Interview avec Nele Verhaeren, nouvelle directrice de la foire belge d’art moderne et contemporain

 

A présent que la foire vient de s’achever, pouvez-vous analyser quels ont été les points forts et enjeux de cette 39e édition d’Art Brussels ?  

Premièrement nous avons déménagé pour retourner à Brussels Expo, où nous étions il y a quelques années, mais cette fois-ci dans les halls 5 et 6, dont l’entrée spectaculaire créée pour l’Exposition Universelle de 1935 a émerveillé les visiteurs. Ce lieu est idéal pour accueillir 25 000 personnes sur quatre jours et nous a également permis de revoir le plan de la foire afin de lui apporter une autre dynamique.
Nous avons poursuivi avec nos quatre sections : Prime, souvent d’artistes établis ou de ce que l’on appelle en mid-career, Discovery, dédiée aux découvertes et créations récentes – en solo ou en duos shows – puis Rediscovery. Ce secteur a augmenté en nombre et en qualité, car il permet de revoir des artistes de la deuxième moitié du XXème siècle ayant été d’une grande source d’inspiration. A l’exemple de Tapta, représentée par Maurice Verbaet, qui était une sculptrice belge d’origine polonaise dont les œuvres extraordinaires en textile et en métal ont, notamment, inspiré Ann Veronica Janssens.
Quand la section Solo mettait en avant 29 galeries dispersées dans la foire, dans le but de pouvoir faire des points d’arrêt et de respiration, car pour visiter 152 galeries de 32 pays différents, il est vrai qu’il faut savoir rester concentré !

 

C’est pour cela que vous avez insufflé des moments où l’on peut aller un peu plus loin dans le contenu et le discours d’un seul artiste. Est-ce aussi la spécificité d’Art Brussels, de montrer des artistes très émergents avec des figures historiques ?

Oui, même si nous suivons quelque peu la tendance, car l’on voit souvent des galeries d’art contemporain inclure des créateurs n’ayant pas été correctement représentés sur le marché de l’art et leur recréer une histoire. Je dirais que notre foire est alignée au profil de ses amateurs. Depuis 1968, elle est soutenue par le marché belge et ses collectionneurs mondialement connus pour être des connaisseurs. La rencontre de ces deux communautés pousse les galeries à être à la hauteur et c’est une véritable aubaine pour une foire d’avoir cette exigence de la part de ceux qui viennent la visiter. Tous les exposants avaient conçu leurs stands avec soin et ont permis de faire des découvertes qui mettaient en avant les sujets de l’inclusivité ou de l’identité. Comme les artistes ont des antennes, cela rend la nouveauté toujours présente.

Vos collectionneurs belges sont d’ailleurs accompagnés des amateurs des pays limitrophes, comme la France, l’Allemagne, le Luxembourg, la Suisse ou les Pays-Bas… Concernant les galeries, avez-vous accueilli de nouveaux pays sur la foire ?

Oui, notamment le Pérou ou Chypre par exemple, au cœur d’un renouvellement de galeries de l’ordre de 25%. Ce qui me semble très sain et dynamisant. Nous observons cette année que l’Europe du Sud, comme l’Espagne, le Portugal ou l’Italie, est bien représentée, avec un taux de 17% des exposants. Je pense que c’est grâce aux galeries Vera Cortês (de Lisbonne) ou Lia Rumma (de Milan et Naples) qui ont partagé leur expérience.

Cela montre-t-il également une évolution plus globale du marché de l’art vers l’Europe du Sud ?

Certainement, mais cela atteste aussi du fait qu’il existe de très bons collectionneurs dans l’ensemble de Europe et que nous devons nous faire connaître pour qu’ils viennent à nous. Or, il n’y a pas de meilleurs ambassadeurs que les galeries et les amateurs eux-mêmes.
En ce qui concerne les tendances esthétiques du marché, on a observé cette année de nombreuses œuvres très colorées, se développant particulièrement au sein d’une figuration picturale. Nous l’avions déjà constaté lors de notre dernière édition d’Art Antwerp, en décembre dernier. Tout y était, comme à Art Brussels, très soigné et je pense que cela répond à l’air du temps et peut-être à un besoin d’être rassuré face aux crises que nous traversons. Dans le secteur Discovery, j’ai également vu nombre de travaux qui traitent de l’intimité, à l’exemple de Jonas Lund, chez Office Impart, avec une réflexion sur ChatGPT, dans laquelle il cherche les limites et la déontologie de cette technologie. C’est très intéressant à observer.

Cela est peut-être difficile à énoncer en tant que directrice de foire, mais avez-vous eu d’autres coups de cœur ?

Oui, notamment Léonard Pongo, un des rares artistes vidéos présentés sur la foire, qui explore les paysages du Congo, à la frontière du documentaire, mais avec une grande poésie, montré par Kristof de Clercq. J’ai aussi découvert le solo de Machteld Rullens, chez Sorry We’re Closed, une jeune plasticienne hollandaise qui a fait des sculptures avec des boîtes de cartons pliés. J’ai été émue par les peintures intimes, de petit format, de Nathanaëlle Herbelin, chez Xavier Hufkens, puis très différemment, par Bob Bonies, né en 1937, qui est resté d’une fraicheur absolue, chez Ramakers. Il fallait aussi voir une impressionnante sculpture de Germaine Kruip, chez Axel Vervoordt. D’ailleurs, cela est encore moins facile à vendre sur un OVR ! Pour apporter des clefs à ce support que nous offrons à nos exposants, nous avons d’ailleurs demandé à la chanteuse Angèle et au danseur Wim Vanlessen de nous faire leur sélection au sein de cette mer d’images… et c’est amusant car on y reconnaît l’identité des deux créateurs. Je ne connais pas le pourcentage des ventes en ligne, mais je sais que lorsqu’on arrive à céder une pièce à un grand collectionneur qui vit au bout du monde, c’est toujours très émouvant…

 

Art Brussels
du 20 au 23 avril
Brussels Expo
www.artbrussels.com

crédits photos : © David Plas