LE NOUVEAU PRINTEMPS
et l’équipée sauvage de Tony Regazzoni
par Samy Lagrange
Pour Alain Guiraudie, le nouveau printemps est à venir. Et comme tous les futurs, il est tout à la fois utopie et dystopie. Artiste invité de cette nouvelle édition du festival toulousain, le cinéaste propose à une vingtaine d’artistes, et à nous toustes en vérité, de se confronter aux ambiguïtés de l’anticipation ; aux futurs que l’on guette, inquiet·es et impatient·es, terrifié·es et résolu·es.
Tout au fond d’une cour, Tony Regazzoni déterre un fragment d’utopie, proche et déjà fanée. Une de celles qui condensent tout frénétiquement, les références et les sentiments, et se fiche des incohérences. Les boîtes de nuit du nord de l’Italie, à la fin du siècle dernier, les “deux salles deux ambiances” au bord de la départementale.
Il est bientôt 23h, posé·es dans un salon, carrelage blanc et canapé ramassé dans la rue. Toutes les dix minutes, quelqu’un·e interrompt, panique ou ordonne : faut partir là, allez allez, y a machin qu’est déjà là-bas. Chacun·e finit son verre ou sa clope, puis re son verre. On perd du temps, on gagne du temps.
Tony rend souvent hommage aux lieux de fête. Ceux qui l’ont libéré en arrivant à Paris, ceux des périphéries et des campagnes qui l’accompagnaient déjà avant. Il recrée ces architectures improbables vers lesquelles on déplace nos corps, dans lesquelles on déplace encore nos corps. Ce déplacement, c’est le moment de l’excitation et de l’anxiété. En direction de la fête, tout peut arriver.
On regarde l’itinéraire et la consommation d’essence sur mappy. Les forêts du Morvan, les festoches de la diagonale du vide, la zone indus de Francfort. On allait en teuf dans des twingos, dans des 207, dans des camtars. Ils s’appelaient tous titine, sans majuscule. Dans la voiture, on s’égare, on tourne en rond. On perd du temps, on gagne du temps.
Au sein de la DRAC Occitanie, Tony nous propose de partir explorer ces grands complexes aujourd’hui abandonnés et de revivre cet élan si particulier qui nous habite sur le chemin de la boîte. On enfourche les mobylettes disposées en escadron sur la piste, le regard planté dans le fantasme de ce que pourrait être la soirée à venir. On enfile le casque, et les voix de Aurélie Faure, Camille Desombre, Gorge Bataille et Naëlle Dariya nous racontent ce qui pousse à s’extirper ainsi du quotidien pour rejoindre la fête. Elles disent la nécessité et l’obsession, les inquiétudes et le doute.
Les scooters alignés sur le parking en terre, les mètres de blanc limé. Aller au bal pour faire comme les grands. Devant l’entrée, on regarde qui est là et on fait le point sur pourquoi on est là. On perd du temps, on gagne du temps. Aujourd’hui le parquet a été démonté.
La fête est un refuge politique pour nos corps éreintés. Ce refuge est toujours transitoire ; régulièrement ses lieux nous sont confisqués, se délabrent et se déportent ailleurs. Mais c’est en direction de la fête, quand tout est incertain, que l’utopie se joue.
Merci à Tony Regazzoni, que je croise rarement en dehors de la fête.
Le Nouveau Printemps prend place dans le quartier des Carmes / Saint-Etienne, à Toulouse, du 30 mai au 30 juin 2024. La direction artistique est assurée par Clément Postec et la programmation pensée avec Alain Guiraudie, artiste invité.