n’avait pas tant d’options. Jeune femme sans perspectives, elle a été contrainte de réinventer sa vie. Sa seule opportunité a été quand un marchand de soie appelé Poktalis l’a engagée pour aller travailler dans leur usine de soie au Mont Liban, au Liban. Coïncidence très ironique, puisque je suis du Liban et j’ai travaillé là bas de nombreuses années avec des artistes de Beyrouth.

Sam Bardaouil
Louise Brunet se rend donc au Liban, et là, la situation et les conditions de travail sont très difficiles. Elle commence une deuxième révolution avec les femmes de l’usine, puis disparaît. On ne sait pas ce qui lui est arrivé. Pour nous, Louise Brunet est devenue un moyen de penser la fragilité d’une personne. Comment les personnes peuvent-elles résister aux difficultés qu’elles rencontrent dans la vie ? Louise Brunet incarne chaque personne à chaque fois, chaque endroit, et pas seulement celle qui vient de Lyon, mais celle qui pourrait venir de n’importe quel pays, à n’importe quel moment.

Anaël Pigeat
C’est l’occasion de rassembler quelques œuvres de l’antiquité à Gabriel Abrantes jusqu’aux plus jeunes artistes que vous mettez dans cette exposition au MAC Lyon.

Sam Bardaouil
Tout à fait. C’était une façon d’observer différentes formes de fragilité et d’inventer différentes Louise
Brunet qui auraient pu être présentes dans ces œuvres. Prenons le portrait d’une femme du XVIIIe ou du XVIIe siècle qui n’est pas Louise Brunet de Lyon, mais peut-être que cette peinture a une histoire qui nous parle de fragilité, quelque chose qui pourrait être une forme de Louise Brunet.

Anaël Pigeat
Par exemple, le tableau de Sylvie Selig.

Sam Bardaouil
Oui, le tableau de Sylvie Selig nous montre une personne obligée de ne pas être qui elle est. Les gens lui demande d’être différente, et cela montre l’oppression à laquelle une personne est soumise à cause de ce qu’elle est. Il y a aussi une affiche de l’exposition coloniale de 1894, dans laquelle une Sénégalaise a été amenée du Sénégal pour représenter l’Afrique, mais elle se serait enfuie de l’exposition coloniale, et c’est aussi une autre Louise Brunet. Ou encore une femme posant comme modèle pour un artiste, forcée de faire semblant d’être une femme algérienne parce que c’est une peinture orientaliste. Cela devient ainsi tout un mélange de personnalités imaginées à travers ces œuvres d’art qui viennent de différentes périodes de l’Histoire.

Anaël Pigeat
Après cette introduction qu’on pourrait dire poétique à la Biennale, allons-y plus en profondeur. Toujours au Musée d’Art Contemporain, il y a une autre exposition appelée Beyrouth et les années soixante, et ici, j’ai choisi, à la fin de l’exposition, une œuvre de Huguette Caland au titre très énigmatique. Elle s’appelle , L’indépendance du Liban Racontée à l’Or Iman. C’est une immense peinture, très détaillée et dans les tons roses, qui représente un grand paysage abstrait. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Sam Bardaouil
Bien sûr. Huguette Caland était une artiste libanaise très importante, une figure pionnière de la scène de l’art contemporain à Beyrouth dans les années 60 et 70. Elle a ensuite déménagé aux États-Unis, et est morte il y a seulement deux ou trois ans vers l’âge de 90 ans. C’était un esprit très, très libre et une personne incroyable. Elle était également la fille du premier président du Liban à l’indépendance du Liban après la fin du mandat français. Elle vient d’une famille très politique.

Sam Bardaouil
À la fin des années 90, elle a créé ce tableau comme un mémoire, qu’elle a dédié à sa petite-fille, L’Or
Iman. C’est une grand-mère qui raconte l’histoire de son pays à sa petite-fille. Elle le fait en écrivant tous ces mots sur son enfance, sur le Liban, sur Beyrouth, sur la guerre, sur la paix, sur sa condition de
femme artiste, sur son désir d’être libre et d’être dans l’atelier plus que dans la cuisine, et un million d’autres choses. Ce tableau est vraiment un journal intime du Liban à travers l’expérience d’une femme artiste racontée à sa petite-fille. C’est un mémoire écrit sur une grande toile d’environ 4 mètres de largeur et presque 2 mètres de hauteur.

Anaël Pigeat
Après cette œuvre, on arrive à la fin de l’exposition avec une œuvre de Khalil Joreige et Joana
Hadjithomas. Pour moi, cette oeuvre rassemble l’ensemble de l’exposition et invite à la relire à la lumière de cette pièce. C’est une série de vidéos d’images du Musée Sursock avant et après l’explosion du port de Beyrouth. Comment les avez-vous accompagné dans la création de cette œuvre, comment les avez-vous accompagnés et comment voyez-vous cette œuvre dans l’exposition ?

Sam Bardaouil
Avant d’être des artistes, Joana et Khalil sont des amis, et bien sûr, chacun de nous étant connectés au
Liban, nous avons comme expérience similaire de vivre entre deux endroits. Évidemment, nous avons eu beaucoup de conversations sur l’explosion qui a eu lieu à Beyrouth le 4 août 2020. D’une certaine manière, nous nous sommes toujours dit que cette exposition sur Beyrouth, planifiée ici pour la Biennale, devait être un point de vue contemporain sur cette histoire et pas seulement un exercice de regarder en arrière ce qui s’est passée.

Sam Bardaouil
Avec eux, nous avons pensé à créer une œuvre qui nous amène au moment présent. Quand ils ont eu
l’idée de montrer la destruction des œuvres d’art du musée Sursock, qui ont depuis été rénovées et
restaurées et qui sont exposées ici, c’est exactement ce dont cette exposition avait besoin pour relier ce
passé à une histoire continue de fragilité et de résistance.

Sam Bardaouil
Parce que les œuvres elles-mêmes ont été soumises à beaucoup d’agressivité. La question que l’œuvre
tente de soulever est la suivante : comment pouvons-nous continuer à faire ce que nous sommes censés
faire après avoir été agressés et détruits ? Nos corps en tant qu’êtres humains, mais aussi ces peintures
elles-mêmes, ont connu cette destruction et maintenant ils résistent. Ils veulent continuer à raconter les histoires qu’ils ont à raconter. C’est un paradoxe, c’est une métaphore de l’histoire de Beyrouth qui
continue à résister, ou au moins essaie, même si elle accumule des couches et des couches de destruction.

Anaël Pigeat
Diriez-vous que l’histoire change les œuvres ?

Sam Bardaouil
Bien sûr, parce qu’elles portent leurs cicatrices, elles deviennent un navire dans lequel tant de moments intenses ont existé. Elles portent l’intention de l’artiste, elles parlent d’une période, mais elles parlent aussi d’une lutte en cours, et cela les rend beaucoup plus chargées et leur pouvoir d’action est multiplié.

Anaël Pigeat
Cette œuvre pourrait aussi, d’une certaine manière, refléter une autre œuvre également créée par Joana et Khalil qui est au tout début de l’exposition aux Usines Fagor.

Sam Bardaouil
Absolument. Cette œuvre parle des cycles de l’histoire depuis l’antiquité jusqu’à la technologie moderne, la technologie numérique. Vous voyez ces sculptures de l’antiquité se transformer en gigaoctets, en mégaoctets et en nanotechnologie. Mais elles sont ensuite présentées avec un beau poème de Georges Séféris sur les cycles de la vie et comment nos corps finissent par se transformer en cendres. Je pense que ce sont ces cycles de l’histoire et la façon dont les œuvres elles-mêmes, et leurs résistances, se sont transformées en cendres qui captent le sentiment de fragilité et les cycles du temps que nous voulons évoquer dans cette Biennale.

Anaël Pigeat
Passons maintenant au Musée Guimet, un lieu absolument surprenant, le musée des reliques. J’aurais
pu vous interroger sur Lyon, la ville que vous utilisez comme matériau, sinon comme œuvre, dans votre exposition. Mais j’ai choisi la vidéo de Clément Cogitore, Morgestraich, qui est une procession dans le noir qui résonne avec l’histoire du Musée Guimet en tant que musée des croyances. Comment l’avez- vous conçu dans l’exposition ?

Till Fellrath
L’œuvre de Clément Cogitore est vraiment une belle incarnation de notre temps. En fait, l’idée est venue lors de la COVID, quand, juste après avoir été nommés, nous discutions avec beaucoup de ces artistes. La COVID a frappé et nous n’avons pas pu revenir à Lyon. Beaucoup de nos conversations avec les artistes se sont donc déroulées via Internet, sur Zoom.

Till Fellrath
De manière générale, nous avions déjà Clément en tête, et très tôt, l’idée est venue de faire quelque
chose au sujet de cette procession médiévale de Bâle qui célèbre la fin de l’hiver. Elle coïncide
légèrement avec le Carnaval, et c’est cette ancienne tradition de Morgestraich qui est vraiment la
procession pour chasser l’hiver et un rituel pour, peut-être, s’éloigner un peu de la mort, pour revenir à la vie.

Till Fellrath
Ce festival a été annulé à cause de la COVID, pas une fois, mais deux fois de suite, car les rassemblements publics étaient interdits. Il n’est pas vraiment possible de le faire à l’extérieur car il a généralement lieu en hiver, et commence très très tôt, à l’aube.

Till Fellrath
L’idée de Clément était de montrer que ce festival, qui marque normalement un cycle, qu’une autre année qui s’est écoulée et l’entrée dans l’année suivante, n’allait pas se produire, qu’il n’y aurait pas ce nouveau cycle de vie. C’est donc filmé dans ce cadre indiscret, vous ne savez pas où vous êtes. C’est dans cet espace sombre qui ne l’ancre nulle part, il semble flotter, mais il est aussi filmé sur un tapis tournant.

Till Fellrath
Donc ils marchent, mais ils ne font aucun progrès. Ils sont en quelque sorte coincés dans le temps. Je
pense que c’est le sentiment que beaucoup d’entre nous avaient pendant la COVID, quand nous ne
savions pas où nous allions, quand ça n’avance pas, quand on ne sait plus. Est-ce que c’était l’an dernier, il y a deux ans que vous avez fait ça ? Il a ce sentiment étrange de la cyclicité qui, d’une certaine façon, semblait s’être un peu arrêtée. Je pense que cette pièce capte très bien l’anxiété de cette époque.

Anaël Pigeat
Je sais que ce film a été tourné à Bâle, ce sont les personnages des processions de Bâle. Mais je me
demandais s’il pouvait faire écho à la figure de Gnafron de Guignol, ici à Lyon.

Till Fellrath
Je pense qu’il y a beaucoup de liens, bien sûr. Je veux dire par là qu’ils sont parfois gutturaux. C’est
parfois intentionnel, parfois plus par procuration, mais bien sûr, vous avez ces similitudes avec Guignol. Mais quand vous regardez ces personnages, ils ressemblent aussi à beaucoup d’autres œuvres dans l’exposition. Ils ressemblent aux œuvres de Sylvie Selig, par exemple, ou à celles de Kim Simonsnon, ou à celles de beaucoup d’autres artistes qui travaillent un peu avec cette figure de démon ou avec une sorte de figure humaine qui pourrait être animaliste, mais nous ne savons pas vraiment quels sont leurs personnages.

Till Fellrath
À bien des égards, c’est aussi un miroir ou une représentation emblématique d’une figure humaine que
vous regardez pour vous voir ou voir d’autres êtres sous quelque forme que ce soit. Encore une fois, ce
n’est pas différent de créer des sculptures ou un buste en teck ou un moulage, par exemple. La
représentation d’une sorte de corps, d’une sorte de figure humaine est, bien sûr, un fil rouge qui relie
beaucoup de pièces de la Biennale mais aussi ici à Lyon.

Anaël Pigeat
Au Musée Guimet, il y a aussi cette dimension très organique que nous pourrions évoquer à travers
l’œuvre de Tarik Kiswanson dans laquelle il a joué avec le passé d’un musée d’histoire naturelle.

Till Fellrath
Un musée d’histoire naturelle est, par définition, quelque chose qui par définition catégorise le monde, il explique l’histoire d’un point de vue particulier. Comment fonctionne la hiérarchie ? Quelles espèces sont au dessus des autres ? Quelles cultures sont plus élevées que les autres ? Il crée un véritable ordre mondial, peut-être en particulier dans l’esprit du colonialisme, mais en général, des êtres humains qui se mettent dans une partie de l’ordre mondial universel.

Till Fellrath
Ce qui est si beau dans le contexte de la fragilité et du Manifeste de la Fragilité, c’est, d’une part, qu’il
plaide en faveur d’une institution qui est également fragile. Les institutions ne durent pas éternellement. Ce musée n’existe plus, ses collections sont ailleurs. Mais c’est aussi un excellent argument pour la fragilité d’objets ou d’histoires qui doivent être racontés de nouveau ou un ordre mondial qui ne correspond peut-être plus à ce que nous croyons être la voie à suivre. Je ne pense pas qu’il soit juste de classer les êtres humains ou les objets dans un monde où le climat change rapidement, dans un monde où nous avons des guerres, où le colonialisme doit être remis en question. Notre propre place doit être repensée.

Till Fellrath
En ce sens, non seulement les œuvres de Tarik, mais aussi de nombreuses autres œuvres remettent en
question ce genre même de catégorisations. Quand vous voyez ces feutrines qui sont suspendues au
plafond, ces œufs qui ressemblent à des cocons, ça peut être un vestige de quelque chose qui était là à
un moment donné, mais cela peut aussi être le noyau pour une nouvelle naissance. La façon dont les
visiteurs entrent dans ce bâtiment en est un reflet direct. Vous n’utilisez pas cette grande entrée
historique avec la rotonde pour aller dans la grande salle, mais vous entrez par le bas et vous montez
lentement jusqu’à ce que vous arriviez à cette tribune. Il y a beaucoup de subversion, je pense, dans la
narration de ce qu’est le musée et de ce qu’il était, et comment nous pouvons le repenser dans le futur.

Anaël Pigeat
Ce qui renvoie à cette idée de mettre les meubles qu’il a trouvé dans le musée à l’envers, collés au plafond.

Till Fellrath
Oui, absolument. Je pense que toute l’installation est d’une certaine façon une subversion, lorsque vous
mettez des choses à l’envers, vous essayez de les regarder d’un autre point de vue. Je pense que cette
installation en est une bonne incarnation. Vous entrez dedans et vous ne savez pas ce qui s’est passé,
mais vous savez immédiatement que vous avez besoin de repenser l’espace dans lequel vous êtes.

Anaël Pigeat
Si nous allons dans un autre lieu très important de la Biennale, les usines Fagor, cette partie est peut-

être plus que les autres tournées vers l’avenir que vous avez défini comme la promesse d’un avenir infini. Pourriez-vous me parler de la création de l’œuvre de Gabriel Abrantes, une vidéo qui se passe dans un musée dans une atmosphère complètement surréaliste ?

Sam Bardaouil
Dans un sens, avec l’œuvre de Gabriel Abrantes, nous examinons la possibilité de donner vie à des

formes perçues comme inanimées et qui ne peuvent donc pas être autre chose que ce que nous voulions
qu’elles soient. Je pense que c’est exactement ce qu’une promesse sans fin est. Ce sont les possibilités
du monde et où elles se trouvent une fois que nous commençons à nous permettre de penser que
quelque chose peut être autre chose que ce qu’il a été ou la fonction qu’il a servie. Donc une sculpture
n’est plus une sculpture, c’est une jeune fille qui se bat aux côtés des Gilets jaunes, que ce soit
intentionnellement, par erreur ou par coïncidence.

Sam Bardaouil
C’est exactement au cœur du sujet de la troisième partie de la Biennale. Elle nous invite à imaginer de
nouvelles possibilités, de nouveaux contextes, de nouvelles fonctions pour les choses, qui ne sont pas
basés sur l’accumulation, sur le pouvoir, mais en réalité sur le fait que nous pouvons céder à n’importe
quelle moment. Mais encore sur le fait que, lorsque nous cédons, ça peut-être une chance de
reconstruire quelque chose qui n’était pas là avant, similairement à ce qui arrive à cette sculpture dans le film.

Anaël Pigeat
Après avoir regardé la vidéo de Gabriel Abrantes, nous pouvons revenir à une sélection de la collection
du musée des Moulages de l’université Lumière Lyon II montrée dans cette belle scénographie, qui
est, en quelque sorte, très fantomatique, faite de feuilles de plastique blanches et de structures en bois
très légères.

Sam Bardaouil
Oui, avant même d’arriver aux moulages, nous avons parcouru certaines des collections de Lugdunum, le Musée romain. Il y a un sarcophage, qui est évidemment un symbole de vie et de mort. Il y a des stèles funéraires parlent aussi de mortalité, mais encore une fois, c’est une renaissance. Il s’agit de la possibilité d’une nouvelle vie, qu’il y ait quelque chose au-delà, que vous croyiez en la résurrection, en la réincarnation, en autre chose ou non.

Sam Bardaouil
C’est, en quelque sorte, ce que le moulage représente pour nous. Ce n’est pas juste une réplique de
l’original. C’est une œuvre d’art qui existe dans trois période de temps à la fois. C’est une incarnation de quelque chose du passé. Il a été fait au 19ème siècle, mais il existe encore aujourd’hui. Avec ses
cicatrices et ses déformations, il prend une forme différente, et c’est en prenant cette forme différente qu’il devient intéressant.

Anaël Pigeat
En conclusion, je voulais aussi évoquer le musée Lugdunum, qui est très spécifique, brutaliste, du
bâtiment des années 70. Et pour cela, j’ai choisi l’œuvre de Jean Claracq.

Sam Bardaouil
Jean Claracq est clairement un peintre brillant, et sa proposition au Lugdunum est extrêmement
intelligente parce que la plupart des gens pourraient peut-être penser que sa réponse est au sujet des
torses et des figures, bien qu’ils apparaissent ici et là en très légères touches dans les peintures.

Sam Bardaouil
Mais ce à quoi il a réellement répondu, c’est à la notion de propagande, de pouvoir et à la puissance de
l’exposition. Que ce soit la puissance de l’exposition dans un musée, mais aussi, quand on pense à
l’époque romaine et aux gladiateurs et à toutes ces stèles et ses lettres qui sont témoins de la vie d’une
personne importante, d’un grand leader. Nous les associons immédiatement à un certain statut lorsqu’ils apparaissent sur ces grandes surfaces de pierre.

Sam Bardaouil
Il se demanda, si c’est la propagande ou la publicité de l’époque, comment pourriez-vous la relier à
l’accumulation de propagande et au bombardement de la publicité que nous vivons aujourd’hui ? De la
même manière dont ces stèles sont usées et les lettres sont effacées, il a pensé à tous ces processus qui
s’accumulent sur les murs des rues ou sur les panneaux. On enlève l’ancien et puis on rajoute un
nouveau, encore et encore nouveau. Cela devient une accumulation de couches. Lorsque vous les
épluchez, vous voyez des couches et des couches de propagande, tout comme vous voyez ces couches
dans les œuvre d’art romaine. C’est exactement ce que Jean Claracq essaie de dire à travers ces peintures.

Anaël Pigeat
Merci beaucoup à vous deux.

Till Fellrath
Merci beaucoup.

Sam Bardaouil
C’était un plaisir de vous parler.

Anaël Pigeat
Merci.