FASHION!

Marqueur social, objet identitaire ou revendicateur d’exubérance, le vêtement devient le second protagoniste de la photographie contemporaine lorsqu’il est mis en scène. La 26e édition de Paris Photo, ouverte jusqu’au 12 novembre au Grand Palais Éphémère, témoigne de cette tendance qui libère l’image de magazine de mode pour faire œuvre. Une sélection de The Steidz. 

Paul Kooiker, Untitled, 2021, courtesy de tegenboschvanvreden (Amsterdam)

 

Certaines passerelles entre les disciplines sont évidentes. Ainsi le photographe néerlandais Paul Kooiker collabore-t-il avec de nombreux titres de presse (New York Magazine, Luncheon, Beauty Papers…) pour saisir des portraits de mode où coiffures, vêtements et accessoires contribuent activement à l’extravagance surréaliste qui lui est propre. Dans une esthétique sépia, Kooiker fige régulièrement ses modèles dominés par d’imposants costumes et objets, ne révélant rien de leur identité.
Si cet effacement du “soi” se retrouve aussi parfois dans les photographies d’Arielle Bobb-Willis – notamment dans sa série New Jersey qui n’hésite pas à entremêler les corps ou recouvrir les visages d’éléments abstraits -, le concept se glisse aussi dans la pratique d’Isabelle Wenzel. La photographe allemande privilégie un renversement des corps, attirant ses images vers une définition performative. Celle qui se définit comme “movement designer” illustre dans ses clichés des poses burlesques, où les silhouettes, majoritairement féminines, tiennent en équilibre sur la tête, sur une jambe, sur un bras. Un procédé qui n’est pas sans rappeler les liens avec le voguing, inspiré des attitudes des mannequins lors des défilés de mode, d’autant que la part belle est toujours laissée à des vêtements colorés, stéréotypés.
De la même manière, la jeune photographe haïtienne Widline Cadet façonne la pose de ses modèles à l’image de We Belong, We be, We Long (2020) insistant sur la gémellité par une mise en mouvement imbriquée et des tenues similaires, qu’elle dresse sur un décor de fortune rappelant celui d’une séance photo.

Widline Cadet, We Belong, We be, We Long, 2020, courtesy de Webber (Londres / Los Angeles)

 

Isabelle Wenzel, Rosie and me 1, 2023, courtesy d’Anita Beckers (Francfort-sur-le-Main)

 

Yelena Yemchuk, Tris and Ania, Mystery of a Memory, 2019, courtesy de Kominek Gallery (Berlin)

Délaissant la valeur plastique et la fantaisie des sujets costumés, le médium photographique s’implique aussi dans une vision quasi documentaire en abordant l’objet-vêtement ; ce dernier s’attribue dès lors une signification identitaire, voire sociale, conduite par l’apparence et les textiles portés. Si Juergen Teller est connu pour avoir renouvelé le genre de la photo de mode à travers ses collaborations avec la presse et les maisons de créateurs, il expose sur le stand de la galerie Suzanne Tarasieve des dizaines de clichés réalisés en 1998-1999. Ces portraits féminins sont en vérité ceux de jeunes modèles l’ayant sollicité aux prémices de leur carrière pour constituer leur book ; postures sportives, visages ébahis, poses ordinaires… la série navigue entre une impression de simplicité et d’étrangeté.

De son côté, la Française Claudine Doury témoigne à sa façon de cette orientation vers le réel en séjournant, de 1994 à 2003, dans un camp de vacances en Crimée dédié aux enfants de la nomenklatura – l’élite du parti communiste de l’Union soviétique. La répétition des jambes adolescentes photographiées, portant souliers, chaussettes et jupons identiques, laisse percevoir une uniformisation de l’identité, une cohérence de la pensée, un entre-soi gommant toute individualité.

Artiste et photographe ukrainienne, Yelena Yemchuk se saisit aussi de cette perspective, qu’elle tourmente néanmoins : dans son travail, il est parfois question de tricherie. Elle déguise volontairement, pour exemple, un duo de filles avec des perruques et des uniformes bleus clairs, comme l’étaient les vendeuses de pâtisserie de son enfance. Une démarche visant à rappeler les archétypes féminins du passé, rencontrés à travers son histoire personnelle.

 

Claudine Doury, Le camp Yantar, Crimée, 1994, courtesy de In Camera Galerie (Paris)

 

 

Arielle Bobb-Willis, Untitled (New Jersey), 2016-2019, courtesy de Les filles du calvaire (Paris)

 

 

 

Juergen Teller, Lori Fredrickson, London, 23rd March 1999, série “Go-Sees”, 1999, courtesy de la Galerie Suzanne Tarasieve (Paris)