MARION VERBOOM
Exposée à la Galerie Lelong & Co. Matignon jusqu’au 29 juin, Marion Verboom (née en 1983, vit et travaille à Paris) déploie un alphabet sculptural qui prend forme à travers ses Achronies. Du moulage à l’élévation de ses fragments ornementaux, l’artiste exprime sa propre vision iconographique, en prenant appui sur des codes archéologiques et architecturaux.
ESPACE-TEMPS
Quand je fabrique mes moulages, tirages et céramiques, je découpe mes volumes et mes temps de production en plusieurs “actes » pour tout faire rentrer dans l’agenda de la matière. C’est-à-dire son temps de séchage, et toutes les étapes de la fabrication de mes sculptures qui s’ensuivent.
Je suis très sensible et affectée par la sensation du temps qui passe et comment cela affecte la matière, les esprits, les formes et les couleurs. »
ACHRONIE
« En astronomie, l’achronie qualifie le lever d’un astre au-dessus de l’horizon, au moment où le soleil se couche, ou son coucher au lever du soleil. Elle régule, donne un rythme, forme un cycle et détient la fonction de marqueur. Elle délimite un champ invariable dans le temps et l’espace.
Malgré tout, en philosophie, on utilise ce terme pour définir un temps qui n’en est pas un, ou qui du moins n’est pas ressenti, comme une absence de durée. Je m’intéresse à la lecture phénoménologique du temps comme construction intérieure (les temporal-daten de Husserl, par exemple). Et c’est ce que je vis à l’atelier en manipulant les formes et matériaux. »
MÉDITERRANÉE
« J’ai commencé à développer les Achronies à la suite de ma découverte du musée archéologique d’Istanbul et des différentes strates historiques des grandes cités antiques. J’ai toujours été très frappée par l’apparition et la disparition des formes, des batailles des iconodules et des iconoclastes. Je voulais observer comment les formes évoluent sans cesse sur ces territoires méditerranéens, apparaissant à un endroit, disparaissant et revenant un peu plus loin, en France, au Pays-Bas, en Grèce. »
ARCHÉOLOGIE
« Je conçois la série des Achronies comme un espace et un temps de découvertes, d’investigations sur l’histoire de la Méditerranée et de l’Europe et sur la dissémination des systèmes de représentation… Je dessine beaucoup dans les musées d’archéologie et quand une forme revient plusieurs fois, je l’intègre dans la série en m’en inspirant et en la réinventant car elle a eu le temps d’évoluer dans mon imaginaire. »
QUARANTE CENTIMÈTRES
« Je reviens à l’atelier et à l’aide de ma mémoire, mes carnets, des photos, je modèle une forme en terre en partant toujours d’une base ronde de quarante centimètres. Le modelage me permet d’inventer, transformer, forcer mes souvenirs d’une forme dans ce que l’on pourrait appeler “un tambour”. C’est ainsi que je construis les modèles que je vais ensuite mouler. »
MOULAGE
« Le moulage, en tant que technique de reproduction, me permet de produire les fragments qui composent mes Achronies. Il autorise une grande liberté de travail car la matière chromatique, résine ou plâtre, est appliquée comme de la peinture dans le creux du moule. La fluctuation créée dans la surface grâce à cette technique vient pondérer la répétition et la stabilité de la forme opérée par la sérialité. »
ALPHABET
« Les séquences ne représentent pas une narration au sens littéraire du terme. Plutôt un ressenti, un appel à inventer sa propre lecture des formes.
Je compare mes fragments à un alphabet car ils sont ce qui pourrait être des voyelles et d’autres des consonnes : les représentations zoomorphes et anthropomorphes pourraient être les consonnes car elles impactent plus la lecture et le rythme quand les ornements géométriques et minéraux seraient plutôt de l’ordre de la voyelle, car ils permettent des transitions. »
VERTICALITÉ
« Avant tout, mes Achronies ne sont pas conçues comme des colonnes mais comme des carottages géologiques, c’est-à-dire des strates prélevées verticalement dans le sol. D’ailleurs, je préfère le mot “élévation” à celui de “colonne”.
C’est une ambition, un défi. Et puis la verticalité est aussi l’axe du temps. J’ai besoin d’une certaine géométrie pour faire de la sculpture. Définir un axe, une ligne, qu’autant de formes organiques et fluctuantes viendront habiter.
La juxtaposition des fragments que je produis forment un carottage chronologique ou anachronique. Ces formes fluctuantes dans le temps et l’espace, qui s’élèvent aussi rapidement qu’elles se démontent, forment dans leur unicité une architecture, un petit temple dédié aux images. »
Exposition « DA CODA » de Marion Verboom
Du 16 mai au 29 juin 2024 à la Galerie Lelong & Co. Matignon (Paris)
www.marionverboom.com