Thierry Marx au Palais de Tokyo © Valentin Le Cron
“Soupe primitive à la courge ; sphérification de navet et de coing ; biscuit amande et insert de yuzu”… Signé Thierry Marx, star de la cuisine moléculaire, ce dîner performé en trois temps faisait écho à la présentation des Audi Talents 2021. Avec ses petites pâtes alphabet, le potage rappelait la structure de l’ADN évoquée dans l’installation Ce qui tient à un fil, de Marie-Sarah Adenis ; le plat “cryoconcentré” renvoyait au monde dystopique imaginé par Charlie Aubry ; enfin l’aspect géométrique du dessert était un clin d’œil à l’Abstract design manifesto du duo Henri Frachon et Antoine Lecharny.
Marie-Sarah Adenis, Ce qui tient à un fil, exposition Mind Map au Palais de Tokyo, 2021 © Thomas Lannes
Henri Franchon et Antoine Lecharny, Abstract design manifesto, exposition Mind Map au Palais de Tokyo, 2021 © Thomas Lannes
Précédé d’une visite de l’exposition dédiée aux lauréats (Mind Map, au Palais de Tokyo), l’événement célébrait l’évidence des passerelles existant entre le monde de l’art et celui de la gastronomie. Et misait sur un appariement à fort potentiel instagrammable.
David Toutain lors du dîner organisé au Palais Brongniart © Ruinart / Fulgurances
Désireuse de séduire une clientèle de nouveaux épicuriens, la maison de champagne Ruinart a, pour sa part, lancé depuis 2019 un programme “Food for Art” : un ou plusieurs chefs cuisiniers sont invités à traduire en expérience gustative la “Carte blanche” artistique de l’année. Autour du thème “Racines Communes”, la première édition vit David Toutain, talenteux chef parisien du restaurant parisien éponyme (deux étoiles), s’inspirer de l’univers de l‘artiste Vik Muniz : parmi ses trouvailles, un plat de salsifis déshydratés trempés dans une crème au chocolat blanc…
Alain Passard et Jean-Bernard Métais © Nicolas Gay
Avec “L’œuvre au Corps”, la galerie Forest Divonne pensait quant à elle débuter 2022 sur un ambitieux projet réunissant six artistes et six chefs pour une collaboration déclinée dans six restaurants, à Paris et Bruxelles (la date a été reportée du 19 mai au 18 juin, quand les conditions sanitaires seront meilleures). La galerie s’est associée à Swenden Studio, une agence d’évènementiel spécialisée dans la création culinaire. À cette occasion, Alain Passard, chef triplement étoilé du fantastique restaurant l’Arpège, dont il ne quitte les cuisines que pour ausculter son potager, forme un tandem inattendu avec le sculpteur Jean-Bernard Métais, champion de la commande publique et des concours internationaux.
Les chefs Michel et Sébastien Bras à la Halle au Grain © Maxime Tetard
La cheffe Alice Waters au restaurant du Hammer Museum © Bethany Mollenkof / The New York Times
De la Bourse de Commerce – Collection Pinault – qui s’est adjoint les services des Bras père et fils pour sa Halle au Grain – aux musées américains, le constat est le même : les amateurs de bonnes tables sont des visiteurs à cultiver. Le Hammer Museum a récemment fait appel à Alice Waters, pionnière du bio et du locavore, pour son nouveau restaurant Lulu. Le Museum of Fine Arts à Houston, a quant à lui ouvert Le jardinier, cantine haut de gamme dont le menu est supervisé par le chef étoilé Alain Verzeroli, un disciple de Robuchon installé à New York. L’idée est de jouer la trans-pollinisation des publics, becs fins et amateurs d’art, mais aussi de valoriser une expérience sensorielle qui ne peut en aucun cas se vivre par écran interposé : on peut tenter d’apprécier une exposition en ligne, pas de se nourrir virtuellement.
L’œuvre Sunset de Mélanie Villemot à l’exposition Cookbook’19 © Olivier Cablat
La pâte des frères Bouroullec, inspirée de leur forme Nuage © Bouroullec / Pasta Utopia
En 2013, “Cookbook”, une exposition conçue pour les Beaux-Arts de Paris par son directeur de l’époque, l’historien de l’art Nicolas Bourriaud, avec le très iconoclaste critique gastronomique Andrea Petrini, avait été la première à confronter artistes plasticiens et chefs cuisiniers. Cinq ans plus tard, le tandem avait “remis le couvert” à l’hôtel des Collections – Mo.Co, à Montpellier. Ce deuxième volet soulignait alors que la nouvelle génération de chefs, entre terroir et laboratoire, circuits courts et recettes de fermentation, se tenait bien plus informée des avancées de l’art contemporain, tandis que les artistes de leur côté intervenaient volontiers directement sur le comestible. À l’instar du projet collectif Pasta Utopia lancé en 2018 par Mathieu Mercier, consistant à penser l’esthétique d’une nouvelle pâte… jusqu’aux liens entre artistes et paysan.nes, consacrés aujourd’hui par l’exposition “Agir dans son lieu” à voir au Transpalette à Bourges – jusqu’au 16 janvier 2022. Une conversation, précise le communiqué, “nourrie de choix philosophiques, plastiques, économiques et politiques”. Et peut-être une révolution – culturelle – en cours.