↘ la Foire Foraine d’Art Contemporain au 104 à Paris ainsi qu’à l’exposition Barbe à Papa au CAPC à Bordeaux. La fête foraine est convoquée dans les deux cas pour approcher la forme de l’exposition d’art contemporain.
↘ Débat : Fatigue muséale et du corps dans l’espace d’exposition.
Avec Camille Bardin, Samy Lagrange, Henri Guette & Mathilde Leïchlé.
↘ Retranscription complète des échanges :
Camille Bardin
Bonjour à toutes et à tous, on est ravi.es de vous retrouver pour ce nouvel épisode de Pourvu Qu’iels Soient Douxces. Ce soir aux micros de ce studio : quatre membres de Jeunes Critiques d’Art, un collectif d’auteurs et d’autrices libres et indépendant.es ! Depuis 2015 au sein de Jeunes Critiques d’Art nous tâchons de repenser la critique d’art comme un genre littéraire à part entière et pensons l’écriture comme un engagement politique. Pour Projets, on a souhaité penser un format qui nous permettrait de vous livrer un petit bout de notre intimité en partageant avec vous les échanges qu’on a officieusement quand on se retrouve. POURVU QU’IELS SOIENT DOUXCES c’est donc une émission dans laquelle on vous propose deux débats : le premier autour d’une exposition. Le second davantage tourné vers une problématique liée au monde de l’art. Aujourd’hui nous sommes donc quatre membres de Jeunes Critiques d’Art à échanger… bonsoir Mathilde Leïchlé.
Mathilde Leïchlé
Bonsoir !
Camille Bardin
Samy Lagrange.
Samy Lagrange
Bonsoir Camille !
Camille Bardin
Et moi même Camille Bardin. Alors aujourd’hui, on a décidé de commencer par deux expositions. La première qui vient de se terminer au 104 à Paris, qui était la Foire Foraine d’Art Contemporain et la seconde qui court jusqu’au 14 mai prochain qui a été curatée par Cedric Fauq au CAPC à Bordeaux et qui s’appelle Barbe à Papa. Et donc toute l’émission va se déployer autour de la question de la fête foraine, du motif de la fête foraine. Dans un second temps, on parlera de fatigue muséale et du corps dans l’espace d’exposition. Voilà, je laisse Henri peut-être faire l’introduction de ce premier sujet.
Henri Guette
Mais oui Camille ! Hasard de calendrier, il arrive régulièrement qu’un même thème soit abordé par différentes expositions en même temps. Il ne s’agit pas la plupart du temps d’actions concertées mais bien de coïncidences qui traduisent un esprit du temps. C’est ainsi que nous allons donc aborder aujourd’hui la Foire Foraine d’art Contemporain qui s’est tenu à Paris, au Cent Quatre du 17 septembre 2022 au 29 janvier 2023 et Barbe à papa ouvert au CAPC de Bordeaux le 3 novembre 2022 et jusqu’au 14 mai 2023. La fête foraine est donc convoquée dans les deux cas pour approcher la forme de l’exposition d’art contemporain. Bien sûr ce parallèle n’est pas nouveau, et les artistes dada et surréalistes qui entendaient bousculer les habitudes du spectateur se sont inspirés du stand de tir ou du palais des glaces dans leurs œuvres comme dans leurs dispositifs de monstration. Quel meilleur endroit en effet que la fête foraine pour remettre en jeu le corps du spectateur et interroger les hiérarchies sensitives que nous établissons ? Une exposition ce n’est pas seulement la vue mais aussi l’ouïe et potentiellement l’odorat, le goût et le toucher. Le Crocodrome de Zig et Puce organisé entre 1977 et 1978 à l’instigation d’un groupe d’artistes parmi lesquels Bernhard Luginbühl, Niki de Saint Phalle, et Jean Tinguely entendait avec humour rassembler adultes et enfants. La dimension immersive du dispositif, le sens du jeu permettait d’imaginer à l’ouverture du Centre Pompidou de nouvelles façons de montrer l’art et d’y faire participer le public. Le parc Luna Luna ouvert à Hambourg en 1987 invitait lui des artistes comme Keith Haring, Jean-Michel Basquiat et Roy Lichtenstein à concevoir des attractions dans un parc qui se donnait comme un divertissement culturelle. Au travers de ces différents exemples, d’époque différentes, ce qu’il faut donc mesurer c’est l’enjeu pour l’exposition de renouer avec une de ses formes les plus populaires. Apparue en marge des expositions universelles à la fin du XIXème, les attractions foraines qui ont progressivement gagné en autonomie et sont devenues les fêtes foraines que l’on connaît aujourd’hui structure un imaginaire commun et attire un public qui ne vient pas nécessairement au musée. Sous le couvert de démocratisation culturelle ou avec l’ambition de révéler les ressorts de la fête foraine, les deux expositions s’ancrent donc dans une longue histoire avec des partis pris différents que nous allons maintenant discuter.Attention au départ, nous commencerons donc par évoquer à quoi ressemble l’exposition du 104 ; sous la grande nef du 104, vous voici donc une fois passé à la billetterie avec des jetons que vous pourrez dépenser à chacune des œuvres/attractions. Le spectateur est mis en condition : il choisit comment il utilise ses jetons, où il fait la queue et ce qu’il veut voir. Un dispositif qui rappelle davantage le parc d’attractions que la fête foraine, sans compter la réservation obligatoire… L’exposition s’est tenue avec un ajout d’œuvres à mi parcours ce qui étant donné l’état d’usure n’était pas un luxe. Parmi les attractions, citons à la fois l’installation de Léandro Erlich qui avec un jeu de perspective et de miroir nous donne l’impression de grimper au sommet d’un immeuble (parfait pour les selfies), le stand de gaufres Invader (parfait pour une petite faim) mais aussi le palais de glaces de Julio le Parc et les stands de tir de Jacob Dahlgren et Pilar Albarracín. Je ne vous détaillerais pas les oeuvres de la quarantaine d’artistes exposés, mais la direction artistique assuré par José-Manuel Gonçalvès directeur du 104 et Fabrice Bousteau, rédacteur en chef de Beaux Arts Magazine proposait aussi bien de relire des oeuvres historiques que des oeuvres nouvelles produites pour l’occasion. Des choix dont nous pouvons donc discuter après la présentation par Samy de l’exposition Barbe à papa au CAPC sous le commissariat de Cédric Fauq.
Samy Lagrange
L’exposition du CAPC s’ouvre sur un couloir où l’on est préparé doucement, invité à pénétrer prudemment, où l’on démultiplie les entrées avec de fausses portes des arches de bienvenue et des lettres en néons qui nous interpellent. On ne sait pas vraiment ce qu’il va se passer, ce que tout ça veut dire exactement, avant d’arriver dans l’immenser nef en Pierre. Là sont réunies une cinquantaine d’oeuvres qui, individuellement rappellent des formes foraines, celles des attractions – quoi que démantinulées -, et toutes ensemble elles nous plongent également dans l’atmosphère d’une grande fête qui serait sur le point de fermer, ou qu’on aurait abandonnée, qu’on aurait ouverte rien que pour nous. Les ampoules clignotent encore, les musiques se lancent et les bruits de mécanismes se font entendre selon un rythme irrégulier. On est invité à explorer et à comprendre pourquoi la fête foraine est en train de s’éteindre, de s’effondrer, de dégouliner, pourquoi parfois elle est tout à fait à l’envers. Envers les montagnes russes décharnées de Jesse Darling, les automates dégoulinants d’Agata Ingarden et le carrousel détraqué de Bertille Bak, on est invité à regarder ce qui se cache sous la furface inoffensive et colorée des grandes enseignes lumineuses et des jeux pour enfants.
Camille Bardin
Et parce que c’est très important pour nous d’être complètement honnêtes avec vous et de déjouer l’opacité qu’il peut y avoir dans le secteur de l’art contemporain, on souhaitait préciser qu’on a été reçu.es par Cédric Fauq au CAPC. Nos billets de train ont été pris en charge par ailleurs par le CAPC. On a visité l’exposition seul.es, puis on a eu un temps d’échange avec Cédric Fauq autour d’un déjeuner qu’on a chacun et chacune payé. Voilà, donc vous savez vraiment tout. Certains et certaines d’entre vous qui n’avaient pas de carte presse ont payé leur place avec un tarif réduit au 104. Et là, en l’occurrence, on n’a pas parlé à l’équipe, mais néanmoins j’ai été prestataire pour le 104 au mois de mai dernier. Ma mission consistait à rédiger quelques textes de présentation des expositions de la saison 2022-2023 du 104. Donc, dans ce cadre-là, j’avais eu l’occasion de discuter lors d’un Zoom avec l’équipe de communication de l’établissement autour de la Foire Foraine d’Art Contemporain qui était en cours de préparation à l’époque. Donc c’était un projet qui n’était pas terminé et qui était alors complètement confidentiel. Et je précise que ce soir, je respecterai évidemment la confidentialité des échanges et des documents que j’ai pu avoir et recevoir. Cela étant dit, c’est vrai qu’en mai dernier déjà, j’avais un peu tilté sur le fait qu’il y avait selon moi beaucoup d’impensés de la part des deux curateurs de l’exposition du 104, donc Fabrice Bousteau et José-Manuel Gonçalvès. Et c’est ce que j’ai retrouvé en tant que spectatrice une fois l’exposition montée, puisque, au-delà des paillettes et de l’odeur sucrée qui se dégage de cet espace a priori festif et populaire qu’est la fête foraine, je crois que c’est important de dire que la fête foraine, c’est aussi le lieu de l’apprentissage des normes. C’est l’endroit où l’on apprend aux enfants ce que cela signifie d’être hors norme, d’être bizarre, d’être finalement relayé.e à la marge. Je pense à une multitude de figures qu’on a réduites parfois jusqu’au statut d’esclave pour faire venir des foules voyeuristes. On peut parler de Saartjie Baartman surnommée la « Vénus hottentote », qui était une femme noire sud africaine exposée en Europe parce qu’on jugeait ses formes extraordinaires. Mais je pourrais aussi citer les dites « femmes à barbe » et l’ensemble des corps parfois en situation de handicap, jugés trop grands, trop gros, pas comme il faudrait être et qui ont été exhibés dans cet espace qu’était la fête foraine. Et j’avoue qu’à titre personnel, quand on parle de la fête foraine – qui, même gamine, a toujours été, je l’avoue, un espace qui me mettait hyper mal à l’aise – c’est vrai que c’est cet imaginaire-là qui me vient tout de suite en tête. Du coup, ce trop plein de légèreté m’a mise hyper mal à l’aise au 104. En plus de cela, il faut dire que la fête foraine est également l’un des terrains d’apprentissage et d’appréhension des archétypes liés au genre. On y enseigne aux garçons comment suffisamment bien performer sa masculinité, quitte bien sûr à ce qu’elle soit toxique, dans l’espoir de réussir à choper son date, qui est évidemment une nana qui rêve de se voir offrir cette… grosse peluche rose. Donc voilà, il y a tous ces clichés que draine la fête foraine et je les ai retrouvés en fait à la Foire Foraine d’Art Contemporain, à moindre mesure bien sûr qu’on s’entende. Cette dernière était selon moi du coup une exposition qui était ultra premier degré et qui jamais s’est saisie de ces problématiques-là, contrairement à l’exposition du CAPC qui elle, à l’inverse et s’est retrouvée toujours au seuil de ces problématiques et toujours entre le cauchemardesque et à la fois le féerique. Donc voilà, j’ai hâte qu’on en discute. Mathilde, est-ce que tu as des choses à dire à partir de ça ? On ne t’a pas encore entendue.
Mathilde Leïchlé
J’ai des choses à dire ! Oui. Alors en fait, dans mon esprit, la fête foraine, c’était en tension entre… Enfin disons que c’est un lieu de cohabitation entre deux atmosphères, une atmosphère merveilleuse, magique, où on sent justement le sucre. Il y a quelque chose d’assez… d’assez généreux. Un moment aussi où on se retrouve dans un contexte après la pandémie qui a beaucoup séparé les corps et qui les a aussi enfermés. C’est intéressant de renouer avec cette fête, avec ces expériences collectives. Et puis ça, c’est mon côté dix-neuvièmiste, il y a aussi ce qu’ont perçu les artistes du XIXᵉ siècle de ces fêtes. Je pense notamment à une œuvre de Fernand Pelez qui s’appelle « Grimaces et misère – Les Saltimbanques » de 1888, où il y a des enfants sur une scène qui sont là pour faire le show et on sent toute cette part de misère que la fête foraine vient exacerber en voulant présenter une image positive. Donc c’est ça qui est intéressant dans la fête foraine, c’est cette tension et l’équilibre il est parfaitement tenu au CAPC entre le cauchemar et le rêve. Au 104, c’est moins évident. Pour commencer peut-être, parler de la manière dont je suis rentrée dans l’exposition. Donc j’ai fait la queue pour acheter mon entrée. J’étais accompagnée de mon frère de quatorze ans. C’est bien parce qu’on a pu beaucoup discuter. Ensuite, on est allé.es à l’espace au sous-sol qui s’appelait « Les Écuries Fantastiques », donc on a fait la queue. Et puis on a voulu rentrer dans l’espace de gauche où c’était surtout des œuvres de Julio Le Parc. Là, on a fait la queue pour rentrer dans l’espace et une fois dans cet espace, on a voulu aller voir une autre œuvre de Tsirihaka Harrivel. C’était une espèce de petite cellule dans laquelle apparemment les gens pouvaient crier pour repousser les murs. Il fallait à nouveau faire la queue. Cette fois-ci, on a abandonné. Et puis dans l’espace de droite, il y avait plusieurs installations d’Orlan, de Fabrice Hyber, etc. En fait, c’est des installations qui étaient activées à des heures fixes, mais c’était pas indiqué. Enfin, personne nous l’a dit au moment où on a pénétré dans l’espace. Il était 14 h, et elles étaient activées à 18 h. On n’allait pas attendre 4 h et on n’allait pas non plus repayer cinq jetons pour rentrer dans l’espace en refaisant la queue. Bref, tout ça pour dire que déjà dans l’engagement du corps, c’était un peu particulier. Et puis ensuite, on s’est dit qu’on allait aller voir « Le train fantasme » et c’était une nouvelle déception puisqu’on a fait 45 minutes de queue pour un petit tour de train d’1:50. Et l’expérience était assez décevante puisque les rideaux étaient un peu mal accrochés. Il n’y avait pas du tout ce côté immersif. Le rendu était assez cheap avec des œuvres qui n’étaient ni inquiétantes ni mises en valeur. Et puis des espèces de tartes à la crème qui étaient vidées de leur sens et de leur puissance, comme le film à la fin qui clôt ce petit tour d’1 minute 50 secondes, un extrait de « Un Chien andalou » de Luis Buñuel. Ensuite, on est allé.es dans la salle « Faites vos jeux » et là, tout était cassé. Donc encore une fois, misère de la fête foraine qui se veut merveilleuse. Les flippers ne fonctionnaient pas et même « La roue des insultes » de Pascale Marthine Tayou de 2010 était un peu cassée, donc on n’a même pas pu savoir sur quelle insulte on était tombé.es. [Rire] Et enfin, l’espace qui était consacré à l’installation de Yoann Bourgeois « Face au vide » était fermée parce que cassée. Donc après tout ça, je me suis demandé mais quel est le but ? Est-ce que le but de cette foire foraine du 104, c’est de proposer un moment de divertissement merveilleux et magique ? Est-ce que c’est une approche critique de la fête foraine ? Est-ce que c’est un déploiement d’un nouveau mode de médiation pour valoriser des œuvres historiques ? Puisque le sous-titre est alléchant c’est « Venez jouer avec l’art. » Moi j’ai envie de jouer avec l’art. Je pense qu’on a tous et toutes envie de jouer avec l’art. [Rire] Mais dans tous les cas, la réponse à chacune de ces questions, c’est raté en fait. Ça fonctionne pas, il fait froid, il y a la queue, les œuvres sont cassées, il y a pas de barbe à papa. Par contre, il y a des gaufres qui sont marquetées « Invader » mais pour lesquelles il faut aussi faire la queue plus de 30 minutes. Même si encore une fois ces gaufres… enfin le texte d’accroche pour ces gaufres était intéressant puisque c’était « Avec ces space waffle, l’artiste envahit jusqu’à nos sens », ce qui fera écho avec la deuxième partie. Mais j’ai quand même envie de retenir quelques points positifs. La sérénité des gens d’abord, qui participaient, enfin qui venaient dans cette exposition était impressionnante.
Camille Bardin
Ouais c’est vrai.
Samy Lagrange
Ouais.
Mathilde Leïchlé
Le fait de faire la queue, ça permet de parler avec des gens. J’ai notamment parlé avec un couple devant moi qui était super heureux de pouvoir choisir. Parce qu’on a un nombre de jetons limités, on ne peut pas expérimenter tous les espaces. Et ils aimaient beaucoup ce fait d’être agent en fait de leur parcours et de leur choix. Il y a une œuvre qui fonctionne très bien je trouve. C’est « Stellairoscope » de Julien Salaud qui est une création spécialement pour la foire foraine. Mais elle fonctionne très bien aussi parce que c’est ce que le 104 sait bien faire. Je me rappelle d’une expo de 2016 qui s’appelait « Saisir le silence », qui présentait des installations d’Hans Op de Beeck, et c’était merveilleux. Et là, j’ai retrouvé cet émerveillement. Mais on s’éloigne un peu de la fête foraine. Et puis mon œuvre préférée, à part celle-ci, c’est une œuvre de Pierre Ardouvin qui s’appelle « Les quatre saisons » où c’est quatre canapés qui représentent les quatre saisons avec Vivaldi et qui est diffusé au centre et qui tourne extrêmement lentement. Les canapés sont très confortables et j’avais une entorse et c’était donc l’occasion de m’asseoir à un moment de l’exposition, même si il faisait un peu froid. Et puis il y a eu aussi une très bonne médiation devant cette œuvre, ce que j’ai apprécié parce que je n’en ai pas retrouvé dans les autres espaces. Et cette médiation me fait penser enfin aux conditions de travail des agents et agentes d’accueil dans cette foire foraine, puisque donc il fait froid, et elleux sont directement en contact avec un public trop nombreux et je pense parfois frustré, et puis certaines œuvres sont activées par elleux, notamment un manège qui était au centre de la nef qui s’appelle « Les Vélos Volants » de la Briche Foraine. Et c’était… Ça m’a rappelé aussi le XIXᵉ siècle, cette activation manuelle d’un manège pour faire voler les gens. Voilà mon petit tour de la foire foraine.
Camille Bardin
Trop intéressant. J’adore comment tu fais des liens avec notre sujet sur le corps après, en parlant de froid et autre. Henri, tu enchaînes ?
Henri Guette
Oui. Alors j’aimerais à la fois revenir un peu sur ce qui me paraît être effectivement une spécificité… parce qu’en fait pour moi, les expositions elles ont deux ambitions différentes. L’une, donc celle de José-Manuel Gonçalvès et Fabrice Bousteau, s’inscrit en effet dans une ligne du 104 et dans une ligne que Fabrice Bousteau a pu entamer dans des précédentes expositions qu’il a fait au Tripostal, où, par exemple, il proposait une exposition à deux entrées. C’était deux parcours qui étaient dans des couleurs différentes et puis le/la visiteur.euse était aussi rendu.e actif.ve et dans cette liberté de choisir les salles où iel allait et de voir. Donc ça, ça fait partie d’une marque de fabrique ou en tout cas d’une façon de faire qui lui est chère et qui traduit une volonté de rendre le/la spectateur.ice acteur.ice, mais qui a aussi ses limites et qui est aussi liée à une vision de la massification culturelle, une perception de l’art comme un peu comme un objet culturel, et pas avec une spécificité. Là où le CAPC a davantage une réflexion sur ce qu’est la spécificité de l’art contemporain. Et là, c’est vraiment la différence de nature entre les deux expositions qu’on peut observer. Ce que j’ai trouvé très fin pour passer à Barbe à papa dans la façon dont Cédric Fauq a investi cet espace qui est aussi une nef. Alors ça, c’est intéressant parce que d’un côté la fête foraine est emmenée dans l’ancienne nef… C’était une fabrique de cercueils le 104 hein ?
Camille Bardin
C’est un lieu de stockage de cercueils il me semble.
Henri Guette
Et de l’autre côté, on est dans l’ancien entrepôt de denrées et de marchandises coloniales.
Camille Bardin
Deux lieux lourds quoi.
Henri Guette
Donc deux lieux lourds dans lesquels on vient poser la fête. Alors ceci dit, on n’a pas froid dans le CAPC, mais ce que je trouve intéressant, c’est la date déjà de cette exposition, puisque l’exposition commence quand se termine la Foire des plaisirs ou des délices, je ne sais plus exactement.
Mathilde Leïchlé
Plaisir.
Henri Guette
La Foire des plaisirs, qui se situe donc sur la place des Quinconces à Bordeaux, qui est vraiment à deux pas. Paraît-il que quand elle est en activation, on l’entend depuis le musée et donc elle se terminera pour passer le relai à la foire. Donc il y a vraiment aussi l’idée… Parce que la foire marque des temps festifs dans la ville. Et donc il y a l’idée finalement que le musée vient se substituer à ce moment de creux. Ça, j’ai trouvé ça intéressant comme comme positionnement. La présence aussi de cet artiste bordelais, Pierre-Lin Renié qui a qui a investi différents lieux comme une bibliothèque pour venir proposer des images de cette fête foraine non loin dans l’espace. Donc ça, j’ai trouvé ça très fin dans son ancrage au lieu et dans la façon dont il a vraiment construit cette exposition après un temps de recherche locale et internationale. Et ça c’est ce qu’on sent aussi puisque Cédric Fauq revient sur les origines de la fête foraine au travers de quatre mots clés que l’on peut retrouver comme des hashtags sur les différents cartels de l’exposition et qui viennent recréer des parcours qui ne sont… On peut très bien faire l’exposition sans y prêter attention, mais qui viennent aussi apporter une seconde lecture possible. Voilà. Mais peut-être que justement, je peux te laisser la parole. Je vois que tu… que tu avais envie de développer Samy, non ?
Samy Lagrange
Ben oui.
Camille Bardin
Allez au boulot !
Samy Lagrange
Oui oui, je vais essayer. Je vais essayer de commencer par par le 104 et être relativement bref parce que je suis assez d’accord avec ce que vous avez dit, notamment que tout ce qu’a développé Mathilde, j’ai eu à peu près la même expérience de visite. Par contre, j’aimerais peut-être commencer par un disclaimer. Je pense que j’ai pas fait la visite dans les bonnes conditions du tout et c’est absolument de ma faute. Effectivement, le 104 vend vraiment l’expérience d’une fête foraine et du coup il faut y aller comme on va à une fête foraine, c’est-à-dire en famille ou entre ami.es et au moins pour une demi-journée entière. Ce que j’ai pas du tout fait. Je l’ai fait dans les derniers jours. J’ai pas trouvé le temps avant. J’avais pas vraiment de temps ce jour-ci et du coup j’ai dû y passer 1h30 / 2h. Ce qui ne suffit pas du tout avec le temps d’attente des queues, que tu as souligné Mathilde. La première heure, j’ai rien vu à part faire la queue et du coup après, j’ai été moi même pris par le temps donc… Mais je me suis tout de suite rendu compte que mon expérience de visite était totalement biaisée. Et qu’il fallait vraiment le vivre autrement. Donc sur l’idée du 104… A priori, je n’ai rien contre l’idée, ça me semble même plutôt une bonne idée et adapté au lieu du 104 qui est un lieu d’accueil très particulier dans Paris, qui fait cohabiter tous les publics, toutes les pratiques et qui est dédié à la rencontre. Il y a vraiment une mission dans le 104, non pas d’éducation populaire, mais de mise à disposition de l’espace public et populaire. Et la fête foraine, c’est à la fois une manière d’envisager la rencontre du public avec plusieurs pratiques artistiques et de perturber un lieu de manière éphémère, de le rendre intensément public, ouvert, visitable d’une nouvelle manière. Donc ça me semblait être une bonne idée pour le 104. Et après et à première vue, comme tu le disais aussi Mathilde, ça a l’air de marcher. Les gens sont venu.es en nombre, avaient l’air de passer un bon moment. Ça ressemble véritablement à une fête foraine avec tous les codes. Il y a véritablement des stands, des attractions, des files d’attente, du personnel qui est invité à jouer un rôle qui est vraiment entre la médiation et le rôle forain. Donc nous-même on est invité.e à jouer le jeu, à rentrer vraiment dans le 104 comme dans une fête foraine, à venir tenter des trucs sans vraiment savoir ce que c’est, à venir faire des expériences, à attendre comme à la fête foraine. C’est aussi pour ça que je pense que ce n’est pas vraiment dérangeant pour les gens, parce que tous les codes sont là, donc iels s’attendent totalement à attendre. Donc a priori, pour moi, il y a un pacte qui s’est formé entre le lieu et les visiteur.euses et vraiment c’est le pack de la fête foraine. Mais pour moi, tout le problème, c’est que ce pacte est très vite trahi dès qu’on entre dans une attraction. Déjà parce que c’est pas une attraction, c’est une œuvre d’art et qui ne fonctionne pas puisqu’on nous a demandé de l’appréhender comme une attraction, ce qu’elle n’est pas pour plein d’aspects différents. C’est des œuvres d’art contemporain qui n’offrent pas le même niveau de divertissement qu’une attraction de fête foraine. Elles ne s’activent pas de la même manière, elles ne se comprennent pas sous la même modalité et elles ne sont pas techniquement faites pour être utilisées de cette manière. La preuve en est que beaucoup d’œuvres tombent en panne, comme pourraient le faire des attractions de fête foraine, mais qu’elles ne peuvent pas être réparées de la même manière. Elles sont réparées tant bien que mal comme des œuvres d’art, et c’est toujours un problème énorme de réparer des œuvres d’art. Là, on l’a vu, il y a des multitudes d’œuvres qui marchaient pas. Moi quand j’y étais, il y a le piano qui est censé révéler notre aura et la musique de notre âme qui était tombé en panne. Il a été réparé, il a marché dix minutes. Le réparateur, je l’ai vu passer, était totalement conscient et a dit « Oui, oui, c’est réparé. Par contre, ça va tomber en panne dans dix minutes. » Ce qui a été fait. Et donc voilà du coup ça roulait comme ça assez bizarrement. Et en fait, pour conclure sur le 104, je pense qu’une vraie fête foraine aurait été beaucoup plus pertinente, sans que ça soit vendu comme une exposition et sans qu’on y foute de l’art contemporain au milieu. Parce qu’une fête foraine, c’est déjà une rencontre événementielle entre un public et différentes pratiques artistiques qui ont la particularité certes de prendre des formes innovantes, inventives, de toujours penser l’inclusion du spectateur et de proposer la découverte d’autres imaginaires historiquement liés à la foire. Donc je trouve ça un petit peu présomptueux de faire croire que n’importe quelle œuvre d’art puisse être une pratique foraine. Et pas mal finalement irrespectueux de penser que la fête foraine ne se suffit pas à elle-même et que le 104 devait absolument proposer une foire d’art contemporain.
Camille Bardin
C’est trop intéressant. Mathilde ?
Mathilde Leïchlé
Oui, justement, toutes les questions que tu soulèves, je trouve qu’elles sont explicitement posées au CAPC, puisque dans le texte d’intro qui est vraiment un très beau texte, on trouve les questions : « Qu’est ce qu’un musée peut aujourd’hui apprendre de la fête foraine ? Une œuvre d’art est elle toujours une attraction ? » Et ça, c’est des questions qui sont passionnantes et justement qui justifient ce lien entre institutions culturelles, œuvres historiques et fêtes foraines. Et ce qu’on voit aussi aussi au CAPC, c’est les difficultés que ça engendre puisqu’il y a toujours la tentation de toucher, la tentation de jouer. Et on voyait à plusieurs moments du parcours des panneaux qui rappelaient aux visiteurs et visiteuses qu’il ne fallait pas toucher. Pour continuer sur le CAPC, ce que j’ai aimé, c’est vraiment cette approche immersive avec la nappe sonore très équilibrée. Enfin vraiment, c’est un peu le mot que j’ai envie de dire pour tout dans cette exposition, c’est que c’est *bien équilibré*, qui crée cette atmosphère désenchantée et en même temps qui rappelle des souvenirs émerveillés. Et puis, je n’en démordrai pas, il y avait une odeur de barbe à papa dans l’exposition.
Camille Bardin
Non Mathilde ! [Rire]
Mathilde Leïchlé
Si ! [Rire] À côté d’une œuvre. J’ai senti une odeur de barbe à papa et Cédric Fauq a dit que c’était l’endroit où il y avait eu de la barbe à papa le soir du vernissage.
Camille Bardin
Tu as juste des sens hyper pointus ! [Rire]
Mathilde Leïchlé
J’y croirai jusqu’au bout !
Henri Guette
Oui c’est presque médiumnique là parce que tu ressens les traces du passé ! [Rire]
Mathilde Leïchlé
J’ai senti la présence de la barbe à papa ! [Rire] Et justement, c’est ça aussi que j’ai aimé, c’est cette approche festive à des moments que sont le vernissage et le finissage, qui sont parfois un peu vidés de ce sens de la fête puisqu’il y avait la barbe à papa le soir du vernissage. Et il y aura une piñata qui sera ouverte le soir du finissage. J’ai beaucoup aimé, comme toi Henri aussi l’inscription locale. J’ai trouvé que ça fonctionnait très bien et puis aussi le rapport aux artistes avec une très grande richesse. Ces 50 artistes qui s’entrecroisent, des artistes que Cédric Fauq a rencontré.es au cours de sa carrière, comme Chila Burman, qui a fait à la fois les œuvres sur la façade et la vidéo à l’entrée, et puis des artistes historiques comme Marcel Duchamp avec une reproduction de « La mariée mise à nu par ses célibataires, même », dit « Le Grand Verre ». Et en fait la présentation de cette œuvre historique au sein de cet espace permet d’avoir un nouveau regard sur cette œuvre qu’on peut penser bien connaître, puisque moi j’ai appris que Marcel Duchamp s’était inspiré d’un stand de chamboule tout qu’il avait vu dans une fête foraine, ce que je ne savais pas. Ces rencontres étaient très justes. Et pour reprendre encore un mot du texte de l’entrée, je trouve qu’en effet, c’est bien l’ombre d’une foire qui est présentée et ça fonctionne d’un bout à l’autre, avec aussi les palissades qui sont récupérées, qui participent à la scénographie et qui montrent une prise en compte de l’aspect.. de la dimension.. de l’impact écologique que peut avoir une exposition. Celle-ci est ouverte aussi sur un temps très long, ce qui permet aussi cette prise en compte écologique. Et puis, dans un temps très long des collections, puisque certaines œuvres sont acquises pour rentrer dans les collections du CAPC comme celles de Mathis Collins, « Bicornes (stand de tir) » de 2020.
Camille Bardin
On n’a plus plus grand chose en terme de temps, mais peut-être. Je voulais simplement.. J’ai pas dit grand chose sur Barbe à papa. Du coup, peut-être simplement deux petits mots là-dessus. C’est vraiment à titre personnel, une exposition que j’ai adoré, que j’ai trouvé hyper fine et en même temps très très complète. Je vous rejoins complètement sur la question de l’ancrage territorial et en même temps, on sent qu’il y a vraiment un vrai travail curatorial qui a été fait, à savoir un travail de recherche d’artistes. On sent vraiment… On sent vraiment tout ça. J’ai beaucoup aimé aussi… En fait, c’est une exposition dans laquelle je me suis sentie hyper respectée dans le sens où je sentais tout le travail qui avait été déployé en amont pour arriver à cette forme là. Je sens que c’est vraiment… Par exemple, tous les cartels ont été écrits par le curateur, tout le… Enfin, tout a été pensé vraiment. Il y a une multitude de strates aussi de compréhension et de lecture de l’ensemble des œuvres. Et ça, c’est vraiment hyper agréable parce que c’est une exposition dans laquelle on a envie de rester, dans laquelle vraiment on va d’une œuvre à l’autre vraiment avec plaisir. On est appelé.es vraiment comme au sein d’une fête foraine, finalement, d’une attraction et une autre. J’aurais peut-être une unique petite frustration, mais qui est vraiment rikiki, c’est de me dire… J’aurais adoré en fait, c’était ma petite frustration… J’aurais adoré vraiment qu’on puisse voir toute la pensée et toutes les recherches qui ont été faites en amont pour cette exposition. J’aurais bien aimé y avoir davantage accès. Je crois que Cédric Fauq nous disait, il me semble, qu’il va y avoir un catalogue avec différents entretiens avec les artistes, etc. Mais c’est vrai que j’aurais bien aimé peut-être avoir davantage accès à tout ça, parce que vraiment, c’est complètement passionnant et surtout cette réflexion autour de la question de l’exposition en elle-même, donc du fait de donner à voir, et toute la violence aussi que ça peut convoquer. Vraiment, j’ai trouvé que c’était absolument passionnant et que c’était hyper… Ouais hyper respectueux encore une fois vis-à-vis des spectateurs et des spectatrices. Voilà. Ça vous va ?
Samy Lagrange
J’aimerais bien dire un mot sur le…
Camille Bardin
Oui, j’aime bien ne pas terminer.
Samy Lagrange
Oui on est trop ambitieux. Deux expositions comme ça…
Camille Bardin
Oui comme d’habitude.
Samy Lagrange
Oui, oui, j’aimerais bien aussi dire un mot sur le CAPC. Bon ça va être relativement laudatif encore une fois pour entrer en écho avec ce que j’ai dit sur le 104. Parce que du coup Cédric Fauq, pour bien comprendre, il nous fait pas du tout croire qu’on vient à la fête foraine. Il propose véritablement une exposition. Sans mentir là-dessus. En vérité, j’ai l’impression que plutôt il interroge une idée, ou plutôt deux idées grâce à la forme de l’exposition qu’il pense être la forme la plus adaptée pour répondre à ces questions. La première qui est que exposition et fête foraine auraient, comme tu le disais Henri, historiquement partagées des liens et partageraient donc des modalités d’existence et seraient toujours amenées à se côtoyer. Alors, questions qui semblent relativement irrésolues dans l’exposition. Et comme je le disais à propos du 104, pour moi, je pense que exposition et fête foraine n’ont pas seulement à se côtoyer, en tout cas de manière forcée. En cela que la faire foraine est déjà un lieu de monstration et de pratique artistique en soi. Mais la seconde question que j’ai trouvé hyper intéressante et qui est très habilement interrogée selon moi dans l’exposition du CAPC, via les œuvres présentées, c’est que dans nos imaginaires et dans l’histoire même de la fête foraine, il y a toujours une tension permanente entre la surface qui nous est présentée, celle du divertissement, de la frivolité, de la grande comédie, du monde enfantin et la profondeur qui nous est cachée : les coulisses, l’histoire de ceux qui font la fête foraine, qui cherchent à divertir à tout prix, celleux qui y viennent pour se divertir à tout prix. Et donc, si on s’arrête sur cette histoire des rêves dévoyés, des faux-semblants, la fête foraine serait à la fois une grande comédie et une grande tragédie. Donc on l’a un petit peu dit dans nos commentaires, mais j’ai l’impression que Cédric Fauq répond hyper bien à cette question. Et c’est là un peu tout le « génie » – pour employer un mot nul – de l’exposition.
Camille Bardin
Un gros mot. [Rire]
Samy Lagrange
Oui un gros mot. [Rire] Vous avez le droit de m’insulter autant que vous voulez, mais ici et maintenant, je vais citer Nietzsche.
Camille Bardin
Oh oui. Il fallait ! Putain, on était bon.ne élève jusqu’ici et ça part en couille à la fin. [Rire]
Samy Lagrange
Vous allez voir, c’est hyper pertinent. Je vais citer Nietzsche, dans un livre que je n’ai évidemment pas lu [Rire] et qui s’appelle « La naissance de la tragédie. » Et Nietzsche dit : « Il n’y a pas de belle surface sans une profondeur effrayante. » Je trouvais que c’était particulièrement bien adapté au propos de Cédric Fauq.
Camille Bardin
C’est vrai c’est pas mal quand même…
Samy Lagrange
Et ce que je trouve vraiment top. Ce qui révèle vraiment un super travail de commissariat qui peut être considéré même comme un morceau de bravoure tant c’est assez rare aujourd’hui, il me semble. C’est que véritablement, toutes les œuvres de l’exposition viennent, d’une manière ou d’une autre, répondre à cette interrogation, dévoiler cette tension entre la surface et la profondeur, proposer sa propre entrée dans le sujet. Et en plus, l’ensemble des œuvres réunies crée un ensemble qui lui-même nous plonge dans cette version immersive de la fête foraine où l’on est naturellement nous-même invité.e à se poser cette question du faux-semblant, à replonger dans nos imaginaires dérangeants de la fête. Justement, on n’a peut être plus le temps, mais alors ce que j’aurais adoré vous vous demandez, comme l’a fait Camille, c’est quels sont vos imaginaires de la fête foraine ? Et j’ai l’impression que, comme tu l’as très bien dit, c’est toujours cette tension-là qui se révèle quoi. Moi, la première chose à laquelle je pense c’est les petites fêtes foraines de village quand j’étais adolescent, après les Cavalcades. Celleux qui s’avent, sauront. Et les soirées passées à fumer des clopes dans l’obscurité derrière les containers mobiles où se trouvent les automates. Ou bien, alors c’est vraiment pour droper une série qui, je pense, est absolument sous-estimée, la saison 4 de « Heroes » où l’on est plongé.e dans la vie d’une fête foraine gérée par des mutant.es. Et justement, il y a toute cette tension entre le fait que cette fête foraine est une façade, une couverture pour les mutant.es et finalement quelque chose aussi d’assez utopiste, mais qui cache toute la fureur d’une révolution mutante qui va… qui va émerger.
Camille Bardin
Trop bien… Ah ouais ! Tu mettras quand même 1€ dans la boite à gros pour avoir cité Nietzsche. [Rire]
Samy Lagrange
Mais évidemment. [Rire]
Camille Bardin
Mais c’était trop bien. Heureusement que tu as conclu. Deuxième sujet donc je me tourne vers toi Mathilde, est-ce que tu veux bien nous introduire cette partie sur le corps ?
Mathilde Leïchlé
C’est parti pour parler du corps. Dans le white cube, il n’y a pas de bruit, il n’y a pas d’odeur. Dans le white cube, idéalement, les corps se tiennent bien droit et ne touchent rien. Les œuvres sont souvent mises à distance. On se demande même parfois si ce ne serait pas mieux, finalement, qu’ils ne soient pas là, les corps, qu’il n’y ait personne pour déranger ces espaces pensés comme propres et neutres, immaculés. Ces pièces semblent créées pour de purs esprits qui ne connaissent ni la joie, ni le mal aux pieds, ni le mal au dos, parce que, oui, plusieurs heures de visite, ça fait mal aux pieds. Les institutions culturelles pensent de plus en plus les corps. Dès 1916, Benjamin Ives Gilman, conservateur du Boston Museum of Art, s’intéresse à la fatigue muséale, c’est-à-dire à l’inconfort que les visiteureuses peuvent expérimenter du fait d’une scénographie qui n’est pas adaptée à leurs corps. De la fatigue muséale à l’accessibilité pour toustes, les accrochages évoluent au rythme des prises de conscience. Si la vue est toujours le sens star, les autres s’invitent progressivement. Certains musées ont développé des galeries tactiles tandis que des événements intitulés Prière de toucher encouragent l’expérience haptique au Palais des Beaux-Arts de Lille, au Musée d’arts de Nantes ou encore au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. L’ouïe est sollicitée par la création ou recréation d’environnements sonores comme dans l’exposition Le Beau siècle au musée des beaux-arts de Besançon tandis que l’odorat est mis à l’honneur au Louvre lors de visites olfactives de l’exposition Les Choses. Dans cette seconde partie d’épisode, nous allons parler de la place de nos corps dans l’art. Comment mettons-nous nos corps en mouvement dans les expositions ? quelles sont nos interactions avec les œuvres ? quels sens sont sollicités ? Sommes-nous en quête d’immersion ?
Camille Bardin
Oh… Qui veut commencer ?
Henri Guette
C’est vrai que ce qui est intéressant de noter, c’est que ce besoin d’immersion, d’abord, il n’est pas seulement lié à l’art contemporain puisque déjà l’art contemporain, avec tous ses formats, toutes ses formes n’a jamais cessé d’aller vers… Je pense à qui a Claire Dantzer qui fait un mur en chocolat, je pense que les visiteur.euses étaient amené.es à lécher ou à manger. Je pense à des artistes qui vont faire des œuvres avec lesquelles on va être amené à interagir. Donc dans l’art contemporain évidemment les œuvres elles-mêmes jouent avec… peuvent jouer potentiellement avec tous les sens du/de la visiteur.euse. Et d’ailleurs, c’est ce qu’avait montré l’exposition du Palais de Tokyo qui s’appelait « Inside », qui avait complètement joué avec cette idée d’immersion et dans sa campagne de communication, c’était vraiment ce qui avait été mis en exergue, mis en valeur. C’était l’idée de dire « Venez, entrez et interagir avec avec les œuvres d’art. » Donc ça me semble assez consubstantiel finalement à l’art contemporain. Ce qui est peut-être un peu plus intéressant, c’est comment ça fait tache d’huile, commence ça incite d’autres musées ou d’autres institutions à évoluer. Et là je pense notamment au Centre des monuments nationaux (CMN) qui fait notamment appel à un nez… à une nez, Chantal Sanier, pour différentes ambiances olfactives. Par exemple à l’hôtel de la Marine, elle a signé une identité olfactive en allant retravailler sur des essences qu’on pouvait sentir au XVIIIᵉ siècle. Donc ce qui m’intéresse, c’est la façon dont d’autres institutions vont chercher cette immersion et vont aussi beaucoup se reposer sur des choses qu’on a vu dans le spectacle vivant, avec la notion de festival où tout est fait pour qu’on passe d’un spectacle à un autre en ne sachant plus très bien où on est, en se disant que peut-être justement le dîner qui va être entre les deux parties, entre deux choses, va être l’occasion de discuter, l’occasion de manger quelque chose qui va être en rapport avec ces spectacles, voire même la continuité d’un spectacle. Et je pense notamment à ces pièces de la Compagnie Teatro delle Ariette où en fait on assiste à un conte qui est fait en même temps qu’on prépare un plat. Par exemple, dans « Io, il couscous e Albert Camus » (« Moi, le couscous et Albert Camus »), c’est un couscous en même temps qu’on nous parle d’Albert Camus et à la fin on est invité.e à le partager avec les acteurs.ices. Donc ça m’intéresse de voir comment le spectacle vivant infuse sur de plus en plus de lieux. Et d’ailleurs les musées aujourd’hui et les auditoriums invitent de plus en plus des compagnies. Donc on a une porosité qui arrive.
Camille Bardin
Oui Samy. Tu veux y aller ou… ?
Samy Lagrange
Oui parce que moi c’est plutôt une question à vous adresser. Mais c’est vrai que le sujet est passionnant. C’est hyper intéressant de se remémorer tous ces exemples sur lesquels finalement on ne s’arrête pas forcément dessus. Mais effectivement, il y a toute une histoire quand même, comme tu disais, plus de la création olfactive et du coup c’est plutôt les institutions qui sont un peu en retard là-dessus qui commencent à vraiment les penser et du coup à transposer ces procédés-là individuels dans les œuvres, dans un procédé de monstration plus global. Mais alors du coup, j’avais une question un peu plus globale. Alors vraiment, moi je suis le premier à être en quête d’immersion. J’aime les scénographies en period room, j’aime les oeuvres en environnement, les soirées de performance, les trucs gigantesques, le grand spectacle. [Rire] Mais j’ai aussi conscience que même si ça me semble évidemment important de sortir enfin aujourd’hui du white cube, que ces goûts-là qui sont les miens, sont biaisés. Ils m’appartiennent par ma condition particulière et ça me semble quand même questionnable qu’on cherche toujours à plus s’immerger, à vivre l’art par tous les sens, toutes les expériences sensorielles en même temps, alors que la plupart de nos expositions ne sont toujours pas accessibles et inclusives à toustes. Donc c’était juste pour savoir est-ce qu’on a l’impression aujourd’hui que cette quête d’immersion, de démultiplication des expériences sensorielles s’accompagne toujours d’une volonté d’inclusion ? Parce que j’ai l’impression que ça devrait être le premier moteur et en tout cas le critère premier quand on essaye de chercher plus d’immersion ? Parce que là on ne parle pas d’immersion dans les œuvres, mais plutôt dans les procédés muséaux et de monstration. Du coup, on est tellement en retard déjà sur ce sujet-là. Donc si on veut plus d’immersion, peut-être commencer par plus d’inclusivité ?
Camille Bardin
C’est ça. Ah mais complètement.
Samy Lagrange
En tout cas, comment vous ressentez la dynamique de monstration en ce moment ?
Camille Bardin
C’est vraiment là-dessus en fait que je voulais aller, à savoir que c’est vrai qu’aujourd’hui les problématiques féministes et intersectionnelles infusent de plus en plus les contenus des musées. Maintenant, je pense qu’il est nécessaire aussi de comprendre que le féminisme et l’intersectionnalité aussi, ça doit être une méthodologie de travail et donc ça doit impacter les espaces au delà des thématiques. Et ça, je sais pas si je vais te passer devant en les citant parce que je les ai découvertes grâce à toi Mathilde, c’est Musée 2.0… Heu [Rire] Pardon c’est « Musé.e.s » en écriture inclusive donc « e.s » qui ont créé du coup le Guide pour un musée féministe. Et là du coup, elles vont aussi… Enfin, c’est vraiment retourner dans le terre à terre, c’est vraiment se dire… Elles avaient parlé d’une des notions… Enfin une idée que j’avais trouvé géniale. Enfin, elles incitent les musées à la reproduire. Simplement, dans tes chiottes, tu mets des tables à langer chez les meufs, mais chez les mecs aussi. Et c’est en fait.. Moi c’est ça que je trouve intéressant quand on parle de corps et d’art contemporain ou d’art de manière générale et de musée, c’est aussi de penser la manière dont le corps vient habiter ces espaces-là. Et donc effectivement, la question de l’inclusivité, elle passe aussi par-là. Ça va être simplement le fait de quand tu penses un cartel, tu penses le contenu du cartel, à savoir que tu dois parler à toutes et à tous, mais tu vas aussi penser l’endroit où il va être mis, c’est-à-dire que pas à deux mètres de haut pour qu’une personne en fauteuil puisse y avoir accès. Tu ne vas pas faire une écriture en pattes de mouche parce qu’il faut qu’une personne qui est malvoyante puisse y avoir accès. Tu vas penser une police. Il y a des polices qui sont accessibles pour les personnes dyslexiques par exemple. Ça va être tout ça en fait. Penser également le gras de la police etc. Et du coup je trouve que c’est… Effectivement je te rejoins complètement Samy. Il y a effectivement la manière dont certaines œuvres vont appeler nos sens et ça aussi dans une perspective féministe. Je reste sur le féminisme parce que c’est un peu mon dada. Mais par exemple Sandra Barré L’explique très bien, la manière dont l’aspect olfactif et sortir de ce règne de la vue permet aussi de répondre mieux du coup à ces problématiques féministes. Et donc voilà, c’est vraiment finalement le b.a.-ba. En fait un truc hyper terre à terre de savoir si tes cartels sont bien posés, si tu as pensé ton exposition pour qu’elle soit accessible aux personnes en situation de handicap, aux gosses, à des personnes qui ont la station debout assez longue, assez compliquée. Donc penser des assises aussi dans l’espace.
Mathilde Leïchlé
Oui, penser des assises dans l’espace, c’est justement ce sur quoi je voulais aller. Parce que oui, il y a la question de l’accessibilité et celle du confort de visite aussi. Je me rappelle, j’avais été surveillante de salle pour l’exposition « Salvador Dali » au Centre Pompidou en 2012-2013, et c’était une exposition qui accueillait un public très très important, beaucoup de visiteurs et de visiteuses. Et pour que le flux soit plus continu, iels avaient supprimé la plupart des assises de l’espace d’exposition. Donc c’était une expérience de visite assez engageante pour le corps et épuisante. L’association Musé.e.s, oui, ça m’a beaucoup marqué aussi cette question des tables à langer dans les toilettes. Les toilettes sont vraiment un espace politique hyper fort parce que c’est un espace où se révèlent tous les imaginaires autour du genre de manière assez radicale. Et puis ça me fait penser aussi à la question de qui peut manger dans les espaces d’exposition ou dans le musée en général. Parce que… Enfin je ne sais pas, mais en tout cas, tout ce que tout ce que vous avez dit là, ça me fait aussi penser à qui a accès au restaurant du musée. Voilà, cette question là m’a aussi traversée. Et par rapport à ce que tu disais sur la taille des cartels, ça me rappelle mes dernières visites au musée des Arts décoratifs où j’ai un peu l’impression qu’il y a une marque de fabrique qui se déploie, je pense aux exposition « Mugler » et « Schiaparelli » où en fait les cartels étaient au sol, dans la pénombre, sur un fond noir et c’était vraiment très difficile de les lire. Et en plus il fallait du coup se plier. Enfin, en fait, la première étude de 1916 dont je parlais, c’est vraiment ce conservateur qui a fait des schémas, des postures de visiteur.euses dans les expositions et comment en fait le corps était plié, déplié du fait des supports de visite. Et Henri par rapport à ce que tu disais sur le fait de se demander si les sens, que ce soit l’olfaction ou le goût, viennent de l’œuvre ou s’ils sont mis a posteriori à côté de l’œuvre ? Ça je trouve que c’est une question vraiment intéressante parce que par exemple, je me rappelle de l’expo « Fernand Knopf » au Petit Palais où il y avait des bornes olfactives, mais le lien était parfois un peu… manquait peut-être un peu de complexité. Par exemple, il y avait un tableau avec des roses et donc une borne olfactive avec une odeur de rose. On se demande si ça apporte vraiment au propos et à l’expérience de visite de faire ce rapprochement-là. Voilà, c’est un peu ce qui me vient en vous écoutant sur ces questions.
Henri Guette
Oui, je voulais rebondir parce que j’ai travaillé au Musée des Arts Décoratifs à une époque. J’étais au contact des visiteur.euses, j’étais à l’accueil. J’y étais plus par rapport aux expositions dont tu parles, mais j’y ai vécu l’exposition « Dior » qui va concentrer quelques remarques sur lesquelles j’avais envie de te revenir. Tu parles de flux et c’est très important parce qu’il y a une forme d’exposition qui est l’expo spectacle qui a été lancée ou qui en tout cas a été vraiment utilisée par cette machine de guerre qui est la RMN avec le Grand Palais. C’est le lieu où on fait des expositions avec des affiches dans les métros et dans toutes les stations de transports de France pour concentrer les spectateurs.ices à Paris qui viennent voir des expos. Là iels en auront plein la vue, iels verront tout Dali ou iels verront tout Christian Dior, parce que du coup, c’est ce qui s’est passé au Musée des Arts décoratifs. Ou tout Turner, je ne sais pas… Enfin les grands noms ! Et ce genre d’exposition n’est pas fait effectivement pour pour qu’on puisse s’y sentir à l’aise. Elles sont faites pour qu’on puisse se dire : « Je les ai vues. » Et ça c’est quelque chose aussi qui est assez… Voilà, on parlait de penser le corps des visiteur.euses, c’est l’expo spectacle, elle ne pense pas au corps du / de la visiteur.euse, elle pense au / à la spectateur.ice comme à un.e consommateur.ice.
Camille Bardin
Oui c’est ça vraiment.
Henri Guette
Et là, on a vraiment un système à revoir, à repenser à partir de ces expositions spectacle puisqu’effectivement elles considèrent les visiteur.euses comme des flux, avec une scénographie qui doit faciliter le passage et où tout est fait pour ça, plus que pour voir les œuvres. Et c’est quelque chose qu’on voit aussi dans la façon dont les grandes fondations sont sont pensées. Par exemple, les fameuses fondations Vuitton ou Guggenheim à Bilbao sont des fondations où quand on regarde les mètres carrés au sol et les murs, on est sur des hall de gare en réalité, c’est-à-dire que les murs sont monumentaux. Ils sont faits pour accueillir des toiles et en même temps pour qu’il y ait énormément de gens qui puissent être là. Il y a une difficulté effectivement à penser à la fois l’accueil de tous et de toutes et du / de la visiteur.euse, mais aussi la masse et c’est là où peut-être qu’il faut réussir à travailler le fait d’accueillir tous et toutes, mais dans quelles conditions ?
Camille Bardin
Oui, mais est-ce que c’est même compatible quoi ?
Samy Lagrange
Ben justement sur la compatibilité, ce que vous dites sur le musée des Arts décoratifs qui serait notre bouc émissaire ce soir apparemment. [Rire] Alors, qu’on pourrait avoir beaucoup d’exemples. Mais notamment Mathilde, ce que tu disais sur l’exposition « Schiaparelli », que je n’ai pas vue, mais ça m’a l’air hyper révélateur de la question que je posais. C’est-à-dire que la quête d’immersion pour que l’exposition soit soi-disant « immersive » et qu’on ait vraiment une « expérience sensorielle » de l’exposition, elle va à l’encontre de l’accessibilité et de l’inclusivité parce qu’on trouve que ça fait moche, ça casse un petit peu l’ambiance. Du coup, tout ce qui devrait être accessible ne l’est plus. Et en plus, pour rebondir sur ce que tu disais toi Henri en parlant de corps considérés comme des flux, c’est vraiment que c’est des expositions qui considèrent le corps comme problématique. Comme un problème à résoudre ou alors comme une pure intellectualité, mais jamais comme quelque chose de physique et encore moins comme un physique dont il faut prendre soin.
Camille Bardin
Oui, c’est ça.
Henri Guette
Alors pour dire du bien des Arts déco… [Rire]
Camille Bardin
Merci Henri, heureusement que tu es là ! [Rire]
Henri Guette
…Parce qu’iels ont quand même fait une exposition que je trouvais intéressante, qui s’appelait « Marche et démarche ».
Mathilde Leïchlé
Oui !
Camille Bardin
Exposition qui était un peu sur les modèles anglo-saxons où à certains moments dans la visite, il y avait des modèles de chaussures à essayer. Et ça, je trouvais ça intéressant dans la manière dont on expérimentait. Là au contraire, c’était de se demander comment le fait d’expérimenter pouvait faire comprendre ce que l’on voyait. Et donc là, c’était pas gratuit ou rapporté comme ce que tu disais.
Mathilde Leïchlé
Oui, oui. Et il y avait eu une autre expo par le même commissaire, Denis Bruna, sur les sous-vêtements, où pareil, on pouvait essayer des corsets, des crinolines, etc. Et c’était une expérience qui fonctionnait très bien.
Camille Bardin
Incroyable !
Henri Guette
Donc voilà, on aura quand même…
Samy Lagrange
…On a réhabilité le musée des Arts Déco ! [Rire]
Camille Bardin
Oui merci Henri ! Mais en fait, moi, il y avait une conversation qu’on avait eu dans le cadre d’un partenariat qu’on avait fait avec La Villette où on avait fait tout un épisode sur ce que les expos font au public, en se posant la question de savoir si les publics étaient vraiment les bienvenus finalement dans ces expositions. Et donc on avait eu l’occasion de rencontrer une super association qui s’appelle « Les Souffleurs de sens », qui organise des visites pour les personnes malvoyantes et aveugles pour que les musées soient accessibles à ces personnes et c’était vraiment hyper intéressant. Et on avait pu déployer comme ça toute une conversation autour de la question de la situation de handicap. Et en fait, il y avait quelque chose qui m’avait vraiment marqué. Je pense que maintenant ça a impacté toute ma manière aussi d’envisager chaque travail que je produis. C’est vraiment de se dire que tu ne créeras rien si tu n’as pas envisagé que tout le monde puisse y avoir accès. Typiquement, ce podcast désormais est accessible aux personnes sourdes et malentendantes puisqu’il est retranscrit depuis la rentrée et je pense que ça a contribué… Enfin cette expo… Enfin oops je vais y arriver ! Je pense que ce podcast a permis aussi de mettre en place ça au sein de Jeunes Critiques d’art, c’est-à-dire que maintenant on ne peut plus se permettre de penser quelque chose sans que tout le monde puisse y avoir accès. Comme tu ne vas pas pouvoir créer ton exposition si tu n’as pas d’agent de sécu parce que bah c’est légalement pas possible. Et je pense que c’est vraiment ça aussi qui est nécessaire. C’est vraiment de reconsidérer le corps aussi dans ce qu’il a de plus trivial. Et voilà.
Mathilde Leïchlé
Oui, et notamment je reviens sur cette petite marotte autour de la nourriture.
Camille Bardin
Mais c’est archi intéressant oui.
Mathilde Leïchlé
Mais oui, parce que c’est aussi les corps des surveillants et surveillantes de salles qui ont pas le droit de manger, souvent pas le droit de boire…
Henri Guette
Des fois pas le droit de s’asseoir.
Henri Guette
Des fois pas le droit de s’asseoir oui. Et comment ces corps là aussi sont envisagés au sein des espaces ?
Camille Bardin
Quand il y a du son en plus…
Henri Guette
Oui, c’est la réflexion qu’on s’est fait au CAPC. C’est que cette nappe sonore, elle était pas entêtante, alors que parfois il y a des boucles assez courtes qu’on entend 56 fois par jour et qui nous suivent après dans le métro quand on est surveillant et surveillante de salle.
Camille Bardin
Qui veut peut-être conclure, parce que sinon Cosima va nous détester.
Samy Lagrange
Moi j’ai qu’une conclusion purement philosophico-intellectuelle.
Camille Bardin
Bah c’est parfait ! C’est exactement ça qu’il nous faut ! [Rire]
Mathilde Leïchlé
Avec Nietzsche ou pas ? [Rire]
Samy Lagrange
[Rire] Non mais plutôt pour revenir sur l’immersion, je pense que c’est la question la plus intéressante de cette conversation. L’immersion questionne le fait d’avoir de nouvelles expériences sensorielles au cours d’une exposition. Et je me suis tout simplement posé la question, mais qui est une question de pure rhétorique : est-ce que c’est vraiment possible de faire des expositions qui ne sont vraiment pas pensées pour la vue et qui marchent quand même ? C’est des questions, par exemple, qu’adressent constamment Sandra Barré dans ses recherches et récemment Salomé Burstein. Mais vu… J’ai l’impression qu’on est toujours de toute façon contraint.es de se rattraper à quelque chose qui tient du regard pour que l’exposition nous soit compréhensible que sur une affiche, une scénographie, des objets qui sont quand même présents. Même si le but de l’exposition n’est pas de nous faire ressentir quelque chose par la vue. Donc du coup, c’est peut-être un faux problème. Par ce que notamment, il me semble que de la conversation qu’on a eu ensemble avec Mathilde et Sandra Barré il y a très longtemps, elle dit qu’elle ne cherche pas du tout à sortir du visuel, mais simplement à accompagner le visuel par de nouveaux sens. Et du coup, il y a quand même cet exercice de pensée qui me tient à cœur parce que ça rejoue depuis deux siècles, on est dans ce qu’on appelle « le régime visuel. » C’est-à-dire qu’on est sur sollicité.es par la vue et du coup notre mode de saisie de la vue dominant – parce que c’est pas le cas pour tout le monde, mais de manière dominante – c’est le visuel. Et du coup, est-ce que ce n’est pas une question aussi qui ne se pose pas dans les expositions où on essaie de nous faire saisir par d’autres sens, mais c’est toujours des « à côtés » parce qu’on adresse… Enfin on ne parle jamais de cette question qui pour moi est essentielle intellectuellement dans la compréhension de notre saisie des objets, c’est que apparemment on est dans un régime visuel et qu’on est même conditionné.es pour ne saisir que par la vue maintenant, depuis deux siècles.
Camille Bardin
C’est trop intéressant.
Samy Lagrange
C’est vraiment une rhétorique.
Camille Bardin
En fait, finalement c’est parler d’expérience de la démocratie aussi, parce que si tu prends toute leur lumière, tu brises aussi l’expérience de la démocratie à un certain niveau. Je suis en train de spoiler un futur épisode de PRÉSENT.E avec Joël Harder qui parle justement à quel point les paillettes peuvent aussi venir briser l’expérience de la démocratie.
Camille Bardin
Vive les paillettes !
Camille Bardin
Donc ça vient pas du tout de moi, mais ça me vient en disant tout ça. Bon, on va se faire défoncer par Cosima Dellac qui est la personne qui retranscrit justement désormais nos podcasts.
Samy Lagrange
C’est beaucoup trop long !
Camille Bardin
Désolé, ça fait 1 h ! Méa culpa absolument ! On l’embrasse, on vous embrasse également et on vous dit merci d’avoir écouté ce dernier épisode de Pourvu Qu’iels Soient Douxces et à dans un mois pour un nouvel épisode. Merci à vous trois.
Mathilde Leïchlé
Au revoir !
Samy Lagrange
Au revoir bonne soirée !
Henri Guette
Au revoir !