OVER MATERIALITY

Curatée par Sam Bardaouil et Till Fellrath, la seizième Biennale d’art contemporain de Lyon, titrée « manifesto of fragility », fait preuve d’un engagement de la scène créative pour l’exploration des limites de notre existence. Entre références passéistes, témoignages présents et fictions anticipatives, les artistes exposé.e.s misent sur une intense matérialité pour formaliser leurs pensées en images. The Steidz en présente une sélection, repérée dans trois lieux d’expositions du parcours de la biennale, à découvrir jusqu’au 31 décembre 2022.

Par définition, la plasticité d’une œuvre ne s’établit vraiment que lorsqu’elle s’exprime par des formes
visibles. À la Biennale de Lyon, cette valeur s’imprègne à travers une matérialité amplifiée, guidée par
des textures, des couleurs ou des matières qui excitent l’appétit sensoriel du regardeur.

 

Hannah Levy, Untitled, 2018, nickel-plated steel, silicone, polyurethane, 146.05 x 208.28 x 76.2 cm

Lucile Boiron, Mater, 2012, impressions photographiques UV sur verre et plexiglas, verre et tirages argentiques

Au Musée d’art contemporain de Lyon, une sculpture d’Hannah Levy (1991, New York) s’inscrit dans l’exposition dédiée au personnage de Louise Brunet, fileuse de soie lyonnaise qui aurait vécu au 19 e siècle et dont le récit est ici réinventé à travers plusieurs centaines d’œuvres. Soutenue par une paire de griffes métalliques, cette asperge hors-format en silicone s’affirme comme allégorie de la
nonchalance, de l’abandon, tout en évoquant un corps las par sa couleur chair. Une esthétique
malléable que l’on retrouve également chez Lucile Boiron (1990, Paris) qui investit les vitrines du
mobilier au musée Guimet : sa pratique photographique se matérialise par des impressions sur divers
supports d’apparence fluide – textiles ultrafins ou flaques de plexiglass. À la fois désirables et
repoussantes, elles incarnent des « états corporels » aux formes dégoulinantes, permettant d’asseoir
une nouvelle vision de la féminité.

Zhang Ruyi, Speak Softly, 2020, rideau de plastique, épines de cactus

L’inspiration de la fragilité du corps, et par extension de l’espace domestique, se retrouve aussi dans
l’installation Vacant Lot (2022) de Zhang Ruyi (1985, Shanghai). Présentée au musée Guimet, ancien musée d’histoire naturelle de Lyon, cette œuvre réalisée in situ marque une forme d’inconfort qui se tient par l’association de produits industriels et d’éléments organiques. Pour exemple, l’une des « rooms » imaginées par l’artiste est tapissée d’un rideau de plastique et d’épines de cactus : la matérialité du mur donne envie d’être expérimentée par le toucher tout en revendiquant une forme de danger. Cet épiderme artificiel joue ainsi sur l’ambivalence de la matérialité qui reposent sur le choix de l’individu : toucher ou ne pas toucher.

Eva Fàbregas, Growths, 2022, installation in situ, objets gonflables en tissue élastique, ballons gonflables

Lucia Tallová, Mountain, 2022, installation bois, acrylique sur toile et papier, encre sur papier, vieilles photographies, livres d’occasion, matériaux naturels, porcelaine, métal, pierres, charbon

Klára Hosnedlová, Sound of Hatching, 2022

Au sein des anciennes usines Fagor, la matérialité des œuvres s’impose par la monumentalité : Eva
Fàbregas (1988, Barcelone), basée à Londres, y suspend dans le vide ses sculptures, minimisant ainsi le visiteur à sa simple condition humaine. Mais il n’est pas seulement question d’échelle : ces éléments gigantesques appellent, par leur relief, à une implication tactile. Plus loin, l’installation Mountain de l’artiste slovaque Lucia Tallová (1985, Bratislava) et de la Tchèque Klára Hosnedlová (1990, Uherské Hradiště) offrent quant à eux des environnements exploratoires formalisés par la matière. Respectivement, elles ouvrent des architectures aux fondations de bois et d’époxy, où se confondent tour à tour de nombreux médiums à l’état brut ou transformés : charbon, porcelaine, papier, métal, pierres et poussière dépeignent des paysages postapocalyptiques où peut évoluer le visiteur.

Hans Op de Beeck, We Were the Last to Stay, 2022, installation in situ, matériaux divers

Cette démarche immersive, au plus proche de l’œuvre, se prolonge dans un autre hangar Fagor, avec
l’installation monochrome We Were the Last to Stay (2022) de Hans Op de Beeck (1969, Turnhout).
Dans un paysage fictif construit à échelle humaine, le Belge établit un imposant paysage fantomatique
aux mille et un objets : jouets, mobilier, végétation, véhicules et accessoires domestiques y partagent
tous la même couleur gris cendré. Une homogénéisation qui gomme les reliefs et efface la nature de
chaque élément, à la manière d’un statement revendicateur de non-matérialité.

Evita Vasiljeva, Impulse (J or Imp), 2020-2022, installation interactive in situ, son multicanal, lumières vertes, capteurs de mouvement multiples, microphones électromagnétiques, microphones de contact

Cette antithèse de la matérialité s’exprime aussi dans l’art d’Evita Vasiljeva (1985, Riga). Au musée
Guimet, la plasticienne sculpte par une lumière verte, acide, un environnement expérimental et
immersif dans lequel sont plongées des armatures métalliques et des câble électriques. Une façon
d’imposer au visiteur la fatalité d’une domination industrielle, artificielle, en proposant la visite d’une
nouvelle dimension spatiale où rien n’est palpable.