Curatée par Cecilia Alemani, l’exposition de la 59e Biennale de Venise intitulée « The
Milk of Dreams » consacre une vaste part au rapport entre l’être humain et la Terre
qu’il habite. Parmi l’ensemble des artistes exposés à l’Arsenal et au sein des pavillons
des Giardini, The Steidz a sélectionné un panel d’œuvres qui projettent un
renversement des paradigmes : désormais, c’est une nature puissante qui domine,
une nature transformée, augmentée. Une nature sous acide.

Pour formuler une nature surpuissante, Teresa Solar (1985, Espagne) propose une
installation composée de trois éléments titanesques – suspendus ou posés au sol – qui
émergent comme des figures biomorphiques fictives, inspirées des animaux préhistoriques.
Ces créatures imaginaires conçues en argile et résine matérialisent une forme de vie
organique colossale et réminiscente à la fois. Au contraire, Kapwani Kiwanga (1978,
Canada) choisit de sublimer voire glorifier une nature inerte par des sculptures radicalement
abstraites : elle enferme du sable de silice dans des totems de verre faisant ainsi écho à des
sabliers, comme pour rappeler l’inexorable fatalité des préoccupations écologiques actuelles.
Un scénario qu’elle dispose entre de grands voiles colorés qui offrent un coucher de soleil
factice, et collectivement intitulé « Terrarium ».
Dans cette même veine qui associe nature et artifice, on retrouve au cœur de « The Milk of
Dreams » les fausses fleurs fluorescentes du père de la « New Ecology », Tetsumi Kudo
(1935-1990, Japon). À l’aide des nouvelles technologies de son époque, il met en exergue
une perception ultraviolette et place ainsi le regardeur comme témoin d’une autre réalité.
Cette interaction avec l’œil du visiteur se manifeste aussi dans l’œuvre filmique d’Eglė
Budvytytė (1981, Lituanie), Songs from the compost: mutating bodies, imploding stars, –
réalisée en collaboration avec Marija Olšauskaitė et Julija Steponaitytė – qui invite à
percevoir le corps humain en toute horizontalité, comme pour signifier une symbiose forcée
avec les contours des divers paysages traversés.
Point d’orgue symbolique d’une nature dominante, deux installations monumentales
rythment le parcours de l’exposition à l’Arsenal. D’abord, celle de Delcy Morelos (1967,
Colombie) qui convoque art minimaliste et architecture en articulant un imposant labyrinthe
composé d’un mélange de terre, de cacao et d’épices pour obliger le visiteur à développer
son sens olfactif. Puis, juste avant la sortie, c’est Precious Okoyomon (1993, Royaume-Uni)
qui établit à son tour un écosystème immersif : un paysage proliférant de canne à sucre et
de kudzu, peuplé d’épouvantails et de (vrais) papillons, expire une malicieuse métaphore
des pratiques esclavagistes et de l’histoire de la colonisation. Une thématique également
présente dans le travail de Simone Leigh (1967, États-Unis) – saluée par le Lion d’or de la
meilleure artiste – qui présente dans le pavillon américain une imagerie inspirée de l’histoire
et de la culture africaines ; la lauréate y formalise des hybridations entre les iconographies
de l’objet et du vivant, à l’image d’une jarre en céramique parasitée de coquillages.

 

Teresa Solar, Tunnel Boring Machine, 2022

Kapwani Kiwanga, Terrarium, 2022

 

Tetsumi Kudo, Flowers from Garden of the Metamorphosis in the Space Capsule, 1968,
fleurs artficielles, lumière UV

Eglė Budvytytė, Songs from the compost: mutating bodies, imploding stars, 2020, video 4K,
29 min

Delcy Morelos, Earthly Paradise, 2022

Precious Okoyomon, To See the Earth Before the End of the World, 2022

Simone Leigh, Jug, 2022