Katinka Bock
Sète vu du bord
Jusqu’au 7 janvier prochain, le Centre Régional d’Art Contemporain (CRAC) de Sète accueille Silver, une exposition personnelle de l’artiste allemande Katinka Bock. L’occasion de découvrir les couleurs que prennent son travail sous la lumière occitane.
Je ne peux m’empêcher de croire que nombreux·ses sont celles et ceux qui passent à côté du travail de Katinka Bock sans même le voir. Car ses œuvres se refusent aux regards distraits, aux pas pressés. Non pas qu’elles soient inaccessibles. Mais parce qu’elles révèlent l’imperceptible et réclament une attention toute particulière que seules les plus soucieux·ses sauront leur accorder. Prenons ici le temps de les approcher.
Katinka Bock regarde le monde avec attention. L’observation constitue d’ailleurs la première étape de son travail. L’artiste contemple les villes et les bâtiments qui l’accueillent pour penser ses expositions. Elle étudie les environnements, leurs structures et les mouvements qui s’épanouissent en leur sein. À Sète, ce sont bien sûr l’étang de Thau, l’attirail des jouteurs·es et les canaux qui traversent la ville qui ont retenu son attention. Katinka Bock les convoque tout au long de l’exposition. On retrouve des lances qui viennent trancher les espaces du CRAC, une large embarcation en céramique et une lame de bois fixée à quelques centimètres du sol qui évoque les bans de poissons ainsi que la collection de couteaux de l’artiste sétoise Valentine Schlegel. Toutes ces formes viennent enrichir le vocabulaire de l’artiste qui s’intéresse depuis plusieurs années aux figures en luttes, aux corps qui s’arment et se défendent.
Le corps est central dans le travail de Katinka Bock. Jamais montré frontalement, il est présent en négatif dans nombreuses de ses oeuvres. Dans Horizontal alphabet, on voit un parquet de grès composé de briques aux dimensions variables. Leur taille est celles des mains et des pieds de centaines de personnes. À l’étage, l’oeuvre One Meter Space met de nouveau les normes à l’épreuve des subjectivités. Pour cela, l’artiste a demandé à des individus de lui indiquer ce que représentait un mètre pour eux. Une corde en coton, marqué par des noeuds disposés à des distances variables garde le souvenir de ces perceptions multiples. L’artiste confronte ainsi nos corps à la dite neutralité, aux mesures et aux cadres. Elle nous rappelle que nos environnements sont faits de choix et de catégories arbitraires.
Enfin, il y a ce film, Silver, tourné à Sète et dans lequel s’enchainent des plans aux allures de notes visuelles avec ce citron qui flotte sur la mer, une serpillère qui lézarde sur le sable mouillé et puis la ville, toujours filmée depuis les canaux : « du bord » — précise Katinka Bock. Cette notion de bordures depuis lesquelles observer le monde traverse toute sa pratique ; jusqu’à devenir sa méthodologie de travail. Selon l’artiste : « Vivre ensemble, ce n’est jamais neutre, ce n’est jamais un constat, c’est toujours l’affirmation d’une position. Il faut se décider. On peut changer d’avis, mais on prend toujours une position. »*
Pour déceler la manière dont une population se structure et s’articule, elle prend cette posture toute particulière qui consiste non pas à tenter de s’extraire du monde – démarche vaine si ce n’est prétentieuse – mais à se mettre de côté, à ralentir. Katinka Bock laisse passer les gens et filer le temps, elle s‘intéresse à ce qu’on ne voit et n’entend plus.
* Katinka Bock dans un entretien paru en 2019 dans le catalogue « Tomorrow’s sculpture », ed. 1 Roma, 2019.