FACE TO FACE

Avec plus de trois cents artistes exposés au Carreau du Temple jusqu’au 26 mars 2023, le salon du dessin contemporain Drawing Now esquisse avec énergie tout l’intérêt porté au médium. Portée par le dynamisme d’une scène créative internationale, cette édition s’exprime notamment par le portrait qui investit le papier sous toutes ses formes.

Catégorie incontournable de l’histoire de l’art, le portrait est sans nul doute le point de départ de l’acte de représentation du monde réel. L’intérêt pour le corps, et celui à moindre échelle porté au visage, ne cesse de se déployer chez les artistes contemporains qui usent d’images préexistantes ou, a contrario, les créent de toutes pièces. Justin Liam O’Brien, sur le stand de la galerie parisienne Semiose, connecte ces deux perspectives en laissant planer un sentiment de solitude, d’ennui, souvent incarné par des visages statiques. Chez le duo Hippolyte Hentgen, représenté par la même galerie, c’est le choix du collage qui constitue cette action de portraitisation. En s’appropriant des photographies d’archives, des motifs de papiers peints ou des fragments de médias imprimés, les deux plasticiennes composent des portraits protéiformes aux tons burlesques, attribuant une nouvelle identité aux personnages situés au cœur de leurs œuvres.

Hippolyte Hentgen, Eleni, 2022, collage sur papier washi, 40 x 33.5 cm, courtesy de la galerie Semiose (Paris)

Justin Liam O’Brien, An Overwhelming Question, 2023, crayons de couleur sur papier, 38 x 38 cm, courtesy de la galerie Semiose (Paris)

Frédéric Malette, Les méditerranéens, 2021, graphite, acrylique et collage, 151 x 118 cm, courtesy de la galerie Catherine Putman (Paris)

On pourrait rapprocher cette pratique hybride, qui entrecroise les images, avec celle de Frédéric Malette qui, sur le stand de la galerie Catherine Putman, délivre un monumental portrait croisé intitulé Les méditerranéens : si, au premier abord, l’impression de ne voir qu’une seule tête est perceptible, on découvre une confusion presque fantomatique entre plusieurs visages, après une observation plus précise. L’artiste entremêle ici les archétypes de la Méditerranée à la manière d’une fusion entre différentes visions ethniques. Marqué par la notion d’apparition et de disparition, son dessin fait écho aux figures du Belge Jonathan Rosić que l’on découvre dans l’espace d’Archiraar Gallery. Ce dernier, au moyen de l’encre, présente une série aux tons sépia que l’on pourrait aisément confondre avec de la photographie. Touching from a Distance met ainsi en lumière des portraits par citations, avec des mains tenant entre leurs doigts des formes abstraites qui laissent supposer le retrait ou la censure d’un objet dont on ne peut deviner l’origine.

Jonathan Rosić, Touching from a Distance #7, 2022, indian ink on paper, 57 x 41 cm, courtesy of Archiraar Gallery (Brussels)

Chloé Poizat, Sans titre (souche_nez œil), 2018, fusain et pastel sec sur papier, 30.5 x 43 cm, courtesy de la galerie Modulab (Metz)

Cette tendance vers l’abstraction s’immisce également dans le travail de Chloé Poizat, exposée par la galerie Modulab dans le secteur FOCUS de Drawing Now. Parmi ses pièces réalisées au fusain et imprégnées d’une esthétique vaporeuse, l’artiste se démarque par un visage aux allures de masque avec un nez allongé sur lequel repose une forme fluide, anthropomorphique. Ce portrait raconte une fable imaginaire, il inquiète et établit un mystère laissant libre interprétation. Une autre mythologie personnelle est évoquée chez l’artiste mexicain Carlos Rodriguez dont l’univers stylistique se rapporte au Douanier Rousseau ou encore à Fernando Botero. Par le prisme du portrait, ses dessins monochromes frontalisent des scènes aux corps masculins dénudés, dans des atmosphères douces et paisibles. Une sorte de doux militantisme illustré qui offre au portrait un caractère apologique.

Carlos Rodriguez, Blue Drawing n°4, 2022, crayon bleu sur papier coton 250g, 38 x 48 cm, courtesy de la galerie Backslash (Paris)