Pourvu Qu’iels Soient Douxces – Saison 3 – Épisode 32
PROJET𝘚
Retour sur la quatrième édition du Sturmfrei festival qui s’est déroulée du 5 au 7 décembre dernier, dans de nombreux lieux de la scène parisienne. Entre performances littéraires, arts visuels et musique électronique, l’événement interroge la manière dont les arts performatifs et littéraires peuvent se mélanger et se réinventer. Durant 3 jours, plus de 20 auteur·rice·x·s de différentes générations tentent de bousculer ces frontières, avec un programme foisonnant qui convoque des expérimentations et des créations inédites.
– Débat : Quels sont les enjeux de monstration de la performance aujourd’hui ?
Extrait :
« Quels sont leurs endroits, quelles sont les programmations, les budgets, les subventions qui peuvent les accueillir ? Parce que déjà la performance, on le sait, a ce problème d’être vraiment à la frontière à la fois de l’art contemporain et du spectacle vivant. Et donc du coup c’est une étrangeté, des fois dans les deux mondes, notamment pour avoir des subventions. Et là encore plus, les formes qu’on a vues, elles circulaient également entre plusieurs mondes,(…) et j’avais du mal à savoir où elles étaient. Evidemment, je pense que ça vient d’un angle mort, en tout cas que j’ai sur cet écosystème et qu’il y a forcément d’autres endroits, parce qu’on est toujours aveuglé.e par ses propres biais. »
Avec Camille Bardin, Samuel Belfond, Meryam Benbachir, Samy Lagrange.
Retranscription :
Camille Bardin
Bonjour à toutes et à tous, on est ravi.e.s de vous retrouver pour ce nouvel épisode de Pourvu Qu’iels Soient Douxces. Ce soir au micro de ce studio, quatre membres de Jeunes Critiques d’Art, un collectif d’auteurs et d’autrices libres et indépendant.e.s. Depuis 2015, au sein de JCA, nous tâchons de repenser la critique d’art comme un genre littéraire à part entière et pensons l’écriture comme un engagement politique. Pour Projets, on a souhaité penser un format qui nous permettrait de vous livrer un petit bout de notre intimité, en partageant avec vous les échanges qu’on a officieusement quand on se retrouve. Pourvu Qu’iels Soient Douxces, c’est donc une émission dans laquelle on vous propose un débat autour d’une problématique liée au monde de l’art, puis un échange consacré à une exposition. Aujourd’hui, je suis avec Samuel Belfond.
Samuel Belfond
Bonjour.
Camille Bardin
Meryam Benbachir.
Meryam Benbachir
Hello !
Camille Bardin
Samy Lagrange.
Samy Lagrange
Bonjour Camille.
Camille Bardin
Et moi-même Camille Bardin. Ce mois-ci, on a choisi de consacrer l’épisode à la performance. Jeudi, vendredi et samedi soir, nous étions donc au Sturmfrei, festival littéraire imprégné de l’énergie d’une fête techno qui présentait du 5 au 7 décembre dernier sa quatrième édition en réunissant une vingtaine d’auteurices dans trois lieux Grands Parisiens, au Sample à Bagnolet, au Point Éphémère à Paris et enfin à la Marbrerie à Montreuil. Cela nous mènera à parler des modalités de monstration de la perf et à nous demander comment diffuser et parler de cet art. Je vous propose qu’on commence en parlant du Sturmfrei. Et pour cela, on va tout de suite amputer cette équipe d’un de ses membres. Samuel, tu es cofondateur du collectif, donc ce serait étrange de te demander d’esquisser une critique sur celui-ci. On te retrouve donc dans la deuxième partie de l’épisode pour le débat d’ici une vingtaine de minutes.
Samuel Belfond
A tout à l’heure.
Camille Bardin
Maintenant que nous sommes plus que trois, Meryam, je te laisse nous introduire le premier sujet du podcast.
Meryam Benbachir
Merci Camille. Du 5 au 7 décembre 2024, le festival Sturmfrei investit pour sa quatrième édition Paris et la Seine-Saint-Denis pour mêler performances littéraires, arts visuels et musique électronique dans des lieux bien connus de la scène artistique et/ou faitarde parisienne : le Sample à Bagnolet, le Point Éphémère à Paris et la Marbrerie à Montreuil. Plus de 20 autrices et auteurs de différentes générations viennent tenter de bousculer les frontières de la littérature, avec un programme foisonnant qui convoque des expérimentations, des créations inédites et de nouveaux termes comme Poésiecore. Sturmfrei tente de faire vibrer les mots dans des espaces où ils deviennent des gestes, des sons, des partages. On y a découvert ou retrouvé des pratiques, comme celles de Lisette Lombé et Cloé du Trèfle, Josèfa Ntjam, Gorge Bataille, Mona Servo et Swan Bitume, Sara Mychkine et MAM6K, ou encore Lou Ellingson et Ha Kyoon des poètes et poétesses, musiciennes et musiciens, en bref, des performeureuses. Pensé comme un carrefour des médiums et des genres, Sturmfrei se positionne comme un événement qui cherche à attirer les amateurices d’art, les passionné.e.s de littérature en mouvement et celleux en quête de formes d’expressions alternatives. Si le festival ne manque pas d’ambition, il interroge aussi la manière dont les arts performatifs et littéraires peuvent se mélanger, se réinventer. Plongeons donc au cœur de Sturmfrei, où les écritures prennent corps, où la littérature se fête et où les mots vibrent à l’unisson. Dernière chose, avant de laisser la parole. Sturmfrei, je ne sais pas ce que ça veut dire, et d’ailleurs j’ai du mal à le dire, mais d’après mes recherches, assez brèves je dois l’avouer, « sturmfreie Bude haben » veut dire « avoir quartier libre », mais sur Google Traduction, ça donne « Sans tempête ». Donc peut-être que Samuel pourra nous éclairer là-dessus. En attendant, merci aux créateurices du festival de me faire parler allemand. [iels rient]
Camille Bardin
Et avant de commencer le débat, on fait notre traditionnel petit disclaimer. Comme vous avez pu le comprendre, Samuel est cofondateur du festival. C’est pour ça qu’il n’est pas avec nous sur cette partie du podcast. Il y a également Arnaud Idelon qui a cofondé le festival et qui est un ancien membre de Jeunes Critiques d’Art. Donc promis, on va se tenir à carreau et on va tenter d’être le plus pas neutre parce que la neutralité n’existant pas, on ne le sera pas nécessairement, mais en tout cas le plus honnête possible. Pour ce qui est des accréditations, etc. et nos conditions de découverte de ce festival-là, nous avons été accrédité.e.s sur les trois soirs. Nous n’avons donc pas payé nos places, mais on a payé nos verres. [Samy rit] Et sinon, on était complètement indépendant.e.s au moment des découvertes des performances. Qui veut commencer ? Samy, on t’a pas entendu. Je suis désolée, je te passe la main.
Samy Lagrange
Bah oui du coup je suis obligé.
Camille Bardin
Allez, go !
Samy Lagrange
Oui, bah on va commencer doucement. Je pense que je vais introduire le débat par du constatatif et du narratif. De toute façon, précisons qu’on enregistre lundi matin, donc il est peine perdue d’essayer d’être pertinent.e aussi rapidement. [Camille rit] Non, tout simplement peut-être pour se mettre dans l’ambiance et poser les premières choses, parler un petit peu de l’expérience visiteurice qu’on a eue de ce festival. Moi j’étais très excité, ça faisait un moment que j’avais envie qu’on parle de ce festival et le mois dernier quand on a commencé à en parler j’étais hyper excité que ça soit le sujet de notre podcast. Après la vie étant faite comme elle est, décembre est arrivé et la semaine je pense a été un peu compliquée pour tout le monde. Du coup, il y avait un peu une réticence à se dire qu’il fallait enchaîner trois soirs de festival, courir plus ou moins dans Paris après nos journées bien remplies et dans cette ambiance automnale que l’on connaît. Pour résumer, je peux citer ce qu’une de mes amies, Anna Levy, m’a dit le premier soir du festival pour me rassurer sur mon état : « Si tu es heureux en ce moment, c’est que tu es de droite ». [elles rient] Ce que j’ai trouvé tout à fait juste. Donc on était toustes à peu près dans la même ambiance. Donc c’est vrai que quand j’ai regardé le programme avant d’y aller, j’ai eu un tout petit peu peur. J’ai vu des programmations qui duraient cinq heures ou plus avec des perfs souvent de plus de 30 minutes. J’avais un petit peu peur de la prise d’otage et surtout de ne pas avoir les capacités pour… pour me prendre ça en pleine figure, même si, sur le papier, ça m’excitait. En plus, je me rappelais, il me semble, de l’édition précédente, d’avoir une première soirée ad hoc, qui était beaucoup plus courte, mais où on pouvait… où les perfs s’enchaînaient et du coup on faisait un petit peu le pacte de rester enfermé.e pendant deux heures avec simplement une pause. Mais il ne fallait pas que ça dure plus parce que cinq heures, ça me semblait… Me faire prendre en otage pendant cinq heures, ça me faisait un peu peur. Ça me faisait aussi peur, je pense que vous allez en parler, sur l’économie de l’attention. Comment garder son attention à travers toutes ces propositions sur autant de temps ? La fatigue, devoir rester debout ou même assis, c’est pas… Dans les lieux de performance, on n’a pas… Enfin, c’est rarement dans des théâtres, donc on est rarement très, très bien installé.e. Et puis tout simplement de faire une overdose, quoi. Et puis finalement, je ne sais pas si c’est votre expérience à vous aussi, mais pas du tout. Je pense qu’une des grosses réussites du festival, c’est son orga, en tout cas de ce qui est donné à voir aux spectateurices. C’est tout bête, mais je me suis senti vachement à l’aise. Enfin, je trouvais que les lieux étaient adaptés à ce type d’événements, à ce type de performances, toujours dans des grands espaces, avec une scène. C’est encore tout bête, mais où la circulation était facile, on pouvait sortir, re-rentrer. En fait, cette programmation de cinq heures avec des performances hyper longues était plutôt bien pensée parce qu’il y avait des pauses entre toutes les performances. Et du coup, je ne sais pas, on se l’est dit en tout cas nous, Camille, qu’on n’avait pas du tout subi.
Camille Bardin
Complètement.
Samy Lagrange
Et que finalement, on ne voyait pas passer les cinq heures, peut-être quelques bières aidantes, mais ça fait partie de l’expérience festival. Et puis, je vais encore dire beaucoup de banalités, c’est pas fini, mais…
Camille Bardin
Non mais c’est important… Enfin, c’est juste ce que tu dis.
Samy Lagrange
Tout simplement. J’arrivais toujours crevé tous les soirs et les premières minutes de chaque perf me mettaient dans un mood complètement différent et me posaient et ça créait vraiment une ambiance de festival de performances qui m’allait très bien. Et je trouvais que, pour continuer sur les réussites, tout bêtement pour dire qu’en termes de prod, je trouvais ça aussi assez réussi dans le sens où tu l’as introduit Meryam. Il y avait vraiment des formes très variées et surtout des formes hybrides, ou beaucoup, beaucoup de formes qui mélangent en elles-mêmes de la poésie, de la performance, de la danse, de la musique, du théâtre, qui sont vraiment à l’intersection de toutes ces disciplines, qui encore aujourd’hui souvent sont un petit peu séparées les unes des autres. Il y a aussi un gros mélange d’esthétiques, même si on ne va pas se mentir, et tu l’as dit aussi, elles sont quand même présidées par celles de la fête en général, et de tout ce qui découle de cette esthétique. Et j’avais l’impression qu’à la fois tout le monde était un petit peu gêné.e par ces tentatives définitionnelles, où on sait pas… Enfin, il y a eu pas mal de performeuses qui l’ont même adressé pendant la performance en disant : « Bah je ne sais pas très bien si ce que je vous propose c’est des morceaux ou des poèmes, c’est un peu entre les deux ». D’autres qui ont dit : « Non là c’est une lecture, c’est pas une performance parce que j’ai repris d’une autre forme tout ça ». Et puis finalement ça marchait très bien. Moi, la conclusion que j’ai faite de ça, c’est que j’étais hyper impressionné par le travail qu’il y avait derrière ces formes. J’arrivais pas à m’imaginer pouvoir monter des choses aussi hybrides, et aussi… Enfin, des formes finales aussi bien abouties. J’arrêtais pas de penser à l’économie qui doit sous-tendre tout ça. Soit un immense travail bénévole de monter des œuvres comme ça, soit des prods en fait très très chères parce que qui englobent beaucoup de gens. Il y avait pas mal de collaborations. Et aussi plein de médiums différents. Moi je regardais les trucs lumière, je me disais mais rien que ça, il faut avoir un ingénieur lumière, un ingénieur son, ça a l’air démentiel.
Camille Bardin
C’est vrai que pour des personnes dans l’art contemporain on a moins l’habitude. Je pense que pour le spectacle vivant c’est plus…
Samy Lagrange
Exactement, et c’est là où j’allais conclure à mon premier tour.
Camille Bardin
Parfait !
Samy Lagrange
On en parlera pendant le débat, j’arrêtais pas de me demander où sont montrées habituellement ce genre de formes-là. Quels sont leurs endroits, quelles sont les programmations, les budgets, les subventions qui peuvent les accueillir ? Parce que déjà la performance, on le sait, elle a cette… elle a ce problème d’être vraiment à la frontière à la fois de l’art contemporain et du spectacle vivant. Et donc du coup c’est rarement facile de… C’est une étrangeté, des fois dans les deux mondes, notamment pour avoir des subventions. Et là encore plus, les formes qu’on a vues, elles étaient vraiment… elles circulaient également entre plusieurs mondes, et du coup elles avaient l’air de demander vraiment des budgets tout simplement, ou alors des endroits pour les accueillir, et j’avais du mal à savoir où ils étaient. Et du coup ce qui m’a fait me demander, genre mais à part ce festival-là, où circulent ces formes-ci. Evidemment, je pense que ça vient d’un angle mort, en tout cas que j’ai sur cet écosystème et qu’il y a forcément d’autres endroits, parce qu’on est toujours aveuglé.e par ses propres biais. Mais du coup, je me demandais si Sturmfrei était vraiment une réponse à un manque d’endroits et de programmation ambitieuse, ou en tout cas avec du temps et des moyens pour pouvoir montrer ce genre de forme ou pas. Voilà. Un petit tour d’horizon.
Camille Bardin
Oui bah merci, on a secoué la tête tout du long de ton intervention, je suis vraiment complètement d’accord.
Samy Lagrange
Merci pour ça.
Camille Bardin
Je suis complètement d’accord avec ce que tu viens de dire, je te rejoins de bout en bout là-dessus Samy. Meryam ?
Meryam Benbachir
Oui, sur la question du budget, j’ai fait ma petite enquête et j’ai demandé à Arnaud Idelon, qui m’a partagé à peu près les rémunérations qui étaient attribuées aux artistes. Et donc, apparemment, s’est posée dans le collectif la question d’un forfait unique, qui en fait n’est pas une solution qui pour elleux semblait juste et envisageable, surtout qu’on a des formes performatives de lecture. Et à côté de ça, on a aussi des musiciens/musiciennes et que comme tu le disais Samy, en fait le spectacle vivant et la performance, c’est des grilles tarifaires complètement différentes. Donc les artistes ont été payé.e.s autour de 300 à 500 euros, sauf les groupes et les artistes du coup musicaux qui ont des cachets autres.
Camille Bardin
Et plus conséquents.
Meryam Benbachir
Et plus conséquents. Et en termes d’espace, tu disais Samy que tu te demandais quels espaces étaient alloués à ce genre de programmation. C’est vrai que moi j’ai tout de suite pensé à Actoral à Marseille, qui est en fait aussi un festival beaucoup plus institutionnel pour le coup, il faut le dire, mais qui vient mêler quand même des formes très abouties de l’ordre de la pièce dans des théâtres, mais aussi de la performance d’artistes émergents/émergentes ou moins. Mais c’est vrai que ça, c’est le côté plus institutionnel. Là où Strum… Sturmfrei, on va y arriver. [iels rient] À la fin du podcast, on sait le dire correctement.
Camille Bardin
Promis !
Meryam Benbachir
Et c’est vrai que je Sturmfrei, c’est plus un espace vraiment alternatif et on sent clairement cette volonté aussi de rester dans quelque chose d’alternatif et de ne pas s’institutionnaliser en fait.
Samy Lagrange
Juste rebondir.
Camille Bardin
Vas-y Samy.
Samy Lagrange
Effectivement, je ne l’avais pas pensé comme ça, mais c’est très intéressant ce que tu dis, Meryam, parce que maintenant que tu t’en parles, je vois plein de festivals enfin de littérature ou de théâtre, mais qui sont institutionnels et qui vont accueillir dans leur programmation des propositions plus expérimentales, et c’est un peu plus genre : « On s’ouvre à ces propositions-là ».
Camille Bardin
Faire la part belle de A à Z…
Samy Lagrange
Alors que Sturmfrei fait le contraire. Part de l’expérience, vraiment de l’expérimental et là à l’air d’accueillir des propositions plus abouties ou alors plus de l’ordre de la musique, du concert après et les mélanges. Et du coup ça ne va pas dans le même sens.
Meryam Benbachir
Qui peut peut-être aussi faire un tremplin justement pour certaines formes qui ont cet espace là d’expérimentation et de rodage un peu pour ensuite arriver aussi à des formes un peu plus abouties et professionnalisantes. Enfin, j’ai l’impression parce que quand même, venant de l’art contemporain et m’essayant à la performance depuis peu, c’est vrai qu’on n’a pas accès à des ingé son, des ingé lumière. Et ce qui n’empêche pas…
Camille Bardin
Et toute une mise en scène… Enfin, tu vois un accompagnement quant à la mise en scène aussi dans tout ça quoi.
Meryam Benbachir
Ouais. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait eu quand même pas mal de soucis techniques, j’ai trouvé quand même. Mais je pense que c’est aussi le jeu des espaces qui sont…
Camille Bardin
Ah tu vois, je l’ai pas vu ça.
Meryam Benbachir
Bah sur les micros et sur les voix, il y avait des performances qu’on entendait moins. Mais c’est aussi le jeu de ces espaces qui ne sont pas toujours faits pour des concerts, mais pour de la fête, pour des DJ sets. Et du coup, s’essayer aussi à d’autres systèmes son. Voilà.
Camille Bardin
Mais c’est cool que tu parles de ça, je ne vais pas revenir sur tout ce que vous avez dit, je suis globalement complètement d’accord avec tout ça. Je ne reviens pas là-dessus, mais effectivement, sur la question de la mise en récit de l’intime, je me suis pas mal interrogée quant à l’opacité de certaines performances. Et ça jouait justement sur des questions techniques. Certaines performances étaient parfois très hermétiques, si ce n’est inhospitalières, dans le sens où le public n’était pas forcément convié.e à rentrer en contact avec l’ensemble de l’histoire racontée. Les performances laissaient de grandes zones d’ombre parfois. Et au début ça me dérangeait parce que du coup il y a vraiment des performances où en fait on n’entendait même pas ce qui était dit quoi. Enfin, il y a une performance le deuxième soir au Point Eph’ où vraiment j’ai eu trois mots clés je pense sur une demi-heure de perf quoi. Et donc, au début, ça me dérangeait, mais le fait que ça me dérange me dérangeait encore plus, je crois. [iels acquiescent] Et puis, au fur et à mesure des trois soirs, j’ai commencé à un peu lâcher prise, à accepter les silences ou les brouhahas inaudibles et à me concentrer davantage sur ce qui me traversait que sur ce que j’entendais. Et en fait, je me suis dit que finalement, ce que nous donnaient certains et certaines artistes ici, ce n’était pas tant une histoire intime qui peut le rester du coup, mais plutôt et surtout des émotions et des ressentis corporels. Et en fait, je crois que c’est ça que je préfère dans la perf. C’est les frissons, c’est les basses qui nous traversent, c’est vraiment les lumières stromboscopiques. C’est vraiment tout ça, finalement. Et en même temps… Et je trouve que là, c’est ce qu’on avait. Moi, j’étais vraiment assez assez… anxieuse, peut-être que c’est un peu too much comme mot, mais j’étais un peu stressée à l’idée de faire ce festival-là parce que j’avoue que j’ai tendance à être ultra cringée par les perfs. Enfin, vraiment je pense que j’en parlerai plus dans la partie débat, mais c’est vraiment quelque chose qui me… Je peux vraiment frissonner de mal-être face à certaines perfs qui sont soit trop premier degré, soit pas assez bossées ou que sais-je. Et là, en l’occurrence, ça ne s’est pas passé. J’ai vraiment à chaque fois été cueillie, même dans des perfs qui… Enfin, vraiment il y a certains soirs où je ne m’attendais pas du tout à ça et j’étais vraiment assez perturbée par ce que je voyais, mais jamais cringée et au contraire, vraiment, j’ai l’impression que chacun et chacune des artistes m’ont un peu… oui, encore une fois cueillie et amenée là où iels le souhaitaient. Et à cet endroit-là, je trouvais ça vraiment cool. Et oui, et finalement, en fait, là où je trouvais que ça fonctionnait bien, c’est que finalement j’ai réussi à complètement lâcher prise et à me laisser porter par ce qui était proposé quoi. Meryam ?
Meryam Benbachir
Ça fait peut-être juste une boucle mais je pense qu’en fait ce sentiment là que tu as eu c’est aussi dû aux espaces en fait je pense parce que voir une perf dans un white cube et voir une perf dans un espace plus immersif où en fait on est dans le noir. On reparlera du cringe moi aussi je voulais parler du cringe dans le débat.
Camille Bardin
Trop bien.
Meryam Benbachir
Je pense qu’en fait c’est inhérent à un corps en mouvement face à nous et rigide en fait.
Camille Bardin
Oui. C’est ça.
Meryam Benbachir
Du coup, je pense que les espaces créent ça. Et je voulais revenir aussi sur la performance dont tu parlais. Donc c’est la performance de Lou Ellingson et Ha Kyoon. Et c’est vrai qu’on ne comprenait pas tout ce que Lou disait, mais c’était aussi et surtout quand même une performance musicale en fait. Parce que Ha Kyoon, du coup, était en train de faire un live. Donc il y avait du gabber, une grosse musique très prenante. Et Lou dans sa posture aussi, j’ai trouvé que c’était plutôt de l’ordre de la performance corporelle aussi quoi. Et j’ai trouvé que ça marchait malgré tout très bien.
Camille Bardin
Oui, complètement.
Meryam Benbachir
Et que c’est une forme qui se tenait très bien. Et du coup, ça propose des formes dans une performance sans que ce soit nécessairement voulu, mais ça crée d’autres propositions aussi.
Camille Bardin
C’est ça. Mais même sur la question de l’intime, il y a des fois où finalement les artistes on sentait qu’iels nous partageaient une expérience hyper secrète presque. Et en fait, on n’avait pas accès finalement dans les mots, dans ce qui était proposé, on n’avait pas accès aux fondements de ce qui avait motivé l’écriture, etc. Et ça, je me suis beaucoup interrogée là-dessus, notamment sur le… Je pense… Aller, je out le truc. Je pense à la performance de Clément Douala, par exemple, où je me disais, j’écoutais et je me disais : « Bon, je sais pas ce qu’il nous raconte. Je ne comprends pas vraiment ce qu’il en est ». Et en même temps, j’étais… je pense que c’est une des premières perfs qu’il m’a mise dans le festival. C’était le premier soir au Sample et où là vraiment, ça y est, il m’a mise dans le Sturmfrei tu vois. [elle rit] Et en même temps, j’ai rien compris à ce qu’il me racontait.
Samy Lagrange
Encore une fois, c’est la forme qu’il vient de prendre, en tout cas la forme du discours, même la forme scénographique qui vient te dire : « Ah, ok, on a essayé de raconter un truc qui me perturbe un peu quoi ».
Camille Bardin
Oui, complètement.
Meryam Benbachir
Je pense que c’était voulu comme assez cryptique aussi.
Camille Bardin
Oui, c’est ça. Il faut l’accepter aussi. Et en fait, c’est ça qui m’a pris du temps aussi, c’est d’accepter le fait que je n’aurais pas accès à tout. Et à un moment donné où justement, on parle beaucoup dans l’art contemporain de la question de la représentation, etc. Et je trouve que justement, réussir à tendre vers un truc un peu cryptique où finalement, t’es beaucoup plus déplacé.e que si on te mettait comme ça frontalement des corps ou des récits hyper puissants. Je trouve que ça fonctionne d’autant plus. Mais il faut réussir à lâcher prise encore une fois. Samy ?
Samy Lagrange
Oui, je trouve que c’est trop intéressant ce que tu dis. En tout cas, je pense que vous avez trouvé une dérivation critique pour aborder ces formes-là. Parce que moi, la question qui est revenue en essayant d’avoir un regard critique sur ce festival, et on en a un petit peu parlé Camille, je trouvais ça très intéressant. Déjà, c’est se demander, bah c’est un festival qui montre une grande quantité de perfs plus ou moins de notre génération et dans le contexte parisien. Mais de savoir du coup qu’est-ce que ça veut dire en termes de discours et de forme dans cette pratique-là ? Est-ce que c’est représentatif du médium ou alors de cette scène, de cette génération ? Et ça m’a fait revenir sur quelque chose de… En tout cas, le point commun de la plupart de ces propositions, c’est qu’elles sont extrêmement subjectives et intimes. Et donc là, on arrive sur un écueil critique, qui est comment on juge ce genre de propositions où il y a un véritable discours, mais par contre, il parle de l’intimité et de la réalité de l’expérience vécue par l’artiste. Et du coup, c’est toujours compliqué… Ah bah voilà !
Camille Bardin
Tout le monde lève la main [iels rient]
Samy Lagrange
C’est très compliqué d’avoir une position critique par rapport à ça, par rapport à cette esthétique d’aujourd’hui, en tout cas qui est celle où nous on a beaucoup le regard tourné, qui est l’esthétique du dévoilement de soi à des fins de discours politiques. Et du coup, nous, on arrive derrière avec un regard, forcément, par le biais de notre position critique, où on essaye d’avoir du recul, parfois un petit peu… qui nous oblige à nous désentimentaliser, alors que ce n’est pas le but de ces propositions justement.
Camille Bardin
Oui ! C’est ça.
Samy Lagrange
Et du coup, on parlait très vite fait, je crois, vendredi soir, Camille de… que parfois on reçoit des discours qu’on trouve un petit peu répétés, qu’on a déjà entendu en fait mille fois, mais aussi parce qu’on a le regard tourné là-dessus depuis un moment.
Camille Bardin
Oui, c’est ça.
Samy Lagrange
Et du coup, nous, on a l’impression de se dire genre : « Ah ouais bah… »
Camille Bardin
D’avoir des redites, inlassablement.
Samy Lagrange
Et on en a marre parce qu’on se dit qu’on a envie d’entendre autre chose. Même nous, du coup, à force d’avoir toutes ces redites, de nous-mêmes les redire, on est passé.e à un autre stade et du coup, on a l’impression d’avoir dépassé ces étapes de pensée. Alors, moi je le ressens constamment et en même temps au fond de moi, il y a toujours quelque chose qui dit genre que je suis quand même contre le rejet du discours, le rejet des mots et des concepts juste parce qu’on les a trop entendus.
Camille Bardin
Bien sûr.
Samy Lagrange
Alors bien sûr quand c’est le cas des discours problématiques.
Camille Bardin
Oui quand c’est complètement épuisé.
Samy Lagrange
Ça on peut les rejeter tranquillement mais là je pense qu’on parle pas de ce genre de sujet forcément, en tout cas pas toujours problématique, pas intrinsèquement problématique. Et surtout, c’est des discours qui, nous, on peut sentir comme dépassés ou en avoir un ras-le-bol, mais qui servent encore à certaines personnes pour pouvoir s’exprimer parce qu’elles n’ont jamais pu s’exprimer, ou même si elles-mêmes ont entendu mille fois ces mots, ces discours, ces concepts, bah la première fois où toi tu le dis, où toi tu vas t’en ressaisir, ça compte très très fort et donc c’est très violent de décider depuis l’extérieur, que ces mots et ces formes ne sont plus à la mode, donc ils sont dépassés, donc ça sert à rien, donc cette performance est mauvaise, parce qu’en fait, elle a… mais je peux t’outer Camille, on en parlait en…
Camille Bardin
Oui. Vas-y, j’ai peur.
Samy Lagrange
On en parlait vraiment entre nous, où tu disais genre, il y a des choses, j’ai l’impression que je suis en 2021. C’est affreux, parce que c’est juste trois ans.
Camille Bardin
Ouais. C’est horrible.
Samy Lagrange
C’est pourtant ce que tu ressens. Et en plus, quand on se rend compte qu’un mot ou un concept ou une forme a été trop répété, c’est surtout l’aveu qu’à un moment, il était nécessaire ce concept. S’il a surgi tout d’un coup, si on l’a répété partout, à un moment, c’est vraiment qu’il manquait. Et donc du coup, c’est… qu’il a quand même son importance. Il y a quelques mois, on faisait des blagues sur le rhizome de Deleuze et Guattari, mais en vrai, c’est qu’il résolvait un problème de pensée énorme. Donc je pense que c’est quand même OK d’accepter qu’on dit tous la même chose, mais à plusieurs vitesses, notamment quant à la forme de ces discours. Et que c’est OK que des personnes continuent de répéter des mots pour se donner de la force, même si d’autres personnes ne peuvent pas, ne peuvent plus les entendre. Et c’est OK que certaines personnes soient en train d’inventer des mots ou mieux… Je pense que la raison c’est plutôt de questionner la raison pour laquelle certains mots nous paraissent maintenant galvaudés et plutôt d’essayer de les redéfinir et de leur redonner une vraie application. Tandis que d’autres continuent de les répéter parce que quand c’est des mots importants… Je sais pas si j’ai trop dérivé mais en tout cas, ça vous intéressait tout à l’heure donc je vous roule la parole.
Camille Bardin
Oui non mais je te rejoins complètement. Moi c’est vraiment ce qui m’a le plus déstabilisée dès le premier soir en fait. C’est ce qui m’a fait… cogiter depuis. Notamment parce que si certaines perf m’ont assez plue, je dois dire que j’ai pas non plus été complètement bousculée, notamment le premier soir, peut-être parce que parfois je trouvais justement que les propositions étaient peut-être trop proches de choses qu’on a l’habitude de voir et d’entendre ces dernières années, comme tu le disais, et je ne suis pas… Je ne suis pas une grande spécialiste de la perf et du coup, je m’attendais vraiment à voir des trucs que je n’ai pas l’habitude de voir. Et en fait, finalement, pas tant que ça le premier soir. Autant dans le fond que dans la forme, pas systématiquement, mais quand même. Et en fait, ça m’emmerdait de penser ça. Je ne sais pas vraiment comment me dépatouiller de tout ça, que ce soit par rapport au Sturmfrei comme d’autres objets littéraires, artistiques, politiques ou militants. La question que je me pose, c’est comment, et même avant cela, est-ce possible, est-ce compatible de faire coexister la mise en récit de nos vécus traumatiques et l’originalité littéraire, artistique, etc. Est-ce que, alors que tant de bouches ont été muselées tant de temps, on peut leur dire, alors qu’il n’y a même pas eu une décennie qui nous sépare de #MeToo, que c’est bon, on a compris, c’est bon, ça a déjà été dit, etc. Evidemment que ce serait pas possible. C’est vraiment une question rhétorique à ce stade. Il faut vraiment qu’on puisse toutes et tous faire sortir de soi et poser des mots sur les expériences violentes qu’on a vécues. Ça c’est pour ce qui est du point de vue des auteurices. Mais alors quand je me place du côté du public, je m’aperçois que j’ai besoin d’autres choses, d’autres mots, d’autres propositions. Je crois que j’ai soif d’un élan nouveau. J’ai envie qu’on passe à une nouvelle étape, qu’on pose des mots sur la banalité du mal et de nos histoires finalement, qu’on décortique une bonne fois pour toutes cette figure du monstre pour s’en débarrasser tout à fait et qu’on décide de ce qu’on va faire en fait de nos violeurs et de nos agresseurs finalement. D’autant plus si on décide de s’inscrire dans une perspective anticarcérale, etc. Bref, on devrait toutes et tous pouvoir profiter d’un porte-voix pour dire nos histoires et les répéter cent fois s’il le faut. Mais je crois qu’il ne faut pas non plus qu’on s’essouffle. Il me semble qu’il est nécessaire qu’on trouve des formes qui nous permettent de panser nos plaies, mais aussi d’entretenir notre colère, de mettre en mouvement notre imaginaire et finalement de créer des possibles. Et c’est un peu toutes les… tous les nœuds de cerveau que m’ont créé le Sturmfrei et je me disais mais en fait je peux pas me dire en écoutant cette performeuse qui raconte des VSS potentiellement qu’elle a vécu, me dire : « Oui bon c’est bon je…
Samy Lagrange
« Je sais ».
Camille Bardin
« Je sais quoi ». Ce serait terrifiant et en même temps qu’est-ce qu’on fait de tout ça quoi ? C’est vraiment… C’est perturbant. Meryam, est-ce que tu as une solution de tout ça ? Et en tout cas, une conclusion !
Samuel Belfond
Et Meryam pour la solution ! [il rit]
Meryam Benbachir
Et Meryam pour la solut’, pas de pression du tout.
Camille Bardin
Non mais au moins une conclusion à cette partie.
Meryam Benbachir
Et bien justement, moi je trouve ça assez intéressant ce que vous avez dit parce que sur comment on critique de la performance et des récits qui sont intimes et personnels, pour moi, qui ai aussi une pratique plastique, c’est les mêmes choses qui nous animent et qui nous amènent à faire de la forme. Et donc, je pense que dans ces cas-là, on parle de la forme comme on le fait quand on voit une exposition, en fait. Et c’est juste qu’on n’a tellement pas l’habitude d’avoir une critique sur la performance, parce que ça paraît complètement différent, éloigné et distinct de l’art contemporain plastique, là où pour moi, les dimensions, les référentiels, les relationnalités sont les mêmes. En fait, c’est des groupes qui se côtoient constamment. Et c’est vrai qu’il y a toujours ce truc de « Non, mais ça, c’est pas vraiment dedans ». Et ça, pour moi, c’est vraiment un biais de l’art contemporain de « ça s’en est et ça s’en n’est pas ». Qu’est-ce qu’il le fait ? Est-ce que c’est parce que c’est dans le white cube, dans le musée, dans la galerie ou pas ? Ou même dans un lieu associatif ? J’en sais rien. Mais en tout cas, je pense que dans ces cas-là, quand on est face à un récit intime et qu’on ne sait pas par quel biais le prendre, on parle de la forme comme on le fait face à des formes de l’ordre de l’objet, on va dire, plus. Et…
Camille Bardin
Se focaliser sur la forme plus que le fond.
Meryam Benbachir
Non, mais c’est pas nécessairement ce que je dis, mais du coup ça peut être aussi juste une entrée à ça et une méthodologie qui nous permet aussi d’accéder à ça. Et pour moi, la performance et le spectacle vivant, c’est plus que nécessaire, sachant que pour moi c’est des formes qui sont beaucoup plus accessibles que d’entrer dans un musée et d’aller voir une exposition. Et donc ces discours qui se répètent, comme on le disait, c’est des sujets que nous on entend, que l’on voit, que l’on traite. En fait, ce… cette nécessité de l’étymologie et de répéter ces mots, de les mâcher, de les redire, de les redéfinir, de les recontextualiser, pour moi, c’est aussi nécessaire dans le sens où il y a d’autres personnes qui ne vont pas nécessairement voir de l’art contemporain et des terminologies hyper compliquées, qui vont être face à du vivant et du spectacle vivant et un discours direct. Et pour moi, c’est deux formes qui ne se clashent pas, et qui, justement, doivent coexister. Voilà. C’est mon petit…
Meryam Benbachir
Non mais c’était intéressant. Samy, tu conclus ?
Samy Lagrange
Oui oui. Il y avait plein de trucs intéressants de ce que tu viens de dire, Meryam.
Camille Bardin
Mais attention, parce que là, en fait, c’est plus qu’une conclusion, c’était presque une transition vers notre débat. Donc, attention au glissement, Samy. Tiens toi à carreau !
Meryam Benbachir
On attend Samuel, quand même.
Camille Bardin
C’est ça !
Samy Lagrange
Ouais ouais, c’est hyper intéressant ce que tu as dit. Bah juste… Par exemple, sur la question du public que ça touche, on s’est aussi demandé, est-ce qu’on est dans un événement branché ? Est-ce qu’on est dans un entre-soi ? Est-ce que c’est notre entre-soi ? Est-ce que c’est l’entre-soi de quelqu’un.e d’autre ?
Meryam Benbachir
Et pas tant sur le dernier soir, par exemple.
Samuel Belfond
Je ne sais pas…
Meryam Benbachir
Bah… vous êtes parti.e.s avant.
Samy Lagrange
Ça dépend quels entre-soi. Il y a plusieurs entre-soi qui ont été intriqués, ce qui est plutôt bien. Tous les endroits sont des entre-soi qui s’intriquent.
Camille Bardin
Rolala, lundi matin.
Samy Lagrange
Cette réflexion-là me faisait penser à quelque chose. Et un autre truc que je mets au crédit de Sturmfrei, c’est de m’avoir réconcilié avec la poésie et l’écriture poétique. C’est quand même très accès, enfin très revendiqué comme écriture en présence, mais poésiecore, tu disais Meryam, dans le dossier de presse. Moi, la poésie, j’en ai été dégoûté et ennuyé par l’école, mais à un point fou où jusqu’à l’âge adulte, je me disais : « Mais la poésie, mais quelle tannasse ! » Parce que l’école, c’était soit de l’anecdotique, soit pour faire du joli, tout simplement. Et en fait, il y a vraiment dans la poésie… Ça m’a fait penser qu’il y a une dépolitisation de la poésie, comme beaucoup de choses qui se passent par l’école française, c’est-à-dire une pacification républicaine des formes et des figures.
Meryam Benbachir
L’universalité des formes.
Samy Lagrange
Exactement, on vient désactiver les figures, les formes, les discours politiques. Alors en plus, c’est beaucoup plus pernicieux parce qu’on ne les exclut pas. On vient les mettre dans la machine de l’école. On ne les rejette pas, mais on va les faire passer par une machine qui désactive leur pouvoir subversif, les rend inoffensifs ou en tout cas opérant autrement. Ça me faisait penser à un exemple qui n’a rien à voir, mais qui est tout bête et qui me… qui me fait toujours penser à ça, c’est la figure de Louise Michel, et comment on l’a reçue. Louise Michel, elle est totalement ok dans notre imaginaire, notamment par l’éducation, mais ce n’est plus une révolutionnaire anarchiste comme elle l’a été au XIXe siècle, mais c’est une institutrice qui a lutté pour l’accès à l’éducation. Et donc du coup, elle est là, mais on l’a totalement dépolitisée.
Meryam Benbachir
Et désituée aussi.
Samy Lagrange
Totalement désituée. Bon après, la situation de Louise Michel était aussi problématique à d’autres endroits.
Meryam Benbachir
Bien sûr, c’est pour ça aussi que c’est quand même important.
Samy Lagrange
Tout à fait. Et donc du coup, ça me fait juste penser que j’ai mis beaucoup de temps à revenir là-dessus et Sturmfrei m’a aidé à nous dire que la poésie peut être une arme du discours politique. C’est quand même une expression qui peut être très libre en permettant ses métaphores, ses cryptiques, ses licences, ses différents degrés de lecture. C’est vraiment une forme qui peut permettre l’expression de l’identité et la diffusion des discours politiques. Et donc ce que fait Sturmfrei en l’inscrivant dans un cadre militant, politique, de fête, ça permet une repolitisation de la poésie, au risque évidemment de l’enfermer autre part et d’en faire quelque chose potentiellement de cool, de branché, et donc de le redésactiver, de le re-rendre inopérant au final. Mais ça c’est aussi le risque de toutes les entreprises de valorisation, je pense.
Camille Bardin
Oui. On fait rentrer Samuel ?
Meryam Benbachir
Le petit Samuel Belfond est attendu dans la cabine d’enregistrement. Samuel Belfond. [Samy rit]
Camille Bardin
Samuel, tu es de retour parmi nous, tu as désormais le droit à la parole, tu vas même nous introduire le sujet du débat.
Samuel Belfond
Oui, le petit Samuel trépignait en salle d’attente en vous écoutant parler. Et trépignait d’autant plus que ça faisait longtemps qu’on cherchait à évoquer et débattre au sein de Pourvu Qu’iels Soient Douxces sur des formes performatives et s’échapper un peu du format exposition qui prédomine comme manière de montrer dans l’art contemporain. Et ce n’est pas par manque de volonté ou d’intérêt, mais la performance, bien qu’elle se soit depuis la fin des années 50 peut-être, et les happenings d’Allan Kaprow, installée parmi les médiums de l’art, continuent de conserver une place relativement à part dans le champ qui est le nôtre. Une place relativement marginale, non pas par manque d’intérêt, mais qui est peut-être inhérente à ses modalités mêmes, qui font de la fragilité, l’immédiateté et son inscription dans les marges, un médium toujours difficile à produire, à communiquer et à critiquer. Pourtant, c’est justement parce que la performance est vouée à conserver cette dimension expérimentale, et ainsi d’être permise par des espaces, qui soient autogérés ou institutionnels, qui continuent à prendre le risque de cette expérimentation dans un contexte de plus en plus incertain, qu’il est important de continuer à en soutenir les formes. Et se demander, ainsi, par quels moyens continuer à diffuser et parler d’un art qui marche, souvent, à peu près ?
Camille Bardin
Qui veut commencer ? Meryam ?
Meryam Benbachir
On parlait tout à l’heure du cringe.
Camille Bardin
Oui, alors oui, dans l’entre-deux, on a fait une petite pause et effectivement, le cringe est le mot qui revient le plus quand on parle de perf depuis le début.
Meryam Benbachir
Mais parce que je pense que c’est aussi le sentiment premier qu’on peut avoir face à de la performance quand on n’est pas initié.e, comme face à beaucoup de formes quand on n’est juste simplement pas initié.e. Et pour moi, c’est important, je pense, de faire… d’accepter le cringe et aussi, surtout, de le questionner. Pourquoi est-ce qu’on ressent cette gêne ? Et moi, je pense que c’était en premier lieu, quand j’ai découvert ces formes-là, c’était il y a un petit moment maintenant, mais du coup, c’était surtout, je pense, de la frustration de voir un corps en mouvement, un corps qui se libère, et d’être moi dans une rigidité, en fait. Je pense que d’avoir un corps en face qui s’exprime là où nous on le fait pas, ou alors qui le fait de façon différente de la nôtre, dans des… bon alors philosophie de comptoir, mais dans des sociétés aussi qui viennent rigidifier les corps, en fait, dans des postures, dans des statues-res. [elle rit] Et voilà, je pense que ça c’est le premier pas aussi à faire, c’est d’être face à du mouvement et d’accepter en fait ce mouvement-là, de l’embrasser et voilà, pour l’instant c’est tout pour moi, je reviens après.
Camille Bardin
Premier petit step. Samuel ?
Samuel Belfond
Mais est-ce que ce n’est pas paradoxal justement que tu ressentes ce cringe face à quelqu’un.e en mouvement ? Est-ce que tu ressens la même chose par exemple dans le spectacle vivant ? Parce que peut-être pour caractériser une différence, enfin qu’est-ce qui différencie le spectacle vivant de la performance ? C’est qu’il y a quand même une forme d’horizontalité à minima spatiale. Généralement la performance se passe moins sur scène que dans un parterre où le public est soit de manière frontale mis au même niveau, soit autour. Donc il y a une proximité du corps comme ça qui crée cette notion de… cette sensation plutôt de fragilité.
Meryam Benbachir
Mais je pense que la performance a lieu dans des espaces qui nous mettent en fragilité. C’est ça aussi, c’est que moi la performance je la vois dans des espaces d’exposition, dans des espaces blancs, dans des white cubes. Et encore une fois, ça c’est un peu mon credo, je le dis à chaque fois, mais le white cube rigidifie le corps, rigidifie le corps mis en situation de minorité encore plus. Et je pense que c’est vraiment ça en fait qui est pour moi marquant, c’est d’avoir un espace hostile au mouvement du corps et à l’expression en fait d’émotion et du corps.
Camille Bardin
Ouais. Vous parlez d’espace, moi j’aimerais plus parler de contexte et de temporalité je pense, c’est-à-dire que je comprends ce truc du cringe parce que… Je pense que j’en suis revenue assez jeune où tu sais quand tu vas au théâtre potentiellement avec tes camarades de classe en primaire ou au collège et que tout le monde pouffe un peu devant la pièce parce que justement tout le monde est cringé. Moi j’étais un peu genre la faillote qui disait : « Non mais en fait vous comprenez pas c’est hyper beau ce qu’on voit etc. » [Meryam rit] Et du coup je pense que j’en suis revenue de tout ça et le cringe est revenu justement dans l’art contemporain et dans la perf. Et il y a peu, j’échangeais avec une performeuse qui me disait la violence que ça représente aussi de performer devant un public qui est distrait. Et je crois que la violence, elle est double, comme tu le disais, Meryam, quand le corps qui se met en action est justement un corps mis en minorité. Et du coup, elle, elle évoquait plus la responsabilité du public ou en tout cas la volonté qu’il se responsabilise et comprenne que ce qui se joue parfois implique des mois de travail, de sortir ses tripes et d’aller au-delà de… de son trac et donc cela peut revêtir une violence qui plus est. Donc quand la perf consiste en le fait de raconter une partie de soi, de le faire face à des types qui sont en train de chitchat et de se demander s’il reste une coupe de champagne. Mais après, quand elle parle de responsabilité du public, moi je crois que je préfère convoquer celle des curateurices et des programmateurs et des programmatrices parce qu’il me semble qu’on a… il me semble qu’on se retrouve dans ce genre de situation parfois un peu ubuesque, où des artistes sont parfois jeté.e.s au milieu de vernissage…
Meryam Benbachir
Clairement.
Camille Bardin
… Aussi parce qu’on a tendance à programmer la performance un peu n’importe comment, comme s’il s’agissait d’une animation venue rythmer en vernissage. Et en fait, à ce moment-là, ça devient désagréable pour tout le monde. Moi, je me souviens, là récemment, pendant la semaine de l’art, je suis allée au vernissage d’AlUla, où il y avait des serveurs qui servaient des petits fours, etc. C’était vraiment un gros vernissage. Et au milieu de celui-ci, on nous a demandé de nous taire pour laisser des performeurs et performeuses… performer, tout simplement. Et là, je me suis retrouvée dans une situation où, en fait, je suis partie… j’ai dû réfréner un fou rire, mais j’étais… Alors là, je me liquéfiais tellement j’étais mal à l’aise. Et ça se jouait au fait… C’était dû au fait, je pense, que le performeur, qui en soi était assez étonnant et assez impressionnant, il reproduisait le bruit d’oiseaux. Mais en fait, je pense que ce qui crée cette dissonance-là, c’était le premier degré. C’est quand les artistes sont dans le premier degré absolument, là où en fait, il y a une espèce de légèreté ou en tout cas un… Enfin, ça crée un décalage moi qui me met… Je ne sais plus où me foutre quoi. Et c’était tellement… c’était tellement étrange comme situation que, encore une fois, je suis partie dans un espèce de fou rire, ce qui m’a mise très mal à l’aise parce qu’en fait, quand bien même c’est une personne, il faut la respecter, quoi. Et ça, ça me met toujours aussi… Enfin, moi, ça m’agace aussi quand les gens ne sont pas en capacité, en fait, de comprendre que même s’iels ont la flemme d’écouter ou que ce n’est pas le bon moment, en fait – encore une fois, là, je boucle la boucle – c’est quand même des gens qui se mettent en scène devant toi. Iels entendent, iels te voient, s’il te plaît, respecte un minimum quoi. Donc voilà, les curateurices… Enfin, je pense qu’il y a une vigilance à cet endroit-là de quand est-ce qu’on programme tout ça quoi. Samuel ?
Samuel Belfond
Je te rejoins sur cette question de contexte et de responsabilité de programmation, dans le sens où je ne pense pas pour le coup que la modalité d’attention, qui est celle hyper théâtre d’un public qui ferme sa gueule et qui ne bouge pas face à un corps qui s’anime, c’est la seule modalité possible de la performance, au contraire du spectacle vivant. Dans son dernier bouquin, Claire Bishop, qui s’appelle Disordered Attention, elle parle justement de l’évolution des modalités d’attention et dans son intro, elle fait un point historique sur le fait que cette modalité d’attention hyper rigide, avec la salle au noir et le public statique, c’est quelque chose qui est assez récent, qui date en gros de la fin du XIXe siècle, notamment avec les opéras wagneriens. Et je trouve que la performance, elle vient remettre en cause ça. Mais la violence qu’il peut y avoir face à cette fragilité, qui peut être de l’indifférence, voire même jusqu’à des perturbations, voire des formes d’hostilité que, en tant que performeureuse, tu peux ressentir directement. Cette violence, il faut savoir l’anticiper, la contrôler. Et juste par exemple, un tout petit exemple de ça, quand on a commencé à penser Sturmfrei, cette question, elle s’est posée hyper vite, parce qu’en fait, mettre des performeureuses à 4h du mat à la station Gare des Mines, au milieu d’un public qui est au mieux à moitié sobre…
Meryam Benbachir
Ce qui s’est passé il y a deux ans.
Samuel Belfond
Ouais, ce qu’il s’était passé par exemple il y a deux ans, ça pose une question. Et de comment tu prépares ça, comment tu programmes, comment tu parles avec les performeureuses, que tu construis ça avec elles-eux en amont ? Parfois ça fonctionne, parfois ça ne fonctionne pas.
Camille Bardin
Sachant que pour ajouter, quand je parlais de cette perf à AlUla, j’en ai parlé avec des personnes qui ont fait la visite presse, donc qui y sont allées le matin, etc. dans un moment beaucoup plus calme où il n’y avait pas de champagne et de chitchat. Bah à l’inverse, les personnes avec qui j’ai échangé, à savoir Mathilde Leïchlé et Samy Lagrange, me disaient qu’à l’inverse, iels avaient… enfin vous aviez bien aimé cette perf et que en tout cas vous n’étiez pas partis dans un faux rire. Samy ? Je te lance pas nécessairement là-dessus.
Samy Lagrange
Non mais je suis bien embêté parce que vous avez dit exactement tout ce que je comptais dire.
Meryam Benbachir
Et nous sommes d’accord !
Camille Bardin
Et mince !
Samy Lagrange
Je suis absolument d’accord avec vous, notamment ce que tu as dit Camille sur le contexte. Effectivement, la perf, même plus prosaïquement, c’est un bouche-trou de la programmation artistique.
Camille Bardin
Han Samuel dis non de la tete !
Samy Lagrange
Dès qu’on pense une exposition… Dans la pratique. Pour moi, dans la pratique, dès qu’on pense une exposition, maintenant il faut penser une programmation pour activer ton exposition ou ton événement. Et donc du coup, le premier réflexe qu’on a, c’est alors performance. Qui c’est qu’on connaît ? Qui c’est qui va pouvoir performer pour pouvoir animer, faire le saltimbanque un petit peu et ramener des gens ? Parce que la performance en fait… Ça reste de l’art contemporain mais qui fait événement. Donc c’est à la fois, comme tu l’as introduit Samuel, très compliqué dans la définition et dans notre rapport à cette forme-là, et en même temps très pratique. Très pratique quand on décide de ne pas réfléchir frontalement ces paramètres intrinsèques. Et donc, je vais essayer de ne pas répéter ce que vous avez dit, mais ça va être dur, parce que vraiment je pense exactement la même chose. Mais c’est vrai que la plupart du temps, quand on l’utilise comme un bouche-trou, ça veut dire qu’on ne pense pas à la pertinence contextuelle, donc ni le lieu ni le bon moment, c’est ce que tu disais Camille, et donc du coup on ne donne pas à la performance les modalités adéquates à sa représentation. Et c’est ça pour moi pour reboucler sur le cringe. Enfin, ce qui fait le cringe quoi, c’est qu’on n’est pas dans le bon lieu, et qu’on perturbe le pacte avec les spectateurices. C’est qu’on leur propose d’aller voir quelque chose d’intrinsèquement décalé, en termes de forme et de discours, mais qui est un décalage par rapport au quotidien, mais en plus en décalage par rapport au contexte, souvent institutionnel, où on le présente. Et moi, mon cringe, il est peut-être aussi des fois d’emmener des potes voir des événements où il y a de la performance et de les regarder en mode genre : « Mais si t’es pas habitué.e à ça, tu vas cringer. Et moi, je suis cringé que tu cringes« . C’est un rapport à moi-même. C’est parce que je me rends bien compte qu’il faut avoir les codes pour comprendre ce genre d’événements, ce genre de décalage, que nous, on a accepté ces codes. Je me rappelle aussi, et ça boucle encore une fois sur ce que tu dis, Camille, que moi j’adore la performance. En vrai je ne me sens pas cringé devant de la performance parce que je sais que j’ai fait le taf pour avoir ces codes parce que très vite ça m’a paru le truc le plus subversif et bizarre qu’il pouvait y avoir et du coup que c’était trop cool de pouvoir enfin le comprendre et d’être, comme tu disais, la personne pas cringée et de dire genre : « Oh mais non mais en fait c’est trop intelligent ». Et du coup quand je vois des gens être cringé.e.s par ça, ça me renvoie moi-même au travail que j’ai fait. Tout ça pour dire que je suis un peu d’accord avec vous. Là on n’est pas d’accord parce que Samuel tu dis que le taf en fait, les gens le font déjà alors que moi j’ai pas l’impression qu’on fait de bonnes présentations de la performance. Mais c’est ce que vous disiez, qu’il faut trouver des moments et des endroits dédiés à la performance et surtout à la singularité de chaque performance pour lui donner la latitude de pouvoir se déployer et vous en avez un petit peu parlé, mais je pense que c’est hyper important d’être dans le care avec les performeureuses. Moi, j’ai cette expérience d’avoir programmé une soirée de performances au Sample. Ça a été, ça, le plus gros enjeu de savoir, c’était des performances sur le queer et le corps. Donc du coup, déjà, c’était un refus de le faire dans la salle de spectacle parce que tu ne peux pas foutre des gens à moitié à poil sur une scène ouverte à tous les vents, à côté du bistrot, devant les gens qui ne savent même pas trop pourquoi iels sont là. Donc il faut trouver un lieu et du coup ça demande un accompagnement. Alors évidemment, dans toute pratique artistique, quand tu programmes et quand tu exposes, il faut un accompagnement qu’on n’est pas toujours apte à faire aujourd’hui. Mais d’autant plus dans la performance. Moi, j’essaie de me projeter et ça me fait peur d’avance, d’être dans des conditions aussi perturbantes. Notamment qu’il y a un peu ce même paradigme que les gens qui font du théâtre. Les performeureuses sont souvent les personnes les plus timides et qui ont le plus de problèmes avec le social et tu comprends pas comment iels en arrivent à être à moitié à poil devant une scène, devant tout le monde. Bref, voilà, j’ai un peu paraphrasé tout ce que vous avez déjà dit. À vous.
Camille Bardin
Oui, tu as beaucoup parlé de décalage et c’est finalement ce dont on parle aussi, je trouve que, et c’est peut-être ça aussi qui crée… qui crée en fait, qui vient perturber les choses, c’est-à-dire que souvent, je trouve que la performance, elle vient mettre en lumière aussi un décalage entre le réel et la fiction ou en tout cas… Enfin, elle vient mettre le doigt sur des endroits où ça ne fonctionne pas, où ça dissonne. Il y a par exemple cette scène, je repensais au film The Square de Ruben Östlund, où il y a cette scène iconique quand même, où on les voit dans le musée royal de Stockholm. Bref, un gros musée de Stockholm où il y a une soirée de gala où t’as plein de bourgeois.se.s qui dînent au sein du musée et là t’as au milieu du dîner une perf qui commence et donc un performeur qui débarque et qui fait le singe en fait tout simplement. Donc au début tout le monde est un peu cringé justement ou se marre, il se dit qu’est-ce qui nous arrive etc. Sauf qu’en fait le truc bifurque complètement et le type, le performeur, qui est complètement rentré dans son personnage de singe, finit par monter sur les tables, faire tomber les verres et même jusqu’à agresser une des convives. Et là, en fait, se joue un truc complètement étrange, c’est qu’on ne sait pas quand est-ce que commence et s’arrête la performance. Et donc, il y a ce moment où personne ne réagit. Il y a un temps vraiment très, très long avant que quelqu’un ou quelqu’une se lève en disant : « Mais en fait, là, ce n’est pas possible ». Là, en fait, la fiction vient impacter le réel et on revient dans le réel. Et donc, il faut faire quelque chose, il faut agir. Et donc, je trouve que c’est ça aussi qui se joue dans la performance parfois, c’est qu’on a souvent de grands discours dans l’art contemporain sur justement les inégalités, sur les violences de ce monde, sauf qu’on le fait dans des cocons que sont le white cube, avec des gens qui ne sont pas forcément impacté.e.s par ces réalités-là. Et en fait, on se reprend dans la tronche quand la performance arrive, un corps qui est vraiment devant toi, palpable, agissant, etc. Et donc, je trouve que ça te remet en fait devant cette réalité et tu ne sais plus en fait laquelle est laquelle, c’est-à-dire qu’est-ce qui est le… En fait, la justesse, elle se trouve où ? Qu’est-ce qui est réel ? C’est le vernissage dans lequel tu es avec ton verre de champagne encore une fois ? Ou c’est ce qui est dit sur scène ? Enfin, je trouve que vraiment, cette dissonance-là, c’est finalement aussi potentiellement ça qui crée le cringe.
Meryam Benbachir
Je reviens sur la notion directe et impactante de la performance, ce qui va avec le cringe, parce que ça nous met en danger, parce que voilà. Pour moi c’est aussi un médium qui est hyper important parce que il sert aussi… Enfin, c’est une forme d’émancipation aussi pour beaucoup de personnes. Tu commençais à parler des corps mis en minorité. Et donc moi, ça me fait penser à deux ouvrages, Coco Fusco, The Bodies That Were Not Ours, qui questionne la présence des corps dans les espaces de domination blanche que sont les musées et l’art contemporain. Et Desidentifications de José Esteban Muñoz, qui est un chercheur qui travaille sur la désidentification, qui est un outil pour des personnes, notamment queer racisées, de se protéger, de mettre des limites. Et pour moi, la performance, c’est aussi un moyen de ne pas toujours se faire récupérer. Parce qu’en fait, quand tu proposes une forme et qu’elle est accrochée sur un mur, les gens passent, la possèdent un peu. Alors que quand tu fais une performance, que tu viens énoncer quelque chose, que ce soit des mots ou pas, tu donnes le ton, tu donnes les limites, tu donnes quand ça commence et quand ça s’arrête, et tu ne donnes rien d’autre à voir que toi et que tu veux qu’on voit. Et pour moi ça c’est quand même… C’est une forme qui peut être émancipatrice et qui du coup devient encore plus violente quand ça devient juste « amuser la galerie ». Parce qu’en fait c’est ça aussi la différence entre le spectacle vivant et la performance, c’est que le spectacle vivant a des espaces définis, codifiés, machin. La performance vient intervenir – ce qui a été le but aussi beaucoup – vient intervenir, déranger dans un espace rigide, machin. Mais aujourd’hui, ça peut être aussi très violent. Pour moi, il y a énormément de moments où j’ai été face à une violence vraiment très présente d’un corps non blanc ou non normé par l’hétéronormativité, enfin tout ça, qui vient performer devant des personnes qui sont rigides et qui regardent comme une bête de foire.
Camille Bardin
Ouais, c’est l’enfer.
Meryam Benbachir
Et en fait, pour moi, c’est juste pas possible. Donc c’est clairement des choses à repenser. Mais à savoir que la performance n’existe pas que dans des vernissages avec du champagne et dans des expos et machin. En fait, c’est ça aussi. C’est juste qu’on ne va pas dans les lieux de performance. Mais il y en a très peu. Mais en même temps aussi, on n’y va pas. Enfin, je trouve. Voilà, je sais pas.
Camille Bardin
Samuel ?
Samuel Belfond
Je pense effectivement que c’est important et intéressant de montrer cette distinction entre montrer des perfs dans le contexte communautaire notamment de leur création et la manière dont en fait elles sont ensuite transposées un peu de manière hors sol dans des galeries, des institutions, etc. Translation qui est importante à un moment pour des raisons financières et logiques, sachant que là on n’en parle pas vraiment encore, mais la performance est un art qui est aussi fragile économiquement, dans le sens où il fonctionne avec les nécessités de moyens de production du spectacle vivant, dans une certaine mesure, mais pas du tout avec les mêmes budgets. Quand on regarde les grilles DCA aujourd’hui, une créa de performance, je crois que le minimum c’est genre 700 balles qui est demandé en institution, ce qui ne correspond pas du tout aux réalités économiques de ce que ça devrait être pour survivre.
Samy Lagrange
Et il ne peut pas être acheté.
Samuel Belfond
Et en fait, elle pourrait être achetée. Il y a une question justement de la reproductibilité de la performance qui se pose. De base, la performance a un côté… une éphéméralité, dont parle Muñoz aussi notamment, qui rejoint…
Meryam Benbachir
La question du happening et tout.
Samuel Belfond
Ouais. Mais par exemple, encore une fois, je sais que justement dans le monde de la poésie aujourd’hui, il y a toute une question de la reproductibilité des spectacles, justement pour en faire des formes économiquement davantage viables. Après, encore une fois, je trouve que la performance est essentielle dans justement sa manière de pouvoir faire communauté ou communalité, et pas uniquement pour être un prétexte dans un vernissage à ce qu’on ne soit pas uniquement des piques-assiettes, mais à rassembler des gens autour d’une énergie commune. Je me souviens… Il y a eu pas mal d’exemples à Paris dans les années 2010. Je me souviens aussi à un moment dans la scène émergente marseillaise entre 2018 et 2020, quand tous ces lieux, Voiture 14 en premier lieu, mais aussi Sissi, Belsunce Projects, du fait que leur fonctionnement tournait bien plus autour des événements, du bar, etc., économiquement, que de la vente d’œuvres, il y avait une volonté comme ça de faire événement très régulièrement. Et ce faire événement faisait aussi communauté, et c’était une communauté qui savait ce dont les performeureuses parlaient sans en parler, dans une certaine mesure, et ce langage caché communautaire, en fait, avait une importance, justement. Et après, le fait que ça résiste, comme vous le disiez, aux institutions, que ce soit insaisissable dans une certaine mesure, je pense, ça rejoint aussi ce qui a déjà été évoqué dans un épisode précédent, ce que Mawena Yehouessi et Josèfa Ntjam parlent quand elles parlent du langage caché, qui va résister aux institutions.
Meryam Benbachir
J’ai cité les mêmes ouvrages, d’ailleurs.
Camille Bardin
Samy ?
Samy Lagrange
Je réfléchis en vous écoutant, parce que là quand Meryam parlait, ça me faisait penser… pour reboucler : à qui la responsabilité ? Je trouvais que du coup le poids de l’adaptabilité de la performance à son public et son contexte reposait beaucoup sur les performeureuses elleux-mêmes.
Camille Bardin
Clairement.
Samy Lagrange
Dans le sens d’aller performer dans des lieux qui ne sont pas ceux de l’institution et du coup de les transformer en lieux de performance ou alors quand t’es dans l’institution il y a une « mode » – elle vient pas de surgir mais elle revient beaucoup en ce moment – du perturbationnisme et du coup qui règle un petit peu ça. D’inventer ce mode de venir perturber l’espace même et le public dans lequel tu t’inscris parce qu’il ne résonne pas avec ton propos et ton discours. Et en même temps je suis assez d’accord avec toi Samuel, de ce que tu viens de dire, il y a quand même un taf qui vient pas souvent de la programmation artistique mais plutôt de la programmation événementielle dans le sens le plus large du terme qui va faire potentiellement la part belle à la performance et en tout cas l’amener avec elle où elle est. Mais en vrai, moi, ma conclusion, je reboucle un peu avec Camille, la responsabilité, elle est plus dans la programmation et dans les curateurices. En tout cas, si on parle vraiment de notre milieu à nous, quand on fait des… quand on s’inscrit pleinement dans ce microcosme de l’art contemporain, c’est la programmation du ou de la curateurice.
Camille Bardin
Meryam ?
Meryam Benbachir
Juste pour répondre, c’est que… Je reviens sur ce que je disais quand je disais « tu donnes le ton et tu donnes les limites quand tu performes ». C’est aussi juste parce que déjà tu as à le faire de base. Enfin, je parle de mon expérience et de ma lecture de performances parce que la plupart des performances que je regarde sont des corps non blancs et non cis, et/ou non cis. Enfin, voilà. Donc, j’ai cette lecture-là. En fait, on a déjà constamment cette responsabilité de donner le ton, donner la limite. Et là, en fait, au moins, on le fait d’un coup. Mais c’est sûr que ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas le faciliter.
Camille Bardin
Oui, mais en fait, c’est là où c’était intéressant aussi, dans ce que tu disais, Samuel, par rapport au Sturmfrei, c’est… quand tu parlais d’accompagnement aussi, c’est-à-dire que ça se prépare aussi en amont. Parce que j’ai l’impression aussi… Je pensais vachement à Ethan Assouline qui a tout un travail sur les textes où il récupère, il glane des textes d’artistes parce qu’il y a une espèce d’économie de moyens dans le texte, c’est-à-dire que ça ne demande pas d’acheter des kilos de glaise ou quoi. En fait, on peut faire ça devant son ordi et ça permet d’avoir un rapport beaucoup plus direct et spontané à ce qu’on a envie de dire. Et je trouve que la perf est un peu le pendant de tout ça, tu vois, c’est la mise en action de ces textes-là. Et donc, j’ai l’impression que tu as aussi des artistes qui finalement ne sont pas des performeureuses dont la performance n’est pas centrale dans leur boulot, qui finalement dérivent sur la perf parce qu’il y a une volonté de dire une chose à un moment donné. Et Meryam, c’est presque aussi toi ce que tu traverses là, c’est que la perf débarque dans ton travail récemment. Mais parce que j’ai l’impression qu’il y a cette espèce de spontanéité, et ce… comme si c’était plus simple, d’une certaine manière. Oui, tu lèves les yeux… enfin tu réfléchis et oui, c’est pas « plus simple » le terme, j’imagine.
Meryam Benbachir
Non, je sais pas mais…
Camille Bardin
Mais donc finalement, je trouve qu’il y a la responsabilité dans la question de la programmation, mais du coup aussi dans l’accompagnement. De se dire qu’il y a des artistes dont c’est pas le cœur même du travail, qu’il faudra aussi accompagner à cet endroit-là.
Samuel Belfond
Oui, c’est après aussi pour ça que parfois les performances, ça peut être complètement foiré.
Camille Bardin
Ouais.
Meryam Benbachir
Ouais.
Samy Lagrange
Oui.
Samuel Belfond
Et c’est la beauté du truc. C’est pour ça que je faisais la blague sur le fait que la performance est une forme qui marche à peu près. Parce que c’est ça aussi la différence avec le spectacle vivant. C’est lié évidemment à des moyens beaucoup plus limités. Mais il y a aussi cette… cette prise de risque qui crée en fait ce cringe ou cette instabilité en fait qui fait que c’est quand on est en fait pas stable sur nos pieds qu’il peut se passer quelque chose.
Samy Lagrange
Carrément.
Samuel Belfond
Mais parfois quelque chose qui se passe c’est que genre on est cringé parce que c’est une catastrophe intersidérale en face de nous mais ça arrive aussi quoi et comme ça reste lié à un contexte à un moment et aussi à une forme de convivialité plus ou moins, alors là je parle plus pour les espaces communautaires et autogérés, ça reste un moment de partage et genre que ce soit réussi ou pas, c’est pas si grave que ça. Alors, effectivement, en contexte institutionnel, ça crée quelque chose de complètement différent dans la mise en danger.
Camille Bardin
Oui, et j’ai trop envie de parler de ça parce que je me souviens que c’est un des trucs qui m’avait vraiment marqué. Et tu vois, je parlais du film de Ruben Östlund, qui est… Bon, lui, il est vraiment… vraiment, il adore proposer des scènes où les bourgeois.e.s sont complètement perturbé.e.s, mais néanmoins… Et donc, on pourrait se dire que c’est de l’ordre de la fiction uniquement, sauf qu’en fait, moi, j’ai déjà ressenti ce truc-là dans la réalité. C’était face à une perf de Pauline Lavogez. Et d’ailleurs, je pense que c’était toi qui l’avais programmée d’ailleurs, Samuel. C’était pendant le vernissage de 100% L’Expo à la Villette, il y a deux ans, il me semble. Et en fait, Pauline Lavogez proposait une perf qui était hyper violente, où elle se violentait elle-même. Et en fait c’était trop bien parce que pour le coup et je trouvais que c’était très intelligent la manière dont c’était fait c’est-à-dire que c’était en plein vernissage pour le coup de 100% l’Expo à la Villette donc dans une institution, etc. Et en fait donc c’était blindé de monde et il me semble que vous éteigniez les lumières de temps à autre pendant le vernissage et là il y avait ça et là des performances qui se jouaient. Et donc moi je m’étais retrouvée… Donc on choisissait même pas forcément l’endroit où on se trouvait à ce moment là on était fait mis.e face à une performance sans l’avoir décidé. Et donc moi, en l’occurrence, je m’étais retrouvée devant la perf de Pauline Lavogez et Pauline était… en fait se violentait quoi. Et donc je m’étais retrouvée, je me disais : « Putain, je suis dans le film… Je suis dans The Square, alors que je me foutais de leur gueule en fait, je me retrouve à vraiment ne pas savoir comment réagir ». Parce qu’à un moment donné, je me disais : « Non, mais en fait, là, il faut l’arrêter. Enfin, c’est pas possible ». Et ça m’avait tellement perturbé ce truc-là, à tel point que deux ans plus tard, je m’en souviens encore et j’en suis encore dérangée. Mais oui, je trouve que finalement, la performance, c’est aussi ça qui nous déstabilise le plus. Et c’est finalement ça que j’aimerais retenir quoi. Qui conclut ?
Meryam Benbachir
Samy ?
Samy Lagrange
Non, ça ne va pas être une conclusion, mais ça me fait… [il rit] Non, normalement je conclue.
Camille Bardin
C’est vrai, je te l’accorde.
Samy Lagrange
Mais non, c’est pour retomber sur ce que Samuel disait. Mais d’ailleurs, tu te fais un petit peu l’avocat du diable de toi-même aujourd’hui, parce que s’il y a quelqu’un.e qui est particulièrement tâtillon normalement sur la performance et qui n’aime rien en performance, c’est toi.
Camille Bardin
Il fait oui de la tête. [elle rit]
Samy Lagrange
Mais par contre je suis hyper d’accord sur ce que tu disais sur les fragilités, les tentatives qui sont inhérentes à la performance alors qu’elles viennent, comme le disait Meryam, soit du contexte où elles s’inscrivent et donc du coup le ou la performeureuse se retrouve de fait pas à l’aise et donc du coup ça change toute la perception de sa performance et aussi de comment nous on le/la perçoit. Mais ça me faisait penser que là, pendant les trois jours à Sturmfrei, vous parliez beaucoup, et du coup j’employais aussi ce mot d’aboutissement, que c’était des performances abouties, que ça nous surprenait parce qu’elles avaient l’air abouties. Mais que tout seul, moi je le vois jamais comme ça, enfin une performance aboutie, je suis beaucoup plus touché par…
Meryam Benbachir
La fragilité.
Samy Lagrange
Même pas la fragilité, l’essai de quelque chose et simplement de voir quelqu’un qui essaye. En fait, je ne vois pas comment une performance peut être aboutie parce qu’elle a l’air en constant cheminement.
Camille Bardin
Oui, c’est le propre du spectacle vivant.
Samy Lagrange
Et justement, c’est peut-être même pas un super compliment de dire qu’une performance est aboutie, ce qui veut dire qu’elle a atteint une forme. Et du coup, pour moi, elle n’est plus performance. Elle a une forme, du coup, elle a presque une forme programmatique. Elle tombe dans le spectacle vivant, dans quelque chose. Donc voilà, c’est un peu encore une fois, je jette.
Camille Bardin
Meryam elle est trop contente, elle a l’air hyper excitée.
Samuel Belfond
Elle va nous conclure.
Meryam Benbachir
Non, trop pas.
Camille Bardin
Si si si, on attend ça de toi ! [elle rit]
Meryam Benbachir
Non mais en fait c’est marrant parce que j’ai re-réfléchi à ce terme « abouti » que j’ai continué à utiliser ce matin, mais il était le matin. [iels rient] Et en fait, je me rends compte que j’ai dit ça seulement de formes qui avaient plusieurs médiums.
Samy Lagrange
Oui.
Meryam Benbachir
Et qui rentrait donc dans une autre dimension. J’ai pas dit ça de formes qui étaient simplement de l’ordre de la lecture, de la récitation. J’ai dit ça quand il y avait du vidging, de la musique, des machins. En fait, ça pose aussi cette question-là de : « Qu’est-ce que moi j’ai considéré comme abouti ? » Et c’était un truc de satisfaction, de marque, de travail plus conséquent, alors que pas nécessairement mais enfin… quand même, je pense. Enfin voilà, du coup, c’est… J’ai toujours pas conclu.
Camille Bardin
Oui, toujours mettre dans des petites cases et dans…
Meryam Benbachir
Comment on conclut ?
Camille Bardin
Samuel, est-ce que tu peux nous faire une conclusion, s’il te plaît ?
Samuel Belfond
Non, mais à la manière justement de ce que vous dites sur la performance, on peut laisser ce débat dans l’inachèvement.
Meryam Benbachir
Je suis grave d’accord.
Samuel Belfond
Et l’éphéméralité.
Camille Bardin
On va laisser nos auditeurices là-dessus. Et en plus, il est fier de lui, quoi. [elle rit]
Meryam Benbachir
L’énorme joker !
Camille Bardin
Merci à toutes et à tous de nous avoir écouté.e.s. Je remercie également l’équipe de Projets média et la régie pour l’accompagnement de ce podcast. On vous dit au mois prochain, mais d’ici là, prenez soin de vous et je vous embrasse. Ciao tout le monde !
Meryam Benbachir
Salut !
Samy Lagrange
Au revoir !
Samuel Belfond
Bye !